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Culture - État des lieux

Faut-il emprunter la voie d’un Salon unifié du livre de Beyrouth ?

« Nous sommes en train de nous battre pour que l’achat d’un livre ait toujours sa place dans le budget d’une famille libanaise », assure Maroun Nehmé. Le président du syndicat des importateurs de livres qui siège également au conseil du syndicat des éditeurs libanais a pris part activement cette année à l’organisation du Salon du livre arabe international de Beyrouth qui se tient jusqu’au dimanche 11 décembre au Seaside Arena*. Il fait part à « L’Orient-Le Jour » de ses attentes et perspectives d’amélioration de la situation du livre au Liban.

Faut-il emprunter la voie d’un Salon unifié du livre de Beyrouth ?

Le stand francophone au 64e Salon international du livre arabe de Beyrouth. Photo Michel Sayegh

Il y avait eu en mars dernier comme un pas de côté : un 63e Salon du livre arabe international de Beyrouth organisé hâtivement et en dehors de ses dates habituelles du mois de décembre par le Club culturel arabe, sans l’aval du syndicat des éditeurs libanais, son partenaire historique (dans les faits, « le participant d’honneur » de cet important événement annuel).

Voulue dans un esprit de relance, après 3 ans d’interruption due aux multiples crises, l’édition de mars 2022 avait été marquée au sceau d’une très contestée présence iranienne, illustrée notamment par un portrait géant du général Kassem Souleimani planté au cœur de son espace. Boycotté par les grands éditeurs du Liban et des pays arabes, éclaboussé par la polémique sur la perte de son identité, cette grande foire du livre créée en 1959 semblait vouée à péricliter suite à cette malheureuse expérience. Mais c’était sans compter avec l’esprit de résistance culturelle qui anime aujourd’hui plus que jamais les Libanais confrontés au délitement total de leur pays.

Déterminés à maintenir la place prépondérante de l’édition beyrouthine sur la scène régionale, malgré une situation économique et financière désastreuse au niveau local, les organisateurs de ce Salon ont ainsi tenu à présenter – « avec le partenariat effectif cette fois du syndicat des éditeurs libanais, présidé par Samira Assi », indique Maroun Nehmé qui est membre de son conseil – une 64e édition plus en phase avec sa véritable nature libano-panarabe et internationale.

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Revoici donc le Salon du livre arabe international de Beyrouth qui réintègre son rendez-vous traditionnel du mois de décembre en s’installant du 3 au 11 décembre au Seaside Arena (ex-Biel, sur le front de mer). Avec plus de 130 stands d’éditeurs libanais, irakiens, syriens, palestiniens, égyptiens, tunisiens, des pays du Golf, du Qatar et du sultanat d’Oman qui proposent une large variété d’ouvrages en langue arabe, mais aussi une « zone internationale » incluant un espace francophone réunissant les 5 grands libraires de la place beyrouthine (Librairie Antoine, Librairie orientale, Librairie Stephan, Sored et La Phénicie)… Comme l’avait promis Salwa Siniora Baassiri, la présidente du Club culturel arabe, ce 64e salon a retrouvé sa diversité originelle. Et si la figure du général iranien y est quand même présente, elle est désormais réduite à un simple cliché photographique ornant la paroi d’un unique stand…

Des ventes tributaires d’un pouvoir d’achat réduit

Mais voilà, tout n’est pas réglé pour autant. Alors que dans les éditions d’avant la crise, le Salon s’étalait sur 10 000 m2, sa version actuelle est resserrée sur les 2 200 m2 d’espace disponible au sein du bâtiment encore ravagé par l’explosion du 4 août 2020. Et malgré un calendrier d’animations culturelles assez dynamique, comprenant des séances de signature, des conférences et des hommages à de grands auteurs et intellectuels récemment disparus, à l’instar de Jabbour Douaihy, Farès Sassine ou encore Samih el-Baba (ancien président et cofondateur du Club culturel arabe), ainsi que des soirées poétiques, l’affluence reste timide… « J’ai autour de moi de gros lecteurs, des habitués de ce Salon, qui sont aujourd’hui totalement désargentés et qui, à ce titre, ont renoncé à y venir », indique à L’Orient-Le Jour, Lara, une étudiante en littérature arabe, occupée à choisir, avec moult hésitations et comparatifs de prix, le seul et unique roman qu’elle pourra s’offrir sans grever son budget.

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Maroun Nehmé déterminé à réunir les Salons du livre arabe et francophone de Beyrouth sous la bannière d’un unique Salon international. Photo Michel Sayegh

