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Économie - Restrictions bancaires

Comment la circulaire n° 161 s’est incrustée dans le paysage

Le mécanisme mis en place permet de réaliser un gain d’environ 40 %, jusqu’à certaines limites.

Comment la circulaire n° 161 s’est incrustée dans le paysage

Des déposants faisant la queue devant des distributeurs spécialisés dans les opérations liées à la circulaire n° 161. Photo P.H.B.

Il y a un an jour pour jour, alors que le pays venait d’entamer une troisième année consécutive de crise, la Banque du Liban mettait en place un nouveau mécanisme aménageant, voire confortant, la palette de restrictions bancaires entravant le libre accès des déposants libanais à leurs comptes en banque, lequel était pourtant garanti par la loi comme par le contrat les liant à leur établissement.

Officialisé par la circulaire principale n° 161 datée du 16 décembre 2021, ce mécanisme permet depuis aux titulaires de comptes en livres libanaises, dont la valeur s’est effondrée sur le marché, de convertir puis de retirer chaque mois de petits montants en « dollars frais ». Ce dernier terme a vu le jour avec la crise pour désigner les vrais dollars, échangeables au taux du marché par opposition à ceux bloqués dans les banques, nommés « dollars libanais », « lollars » ou « dollars bancaires ».

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La particularité, c’est que les opérations de conversion et de retraits via la circulaire n° 161 ne se font justement pas au taux du marché, mais à celui de la plateforme Sayrafa, opérée par la Banque centrale et dont l’objectif annoncé était d’unifier les multiples taux de change en vigueur depuis l’éclatement de la crise économique et de rendre le marché des changes plus transparent. Or deux ans et demi plus tard, ces objectifs n’ont toujours pas été atteints, alors que la différence entre le taux Sayrafa et celui du marché parallèle ne cesse de s’agrandir.

Marge évolutive
Lors de son lancement, la circulaire n° 161 a été présentée comme un moyen de compenser la perte de pouvoir d’achat des fonctionnaires payés en livres et dont les salaires étaient encore calculés à l’ancien taux officiel de 1 507,5 livres pour un dollar, enterré avec l’entrée en vigueur du budget 2022 le 15 novembre dernier. Le dispositif est cependant aussi ouvert aux salaires du privé et même aux entreprises.

Au moment de la publication de cette circulaire, le taux affiché par Sayrafa était de 22 700 livres pour un dollar, contre près de 28 000 livres pour celui du marché. Un an plus tard, cet écart est encore plus flagrant : 30 800 livres pour un dollar sur Sayrafa hier, tandis que le marché culmine désormais à plus de 43 000 livres.

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De par le différentiel entre ces deux taux, le mécanisme mis en place par la circulaire n° 161 agit, in fine, comme un moyen qui permet de subventionner l’achat de dollars par les sociétés et les particuliers. En tenant compte des chiffres évoqués plus haut, le texte permet au titulaire d’un compte en livres d’obtenir des dollars à un taux inférieur à celui du marché, avec la possibilité de se faire une plus-value en jouant sur les taux : un billet de 100 dollars échangé à 43 000 livres pour un dollar représente 4,3 millions de livres. Or cette enveloppe, échangée au taux Sayrafa de 30 800 livres pour un dollar, représente près de 140 dollars, soit la réalisation instantanée d’un gain d’environ 40 %.

C’est la première fois que cette marge est aussi élevée en un an. Elle était d’environ 23 % le 16 décembre 2021, premier jour théorique d’application de la circulaire, puis à un peu plus de 15 % six mois plus tard, avant de repartir à la hausse.

Combiner les circulaires
L’emploi de la circulaire n° 161 peut être combiné avec les autres dispositifs de contournement des restrictions bancaires. Il s’agit d’abord de la circulaire n° 151 qui permet de convertir et retirer des dollars bancaires en livres à un taux actuellement fixé à 8 000 livres pour un dollar ; et puis de la circulaire n° 158 qui autorise les retraits mensuels sur les comptes restreints de 400 dollars en espèces et la somme équivalente en livres au taux de 12 000 livres pour un dollar, le tout selon des conditions très spécifiques.

