À la suite de l’accord de coopération signé entre les deux institutions en janvier 2022, avec déjà une dizaine d’opérations par chirurgie robotique à l’actif de médecins de l’Hôtel-Dieu de France (HDF), une conférence s’est tenue à l’HDF réunissant plusieurs spécialistes, décrivant cette technologie sous ses diverses facettes.
Le Pr Élie Nemr, chef de service d’urologie à l’HDF et vice-doyen de la faculté de médecine de l’Université Saint-Joseph (USJ), explique les avantages de la chirurgie robotique : « Son plus grand atout reste la grande exactitude. Avec la manipulation des manettes qui permettent de guider les bras du robot, les gestes de l’acte chirurgical sont ainsi plus précis : pas de risque de tremblement par exemple qui peut influer négativement sur l’opération. L’autre avantage c’est la vision tridimensionnelle : certains organes, comme par exemple la prostate, sont très profonds et cachés. Donc la lunette du robot permet de les explorer et, surtout, donne un effet de loupe jusqu’à dix fois plus que la réalité. Le chirurgien peut alors mieux voir et mieux travailler. »
Mais comment en est-on arrivé à ce stade d’intervention sur les patients ? Il faudrait remonter dans le temps dans les années cinquante. Tout a démarré aux États-Unis : les médecins-militaires et les chercheurs ont réalisé, en analysant la « Golden Hour », qu’en temps de guerre, la mortalité pouvait être réduite si l’intervention se faisait très rapidement auprès des blessés. En 1958, le Pentagone a créé la Darpa (Defense Advanced Research Projects Agency), un organisme dont une des missions était de réduire la mortalité de soldats américains blessés sur les champs de bataille.
Robotique, téléprésence et télémanipulation
À cette époque, deux concepts se développaient en parallèle par la NASA, le robot automatisé et la téléprésence. Donc la Darpa a commencé à travailler sur le principe selon lequel le chirurgien pouvait observer de loin et le robot travailler seul. « Mais ce n’était pas suffisant. Il fallait pouvoir manipuler ce robot dans les meilleures conditions », enchaîne le Pr Nemr.
La Darpa va alors financer un institut qui va développer un projet reliant ces deux concepts pour aboutir à la télémanipulation ou la télérobotique : le robot est sur le terrain et le chirurgien le manipule grâce à des manettes.
En 1989, un chirurgien et colonel dans l’armée américaine, qui a opéré par l’intermédiaire d’un robot, arrive au constat que la chirurgie robotique ne peut se développer ni aboutir aux meilleurs résultats dans les cas de chirurgie ouverte, mais qu’il fallait creuser du côté de l’endoscopie, la cœlioscopie ou la laparoscopie.
Puis en période de paix, l’industrie privée se saisit des concepts qui ont été mis en route par la Darpa et qui ont servi en temps de guerre. Le Pr Nemr résume la situation à ce moment en trois mots-clés : la robotique, la téléprésence et la télémanipulation.
En 1999, la société Computer Motion développe le robot Zeus avec pour objectif de réaliser « l’opération Lindbergh », du nom du premier aviateur qui a traversé l’Atlantique : cette intervention consistait à ce que le chirurgien et le patient soient d’un côté et de l’autre de l’Atlantique. Ainsi, le 7 septembre 2001, cette opération se déroule alors que le chirurgien, Jacques Marescaux, est à New York et le patient à l’hôpital de Strasbourg.
Entre-temps, une autre société, Intuitive Surgery, développe plusieurs prototypes de robots : le premier (Lenny) en 1995, le deuxième (Mona) en 1997 et le troisième (Da Vinci) en 1999. Tous ces noms de robots rendaient hommage au grand Leonardo Da Vinci qui a en fait inventé le premier robot en 1495 à Milan avec ses tracés du « chevalier mécanique ».
Entre 2000 et 2003, une guerre d’un nouveau genre éclate. C’est la bataille entre Computer Motion (le dieu grec Zeus) et Intuitive (le superhomme Da Vinci) qui s’est terminée par l’acquisition de la première société par la seconde. Et c’est l’ère Da Vinci qui commence, jusqu’à arriver à la quatrième génération Da Vinci Xi, celui sur lequel opèrent les chirurgiens de l’HDF. Deux autres robots Da Vinci de troisième génération sont disponibles dans deux autres hôpitaux libanais.
Urologie, médecine générale et gynécologie
Le Pr Élie Nemr explique qu’« avec le Da Vinci Xi, le chirurgien peut voir l’intérieur grâce à des lunettes en tridimensionnel, il manipule avec des manettes les instruments rattachés aux bras du robot et le reste du personnel soignant peut voir une transmission de l’opération en 2D sur un écran ».
Aujourd’hui deux médecins de chirurgie générale, trois au service d’urologie et un gynécologue de l’HDF pratiquent la chirurgie robotique, les trois spécialisations où on peut explorer à fond les possibilités qu’offre cette technologie.
Pour l’apprentissage, les résidents et chirurgiens confirmés s’exercent sur un simulateur : « Tout comme les pilotes d’avion avant de passer à l’application en réel, les chirurgiens utilisent le simulateur pour parfaire leur manipulation du robot. En effet, la médecine applique ce fameux adage : jamais sur le patient en premier. Avec le progrès de la technologie, le malade ne doit pas payer le prix de l’apprentissage », précise le Pr Nemr.
Mais qu’en est-il de la prise en charge de ces opérations, alors que tout le système de santé est en souffrance au Liban ? « Certaines assurances ont commencé à prendre en charge en grande partie ou même complètement la procédure. Je pense que ceci va augmenter de plus en plus. En même temps, l’HDF œuvre à créer un fonds dédié à la chirurgie robotique pour que tous les patients éligibles à ce genre d’opération puissent profiter de cette technique indépendamment de leur situation financière », conclut le Pr Élie Nemr.