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Captagon : la face «cachets» du Liban - Témoignages

« Sous captagon, je me sens invincible »

Dans les quelques centres de désintoxication du Liban, on ne croise encore que de rares « accros » à cette amphétamine, le pays du Cèdre n'étant pas un marché semblable à ceux du Golfe. La crise pourrait toutefois rebattre les cartes.

« Sous captagon, je me sens invincible »

Samer (le prénom a été modifié), 27 ans, regarde la mer depuis sa chambre au centre de désintoxication de l’hôpital privé Fakih, à Sarafand, où il a été admis en raison d'une addiction aux effets ravageurs. Photo João Sousa

Des patients, au regard hagard, sortent de leur chambre en peignoir. Certains profitent d’une pause-clope dans les couloirs, éclairés telle une salle d’opération. Une simple porte fermée à clé sépare l’unité de santé mentale et de détoxication de l’hôpital privé Fakih à Sarafand, où des toxicomanes séjournent le temps du sevrage.

Samer* a été traîné par sa famille dans cet hôpital. « Pour que je ne fasse de mal à personne », raconte-t-il, la voix tremblotante. À travers les barreaux de sa chambre, facturée environ 100 dollars (cash) la nuit, le jeune homme de 27 ans regarde au loin la mer. Cela fait près d’une semaine qu’il a été admis pour traiter son addiction au captagon. Enchaînant 4 à 5 pilules par jour, Samer fini par être hanté par des hallucinations et devient plus « agressif, violent et parano » au fil des mois, imaginant notamment que sa famille s’est liguée contre lui. Une nuit, il tente même de sauter du balcon. « Je pensais qu’on voulait me faire du mal », raconte celui qui a commencé à consommer de la drogue à 15 ans. « J’avais un vide que je voulais remplir », dit-il le regard éteint. La drogue devient sa « seule solution ».

Visage creux, noirci par les cernes, la peau sur les os, Samer* arrive à l’hôpital en plein épisode psychotique. Pendant cinq jours, il n’a ni mangé ni dormi à cause des effets du captagon. « J’avais essayé de poignarder mon oncle», dit-il les yeux rivés vers le sol.

Au Liban, des profils comme ceux de Samer sont loin d’être la norme des patients traités dans les centres, le Captagon étant encore largement considéré comme un produit d’exportation, en particulier vers les pays du Golfe. « Comparée à d’autres drogues, la consommation de captagon au sein de la société n’est pas encore un problème majeur. Au Liban, les enjeux tournent plutôt autour de la production et de la contrebande », résume Tatiana Sleiman, directrice exécutive de Skoun, une ONG qui a ouvert des centres d’addiction au Liban. La consommation de cette drogue serait plus fréquente dans les zones frontalières avec la Syrie, comme l’explique le Dr Ramzi Haddad, psychiatre et cofondateur de Skoun. « Elle est surtout présente dans les régions où celle-ci est produite », complète le Dr Kassem Hijazi, à la tête du service psychiatrie de l’hôpital Fakih et addictologue.

Travailler plus, en se shootant plus

Si elle est plus courante dans certaines régions, elle est aussi davantage prisée par certains profils, à commencer par « les travailleurs de la terre, car ils deviennent plus productifs et travaillent davantage », indique par exemple Lina el-Khoury qui travaille au sein de l’ONG Oum el-Nour, spécialisée dans le traitement addictions.

Une pilule de captagon frappée du symbole aux deux croissants de lune (une référence au médicament d'origine). Joseph Eid/AFP

Des propriétés qui ont fini par séduire Jad, contraint de tenir sur ses jambes pendant 13 heures d'affilée, la nuit dans un restaurant de la capitale. Ce jeune homme de 27 ans y a recours pour la première fois en 2016, après qu’un collègue lui a parlé de cette pilule magique qui lui donnera de l’énergie pendant toute une journée. Pendant quatre ans, il ne consomme que ça. D’abord, une pilule par jour. Puis deux. « Sous captagon, je me sens invincible : comme si je pouvais tout faire. Et mentalement, rien ne m'affectait. Je la prenais car elle était plus forte que toutes les autres », raconte-t-il. « Aujourd'hui nous ne connaissons pas exactement sa composition. Ce dont nous sommes presque sûrs, c’est qu’elle est amphétaminique ou proche des amphétamines », explique le Dr Haddad. Seuls les producteurs connaissent sa composition, ajoute le Dr Hijazi. « Elle peut être coupée avec de la caféine, du paracétamol… ou même d’autres drogues ce qui la rend encore plus dangereuse », poursuit-il.

Le captagon, comme les substances amphétaminiques, stimule trois neurotransmetteurs : la dopamine, la sérotonine et la noradrénaline – qui agissent sur le plaisir et l’humeur, favorisant notamment la vigilance et l’excitation, entre autres. « De quoi augmenter l’énergie, diminuer le besoin de sommeil et l'appétit. Le consommateur se sent plus fort et ressent une certaine euphorie », explique le Dr Haddad.

