
Le ministre de la Culture Mohammad Mortada. Photo ANI
Coup dur pour les organisateurs du premier Festival littéraire Beyrouth Livres. Cinq auteurs français ont fait savoir à la veille de son lancement qu’ils n’y participeront pas. L’événement, organisé par l’Institut français, qui démarre aujourd’hui et s’étendra jusqu’au 30 octobre, doit réunir 110 autrices et auteurs phares des littératures francophones en investissant une quarantaine de lieux culturels dans la capitale et à travers le pays. L’écrivain Philippe Claudel, secrétaire général de l’Académie Goncourt, a confirmé hier à L’Orient-Le Jour que quatre de ses membres, à savoir Éric-Emmanuel Schmitt, Tahar ben Jelloun, Pascal Bruckner et Pierre Assouline, n’y participeront pas en raison de « la dégradation générale de la situation au Liban ».
Selon l’Académie Goncourt, cette décision n’est pas liée aux récentes déclarations du ministre libanais de la Culture. Le 8 octobre, Mohammad Mortada (proche du parti Amal) a affirmé que son ministère a « été informé que des instituts amis organisent des événements culturels (...) à l’occasion desquels un certain nombre d’écrivains visiteront le Liban et participeront à des rencontres itinérantes dans plusieurs régions du pays. Parmi ceux-là se trouvent un certain nombre ayant embrassé les projets sionistes dans la pensée et dans la pratique, les soutenant aussi bien dans leurs travaux littéraires que dans leur vie quotidienne ». « Nous ne permettrons pas la normalisation culturelle masquée avec le sionisme au Liban », a-t-il ajouté.
S’adressant à la « partie étrangère parrainant cet événement », à savoir la France, il a ensuite précisé ceci : « Votre pays ne permettrait pas à des militants du Liban de se rendre dans (votre) pays pour critiquer le droit des pratiques sionistes, et en retour nous ne permettrons pas à des sionistes (...) de diffuser le venin du sionisme au Liban, même si, en apparence, ils semblent détenir les passeports de votre pays. » Plusieurs heures après ces déclarations, le tweet du ministre a été supprimé. Un second tweet explique qu’il a été « supprimé temporairement », « afin de clarifier la situation », « selon le souhait de Son Excellence l’ambassadeur concerné ». Le ministre de la Culture a confirmé hier à L’OLJ s’être entretenu avec l’ambassadrice de France.
L’affiche du festival.
« Auteurs masqués »
La décision des cinq auteurs français a rallumé une polémique qui semblait mort-née. D’autant que l’un d’entre eux lie clairement son désistement aux propos tenus par le ministre. L’écrivain français Sélim Nassib, né à Beyrouth dans une famille juive en 1946, explique dans un communiqué pourquoi il ne se rendra pas à Beyrouth pour y présenter son dernier roman, Le Tumulte (L’Olivier). « Youssef, le héros de mon roman, est né à Beyrouth dans une famille juive. Le ministre parle-t-il de moi ? De quelqu’un d’autre ? De plusieurs autres ? Quoi qu’il en soit, cette allusion à des auteurs “masqués” soutenant secrètement “les projets sionistes” m’a profondément dégoûtée », écrit-il. Contacté par L’OLJ, l’écrivain affirme ne pas croire que les propos du ministre le « visent », mais il juge ces « allusions assez nauséabondes », « prononcées dans un climat d’impunité ». « Ce n’est pas la peur qui me fait renoncer à venir, mais ma conviction, et je ne veux pas jeter une ombre sur ce festival que les Libanais attendent et dont ils ont tant besoin. C’est ma décision personnelle et je ne veux entraîner personne », appuie Sélim Nassib.
Ces désistements en cascade ont créé un malaise certain chez les organisateurs de Beyrouth Livres. D’autant que ce festival inédit survient quatre ans après le dernier grand rendez-vous littéraire, le Salon du livre francophone de Beyrouth en 2018.
Lors de sa présentation le 21 septembre dernier, l’ambassadrice de France Anne Grillo avait souligné « un projet qui (leur) tient à cœur et sur lequel (ils) travaillent depuis des mois ». « Il était temps de lancer cette initiative, il était temps d’écrire une nouvelle page dans le domaine culturel et littéraire après tout ce que le Liban a enduré », déclarait Anne Grillo.
Contacté par L’OLJ, Mathieu Diez, attaché pour le livre et le débat d’idées à l’IFL et commissaire général de Beyrouth Livres, tend à rassurer. « Il n’y a pas d’effet d’emballement. Le principal pour nous est que l’Académie Goncourt honore son engagement d’être là et qu’elle fera l’annonce des quatre finalistes du Prix Goncourt depuis Beyrouth », affirme Mathieu Diez. Seront donc présents pour l’événement Didier Decoin, président de l’Académie Goncourt, Paule Constant, Camille Laurens et Philippe Claudel. « C’est un acte de soutien de leur part au Liban, comme l’est cet événement », appuie encore le commissaire général du Beyrouth Livres.
Réserves
Sollicité, le ministre de la Culture, Mohammad Mortada précise à L’OLJ le sens de ses propos tenus le 8 octobre. « Nous avons eu vent de la participation à l’événement d’auteurs connus pour promouvoir une pensée israélienne et nous nous demandons ce qu’ils viennent faire au Liban », dit le ministre. « Nous avons fait nos recherches et avons effectivement trouvé que plusieurs d’entre eux ont de tels projets et nous avons fait part de nos réserves à l’ambassadrice française », justifie-t-il. Le ministre affirme « soutenir pleinement l’événement dont il est partenaire » et « souhaite sa réussite ». « Mais nous attendons de ce pays ami, au nom de la confiance mutuelle, de prêter attention à ce sujet », conclut M. Mortada.
Ce n’est pas la première fois que le tandem Hezbollah-Amal fait pression pour dénoncer « la promotion de sionisme », en torpillant des événements ou en censurant des ouvrages, qui pourraient selon ce tandem s’apparenter de près ou de loin à un rapprochement avec Israël. Appelé à réagir aux propos du ministre, le Hezbollah n’a pas répondu aux sollicitations de L’OLJ.
En 2009, le parti pro-Téhéran avait par exemple dénoncé le manuel scolaire d’un établissement anglophone privé qui contenait des extraits du Journal d’Anne Frank, – une jeune juive néerlandaise morte dans un camp de concentration nazi. Suite à la polémique, l’établissement avait fini par abandonner le manuel en question. Des personnalités libanaises font très souvent l’objet de campagne à leur encontre pour s’être rendu en Israël, comme l’ex-magnat de l’automobile Carlos Ghosn en janvier 2020. En 2015, la Miss Liban Sally Jreige avait failli perdre sa couronne, suite à un « incident » l’impliquant dans une photo aux côtés de Miss Israël, lors des préparatifs du concours de Miss Univers à Miami.
La question de la normalisation avec Israël reste un tabou absolu pour le tandem chiite ainsi que pour une partie de la population. Cette nouvelle polémique est d’autant plus surprenante qu’elle intervient à un moment où le Liban s’apprête à signer un accord, avalisé par le Hezbollah, sur la délimitation des zones d’exploitation gazière entre le pays du Cèdre et l’État hébreu.
Vous ne croyez pas si bien dire Cher Christian, certaines semaines (à la fin des années 60 et début 70) la presse étrangère était mise en vente à l'état de dentelles ...Anastasie avait la primeur de la lecture du bout de ses ciseaux, pour le bien de tout le monde nous disait-on.
19 h 23, le 21 octobre 2022