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Nos Lecteurs ont la Parole

Le courage d’avoir de l’empathie

Emmener des étudiants en médecine en visite au musée afin qu’ils passent du temps à observer les tableaux de peinture semble à première vue une blague ridicule. Mais c’est bien une méthode devenue intégrée dans le programme de formation de plusieurs facultés de médecine en Amérique du Nord. L’objectif de cette méthode est d’alimenter la capacité des étudiants à observer les patients dans les moindres détails. Selon la Dr Jacqueline Dolve de l’Alumni de l’Université de Yale, les participants à ce programme de visite au musée ont amélioré de 20 pour cent leur aptitude à être présent et sentir avec les patients.

L’importance de cet exercice n’est pas à négliger seulement pour les futurs médecins, mais aussi pour l’ensemble des personnes engagées dans le domaine de la santé, voire dans tous les domaines du « secteur ». En fait, dans l’ère actuelle de l’évolution galopante de la technologie et du virtuel, le sens des valeurs humaines et sociales, né de la noblesse de l’expérience humaine ou de la souffrance, a été remplacé par le désir du profit et le désir de répondre aux seuls besoins personnels. Ce changement des valeurs morales n’est pas à ignorer dans l’actuel mal-être de la société au niveau mondial ; en effet, l’humanité entière est en grande souffrance morale et mentale, souffrance exacerbée par la récente pandémie de Covid-19. Toutefois, la pandémie a pu marquer un détournement des priorités, mettant ainsi de nouveau la valeur de la vie humaine au sein de la préoccupation de l’humanité.

C’est ainsi qu’à l’heure actuelle, d’innombrables firmes œuvrent à développer des stratégies visant à améliorer les aptitudes de leurs dirigeants à manifester de l’empathie et de la compassion envers leurs équipes. Incontestablement, adopter ces valeurs nobles dans la communication interpersonnelle préserve aussi bien le bien-être des dirigeants que celui des employés, et cela se répercute positivement sur l’amélioration des performances professionnelles ; des statistiques vantent les louables bilans positifs de la production des entreprises dont les leaders manifestent de l’empathie et de la compassion à l’égard de leurs équipes.

Quant au domaine de la santé qui est le mien, la culture et l’éducation dans les facultés de médecine en général œuvrent, mais à tort, à former de futurs médecins capables de refouler leurs sentiments et leurs émotions vis-à-vis de la souffrance et de la mort. Cela est considéré comme une arme indispensable afin que les médecins préservent leur propre bien-être et gardent aux yeux des patients une image de personnes robustes et invulnérables.

Pour le premier volet de la question, rien n’est faux ou illicite, peut-être, dans cette entreprise, mais si l’on dénude l’empathie et la compassion de leur gratuité qui les renvoie à leur source originelle, à savoir l’humanisme, que reste-t-il de l’authenticité de ces concepts ? À juste titre, Phil Bosmans dit : « Il n’est d’amour que gratuit. » L’empathie authentique n’est autre que notre capacité à sentir avec les autres et la compassion n’est autre que notre désir d’agir à l’égard de l’autre ; les deux concepts se réunissent dans un altruisme honnête et entièrement gratuit.

Pour le second volet de la question, devenant l’objet par excellence du professionnalisme, la compétence médicale risque souvent d’engloutir l’empathie et la compassion. Le patient est d’abord un être humain entier et unique, et ne peut être défini par sa seule maladie. Dans sa prise en charge médicale, tous les aspects doivent être considérés : son environnement social et familial, sa spiritualité, sa dignité, son bien-être, sa santé mentale ainsi que ses propres besoins et perceptions. Ceci est sans aucun doute une valeur à intégrer dans la formation médicale et à nourrir dans l’exercice de la vocation médicale.

Je termine par une réflexion sur la parabole de l’enfant prodigue racontée par saint Luc. Le plus touchant dans cette parabole est l’attitude du père qui attend dehors le retour de son fils et, dès qu’il l’a vu, comme une mère, « il fut ému de compassion, il courut se jeter à son cou et le baisa », sans lui adresser le moindre reproche.

Cette compassion est un cœur profondément touché par la vue d’un fils misérable et poussé spontanément à l’accueillir, à le sauver de sa misère. Ce n’est pas une attitude facile, d’autant moins quand il s’agit de n’importe quelle personne qui souffre et non seulement de son fils. Accepter de laisser son cœur être touché par la misère et la souffrance de l’autre a un prix à payer. Mais y a-t-il une voie d’une espérance réelle autre que le courage d’avoir un cœur pareil ?

MD/MHA/MPH

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Emmener des étudiants en médecine en visite au musée afin qu’ils passent du temps à observer les tableaux de peinture semble à première vue une blague ridicule. Mais c’est bien une méthode devenue intégrée dans le programme de formation de plusieurs facultés de médecine en Amérique du Nord. L’objectif de cette méthode est d’alimenter la capacité des étudiants à observer...

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