« Les battements de mon cœur n'arrêtaient pas d’accélérer. »

Au fil des ans, Jad devient l’ombre de lui-même. Ses cernes creusent son visage, ses yeux deviennent rouges, ses dents s'abîment, sa chair s’assèche. « Et les battements de mon cœur n'arrêtaient pas d’accélérer, raconte le jeune homme qui a décidé d’arrêter cette drogue en 2020. Maintenant, je me contente du shit. » Le captagon peut entraîner des complications de santé notamment cardio-vasculaires, commente Ramzi Haddad. « Ça peut aussi provoquer des délires, des hallucinations », ajoute le Dr Hijazi. La complication qui serait la « plus dangereuse ». « Le consommateur peut devenir violent envers son entourage et même se faire du mal », poursuit-il. Si Jad consommait cette drogue uniquement pour son travail, d’autres l'utilisent pour leur plaisir personnel.

La « cocaïne du pauvre »

Passée la porte, l’odeur du shit prend à la gorge. La fumée imbibe cette pièce aux murs défraîchis. Des pilules en tout genre parsèment la table basse. Parmi elles, du captagon. « Celle-ci, on l’appelle le “chameau”, c’est l’une des plus puissantes », explique Jean* qui a été renvoyé de l’armée à cause de la drogue. Ce jeune vingtenaire préfère l'héroïne mais consomme de temps à autre du captagon. Jean sort une pilule d’un sachet rempli de comprimés, où deux croissants de lune se font face – une référence au produit d’origine – et l’avale comme si c’était du paracétamol. « Maintenant on peut parler », dit-il posé sur son canapé Clic-Clac avec son dealer et un ami. Il est tombé dedans lorsqu’il avait 18 ans. Son ami en prend une également : c’est sa première fois. Il rit nerveusement. Les discussions fusent de tous les côtés : galère au boulot, ou avec leur copine du moment, projet de soirée pour se remplir les poches, politique aussi… Difficile de les suivre. « C’est comme si t’avais un boost dans la tête et dans le corps. J’ai plus d’énergie, je deviens bavard », assure Jean. Mais une fois que la drogue sort de son système, il ne peut plus tenir debout. « C’est comme si ton corps se décomposait. »

« Ça coûte moins cher qu’un paquet de pain »

Et c’est pour masquer ce contrecoup que Samer a augmenté sa dose. « Dès le réveil, j’en prenais à jeun pour m’aider à tenir sur mes jambes. Et j’étais anxieux en permanence », explique le jeune homme dans sa chambre à l’hôpital Fakih. Samer a commencé dès l’adolescence. D’abord du haschich, du Tramadol, puis du crack. Il finit par se tourner vers le captagon à cause de l’augmentation du prix de sa drogue de choix, le crack, suite à la crise économique. « C’est la plus simple à trouver et ce n’est pas cher », assure-t-il.

Bon marché et facile d’accès, cette « cocaïne du pauvre » dépanne en ces temps d’hyperinflation. Au fur et à mesure de la dégringolade de la monnaie locale, il ne peut plus assumer les millions de livres que coûtent ces doses de crack et se tourne vers le captagon, « j’en avais pour à peine 100 000 LL», avance-t-il. « Depuis la crise, de plus en plus de patients racontent avoir déjà consommé du captagon », s’inquiète le Dr Hijazi.

Avant la crise, Jean payait 500 LL (33 cents à l’époque) la pilule. Maintenant « ce n’est pas plus de 20 000 LL (environ 55 cents au taux du marché parallèle) », assure-t-il. Une hausse des prix relativement modeste dans un pays où certains produits, à commencer par les aliments, ont parfois été multipliés par quatre. Et les consommateurs ont même droit à une promo s’ils prennent plusieurs cachets. De quoi alimenter les craintes d’une évolution du marché similaire à celle connue dans le Golfe. « Ça coûte moins cher qu’un paquet de pain », commente Jean, torse nu et squelettique.

*Ces prénoms ont été modifiés.

Des patients, au regard hagard, sortent de leur chambre en peignoir. Certains profitent d’une pause-clope dans les couloirs, éclairés telle une salle d’opération. Une simple porte fermée à clé sépare l’unité de santé mentale et de détoxication de l’hôpital privé Fakih à Sarafand, où des toxicomanes séjournent le temps du sevrage.Samer* a été traîné par sa famille dans...
commentaires (3)

C’est exactement ce que veulent les fossoyeurs du pays. Rendre invisible toute la population pour pouvoir rester en place et régner sur des fantômes tout comme en Iran. Mais au moins les iraniens nés sont enfin réveillés. A quand le réveil des libanais.

Sissi zayyat

12 h 35, le 22 novembre 2022

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Commentaires (3)

  • C’est exactement ce que veulent les fossoyeurs du pays. Rendre invisible toute la population pour pouvoir rester en place et régner sur des fantômes tout comme en Iran. Mais au moins les iraniens nés sont enfin réveillés. A quand le réveil des libanais.

    Sissi zayyat

    12 h 35, le 22 novembre 2022

  • JE LES PLAINS. ILS DETRUISENT LEUR VIE ET CELLES DE TOUTE LEUR FAMILLE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 32, le 17 novembre 2022

  • IL SE SENT INVINCIBLE BIEN QUE DESORIENTE ET SOMMEILLANT CAR AVEC LE CAPTAGON SA BOITE CRANIENNE TOMBE DANS LA LETHARGIE. ELLE EST VIDE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 57, le 17 novembre 2022

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