Un espace francophone dans ce Salon arabe

Tributaires d’un pouvoir d’achat totalement laminé chez 80 % des libanais**, les ventes ne décollent pas. La plupart des responsables de stands l’avouent sans détour. Et cela en dépit du fait que certains éditeurs libanais offrent des réductions conséquentes sur… des stocks anciens tandis que d’autres calculent le taux du dollar à 8 000 LL. Pourtant l’offre est souvent belle et de qualité, notamment dans les publications libanaises pour enfants, qui ont remporté ces dernières années plusieurs prix internationaux. Mais là où le bât blesse le plus cruellement, c’est au niveau des ouvrages importés et en particulier des nouvelles parutions devenues de véritables produits de luxe. Et que la majorité des exposants se borne à proposer avec des remises de 10 %. C’est le cas évidemment du livre francophone qui, bien que bénéficiant dans ce Salon d’un espace richement achalandé, attrayant et… bien éclairé (cela compte désormais !), reste malheureusement hors de portée de la bourse d’une bonne partie des visiteurs. Et cela malgré l’effort consenti par le syndicat des éditeurs et celui des importateurs qui ont construit, par leurs propres moyens, cet espace francophone de 300 m2. « Nous n’avons absolument pas été aidés dans cette entreprise. Mais nous tenions à participer à ce Salon pour montrer que nous sommes toujours là », martèle Maroun Nehmé, le président du syndicat des importateurs qui siège également au conseil du syndicat des éditeurs libanais. « La situation étant ce qu’elle est, et dans l’impossibilité d’organiser désormais un Salon purement francophone, comme cela a été le cas durant 25 ans, il nous semblait important de montrer que le Liban doit rester le porte-drapeau de la francophonie dans la région », poursuit-il.

Certains éditeurs offrent des réductions conséquentes sur… des stocks anciens. Photo Michel Sayegh

Entre projets et attentes...

Si l’initiative est louable, elle ne répond pas, pour autant, aux attentes d’un lectorat libanais frustré de ne pas pouvoir bénéficier, au moins dans le cadre de cette foire, de remises plus conséquentes.

« Il faut que les gens réalisent que nous sommes, nous même, dans une situation de survie. Nous sommes en train de nous battre pour que l’achat du livre ait toujours sa place dans le budget d’une famille ou d’un individu, quitte à ce qu’il se limite à un seul plutôt que trois ou cinq. Et dans cet objectif, nous essayons de faire le maximum dans la mesure de nos moyens », assure Maroun Nehmé. Et d’expliquer que si les importateurs ont pu bénéficier dans certains cas de l’aide du Centre national du livre en France pour l’obtention d’un prix spécial Liban ou d’une décote directe des éditeurs qu’ils ont pu répercuter sur les prix de certains ouvrages, il leur est impossible d’obtenir des réductions de 30, 40 ou 50 % pour l’ensemble des livres importés.

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Pour autant, « nous ne voulons pas baisser les bras », assure Nehmé. « Et dans cet esprit, le syndicat des éditeurs libanais, en collaboration avec le syndicat des importateurs, projette l’organisation en 2023 d’un Salon international du livre à Beyrouth. Un Salon d’éditeurs, plus que de libraires. Et dont les rencontres et échanges pourraient se concrétiser par des projets de partenariat, au niveau de la traduction notamment. Ce qui impactera positivement le prix du livre au Liban. Il est évident que dans ce brassage de toutes les cultures et de tous les lectorats, la francophonie aura sa place d’honneur. Mais pour pouvoir emprunter cette voie nouvelle et d’une nécessité aujourd’hui absolue, nous avons besoin que le Centre national du livre affilié au ministère de la Culture en France ainsi que l’Institut français du Liban jouent le jeu et nous accompagnent plus amplement », lance le libraire, importateur et éditeur (à la tête de la Librairie orientale et de Dar el-Majani). En formulant l’espoir que les auteurs francophones qui seront invités à signer leurs ouvrages l’année prochaine au Liban puissent le faire dans le cadre d’un « véritable Salon international du livre de Beyrouth ». Une option que ne refuserait pas, dans le principe, Salwa Siniora Baassiri, « d’autant, dit-elle à L’OLJ, qu’à la base, ce Salon est à la fois arabe et international... ». À bon entendeur…

* Le Salon du livre arabe international se tient jusqu’au dimanche 11 décembre de 10h à 20h au Seaside Arena (ex-Biel, sur le front de mer de Beyrouth).

** Selon une enquête de l’Administration centrale de la statistique au Liban.

Il y avait eu en mars dernier comme un pas de côté : un 63e Salon du livre arabe international de Beyrouth organisé hâtivement et en dehors de ses dates habituelles du mois de décembre par le Club culturel arabe, sans l’aval du syndicat des éditeurs libanais, son partenaire historique (dans les faits, « le participant d’honneur » de cet important événement annuel)....

commentaires (3)

Inchallah khair... le salon du livre est aussi important que le pain quotidien.

Wlek Sanferlou

16 h 10, le 11 décembre 2022

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Commentaires (3)

  • Inchallah khair... le salon du livre est aussi important que le pain quotidien.

    Wlek Sanferlou

    16 h 10, le 11 décembre 2022

  • Ce lieu de rencontre de deux mondes quasi parallèles est a applaudir

    Zampano

    22 h 04, le 10 décembre 2022

  • Très bon article qui éclaire d’un jour nouveau un salon largement discrédité par les errements de l’an dernier. Et si le public n’est pas au rendez-vous pour cette édition, ce n’est assurément pas que pour des raisons matérielles. Qui veut lire à l’ombre d’un Kassem Husseini? Ceci explique cela non? Y a donc du boulot pour redorer le blason de cette manifestation et un premier pas est franchi dans ce sens.

    Marionet

    09 h 33, le 10 décembre 2022

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