Critiques littéraires

Christianisme contre paganisme

Christianisme contre paganisme

© David Levene

Elizabeth Finch de Julian Barnes, traduit de l’anglais par Jean-Pierre Aoustin, Mercure de France, 2022, 208 p.

Elizabeth Finch, le dernier roman du Britannique Julian Barnes, est une histoire d’amour très insolite, tant par sa forme que par son contenu. Neil, le narrateur, un comédien trentenaire sans beaucoup de succès, s’inscrit dans un cours pour adultes intitulé « Culture et Civilisation ». Il s’éprend immédiatement de l’enseignante, Elizabeth Finch, de vingt ans plus âgée que lui. La passion de Neil ne s’éteindra jamais, survivant même à la mort d’Elizabeth Finch. Or c’est une passion qui est presque exclusivement de nature intellectuelle.

Retour en arrière, au tout premier cours auquel assiste Neil. Ainsi Elizabeth Finch s’adresse-t-elle à ses élèves : « Ne vous inquiétez pas (…) Je ne vais pas essayer de vous gaver de faits comme on gave une oie de maïs ; il n’en résulterait qu’un foie engorgé, ce qui serait malsain. La semaine prochaine je vous donnerai une liste de lectures, totalement facultatives ; vous ne serez ni plus mal notés en n’en tenant pas compte, ni mieux en lisant sans répit. Je m’adresserai aux élèves adultes que vous êtes sans nul doute. La meilleure forme d’éducation, comme les Grecs le savaient bien, est collaborative (…) Nous pratiquerons le dialogue. »

Bref, ce qu’elle veut apprendre à ses élèves adultes, c’est à penser par eux-mêmes. C’est-à-dire, premièrement, les inciter à prendre conscience que leurs opinions et pensées habituelles ne sont en fait que des idées reçues qui ne leur appartiennent pas véritablement ; deuxièmement, les pousser à déterminer d’où viennent leurs idées reçues ; et, troisièmement, les aider à accoucher de leurs propres idées et pensées (cela ressemble à la maïeutique selon Socrate : l’art d’accoucher les esprits).

Toutefois, pour Elizabeth Finch, les idées reçues ne sont pas seulement les opinions toutes faites qui, étant dans l’air du temps, s’imposent à tout le monde ; certaines de ces idées n’ont pas grand-chose à voir avec le monde contemporain et nous ont été transmises par l’Histoire. Et par Histoire, elle n’entend pas seulement ce qui s’est passé durant le XXe siècle, mais aussi et surtout ce sur quoi la civilisation occidentale s’est édifiée : « Au lieu de tourner les yeux vers Hitler et Staline, je suggère que nous les tournions vers Constantin et Théodose. »

À plusieurs reprises, Elizabeth Finch demande à ses élèves d’imaginer ce que seraient l’histoire et la civilisation européennes si le christianisme n’avait pas vaincu le paganisme. Dans cette Histoire alternative, il n’y aurait peut-être eu ni guerres de religion ni intolérance religieuse. La science n’aurait peut-être pas été entravée par la religion. Les missionnaires n’auraient pas forcé d’innombrables peuples indigènes à adopter leur foi. Et surtout, les Européens d’aujourd’hui auraient probablement une tout autre attitude face à la vie, une attitude non entachée de culpabilité et de mépris du corps, et favorisant donc la sérénité et la joie.

Neil est subjugué à la fois par Elizabeth Finch et par les idées qu’elle expose dans son cours. Insatisfait de la manière dont il a mené sa vie jusqu’à présent, il vit la rencontre avec cette enseignante comme un coup de foudre intellectuel qui lui dévoile un monde nouveau, celui de la pensée et de la réflexion, et l’amène à trouver en lui-même « un fond de sérieux ».

Lorsque l’année d’étude prend fin, Neil et Elizabeth Finch commencent à se rencontrer dans un restaurant italien. Pendant une vingtaine d’années, ils déjeuneront ensemble deux ou trois fois par an sans que leur relation ne prenne jamais un tour plus intime.

Elizabeth Finch demeure mystérieuse et indéchiffrable, tant pour le lecteur que pour Neil. Quand elle meurt, celui-ci hérite de ses livres et de ses cahiers de note. Il se lance alors dans deux projets : découvrir qui était véritablement Elizabeth Finch, et écrire un essai sur Julien l’Apostat, « le dernier empereur païen de Rome, qui tenta d’endiguer la désastreuse marée du christianisme ». L’essai en question se trouve au milieu du roman et y occupe une cinquantaine de pages.

Mais qu’est-ce que la passion de Neil pour son enseignante a à voir avec Julien l’Apostat et toutes les autres réflexions sur le christianisme et le paganisme ? Pas grand-chose, en vérité. Bien que ce roman soit très agréable à lire, il engendre un sentiment de grande frustration. C’est comme s’il s’agissait de deux livres distincts (l’un sur la passion de Neil, l’autre sur le christianisme et le paganisme) que Julian Barnes aurait arbitrairement décidé de coudre ensemble – ce qui est pour le moins étonnant de la part d’un écrivain d’ordinaire si méticuleux.


Elizabeth Finch de Julian Barnes, traduit de l’anglais par Jean-Pierre Aoustin, Mercure de France, 2022, 208 p.Elizabeth Finch, le dernier roman du Britannique Julian Barnes, est une histoire d’amour très insolite, tant par sa forme que par son contenu. Neil, le narrateur, un comédien trentenaire sans beaucoup de succès, s’inscrit dans un cours pour adultes intitulé...

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