En combinant le mécanisme mis en place par la circulaire n° 161 aux deux autres, les clients de banques libanaises lésés par les restrictions peuvent limiter marginalement les pertes qu’ils sont contraints de subir en étant contraints de retirer leurs fonds à des taux inférieurs à ceux du marché.

En ce qui concerne la circulaire n° 151, l’équivalent de 100 dollars bancaires est de 800 000 livres, soit 18,6 dollars au taux de 43 000 livres pour un dollar. Or en y appliquant le mécanisme de la circulaire n° 161 et donc en les retirant au taux de Sayrafa, l’équivalent de cette somme serait 26 dollars. S’agissant de la circulaire n° 158 et de l’équivalent des 200 dollars retirés en espèce ce calcul s’y applique : au lieu que leur vraie valeur soit égale à 55,8 dollars (2,4 millions de livres converties au taux du marché), elle vaut désormais près de 78 dollars. Ce mécanisme n’est en revanche pas applicable sur l’équivalent en livres des 200 dollars payables uniquement par carte bancaire.

Du guichet à l’ATM
Outre l’écart entre les taux, le bénéfice (ou la réduction des pertes, selon le point de vue) qu’un déposant peut tirer de la circulaire n° 161 dépend également de l’ampleur des plafonds autorisés. Lors de son lancement, la BDL avait laissé la liberté aux banques de fixer les plafonds imposés à leurs clients, à savoir jusqu’à combien de dollars ils pouvaient retirer chaque mois via ce dispositif.

Selon une source bancaire non autorisée à parler à la presse, la décision en première instance revient à la BDL, même si cette dernière n’a jamais formellement communiqué sur le sujet. Virtuellement sans limites lors des premiers mois d’application, les plafonds de retraits via les dispositifs de la circulaire n° 161 se sont ensuite figés à 500 dollars par client (par numéro d’identification de client dans une banque), puis 400 dollars – parfois moins – pour la plupart des enseignes. Il faut en réalité distinguer deux types de plafonds : celui des opérations pouvant être réalisées en convertissant des « dollars bancaires » en livres avant de les convertir à nouveau en dollars, qui sont limitées par les plafonds de conversions et de retraits spécifiques à chaque banque ; et celui limitant les montants d’espèces en livres que chaque client peut directement déposer à sa banque pour les échanger contre des dollars au taux de Sayrafa (soit les 500 puis 400 dollars précités).

Mais d’où viennent les dollars qui servent à alimenter ce mécanisme si le secteur bancaire libanais n’a plus assez de liquidités pour permettre aux déposants de récupérer leurs fonds? La circulaire n° 161 prévoit que la Banque centrale vend aux banques et au taux de Sayrafa les dollars pouvant servir à honorer les transactions réalisées sous ce dispositif. Les dollars en question sont soit puisés dans les réserves, soit directement sur le marché via des moyens qui n’ont jamais été clairement explicités. Les pertes liées à la différence du taux de change sont donc assumées par la BDL, comme c’était le cas pour les mécanismes de subventions dont bénéficiaient par exemple les importateurs d’essence.

Malgré ces zones d’ombre, la circulaire n° 161 semblerait partie pour durer alors que le dispositif qu’elle prévoit devait à la base être temporaire. Initialement prévu pour deux semaines, le texte a en effet été prolongé à 10 reprises depuis (9 fois pour une période d’un mois et une pour deux mois). Si elle est pour l’instant applicable jusqu’à fin décembre, rien n’indique pour le moment qu’elle ne sera pas prolongée une nouvelle fois avant la fin du mois. Alors que les opérations se faisaient exclusivement au guichet au début, une fonctionnalité dédiée a été intégrée aux menus des distributeurs automatiques de billets, tandis que certaines banques ont récemment décidé d’aller jusqu’à réserver certains d’entre eux à ce type d’opérations.

Il y a un an jour pour jour, alors que le pays venait d’entamer une troisième année consécutive de crise, la Banque du Liban mettait en place un nouveau mécanisme aménageant, voire confortant, la palette de restrictions bancaires entravant le libre accès des déposants libanais à leurs comptes en banque, lequel était pourtant garanti par la loi comme par le contrat les liant à leur...

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