Rechercher
Rechercher

Santé - Psychologie

La santé mentale s’intègre dans le traitement du cancer au Liban

En 2020, la psychiatre Maya Bizri a lancé le premier programme de psycho-oncologie au Moyen-Orient. Bien qu’elle rencontre un franc succès, son initiative continue de se heurter à un grand nombre de défis.

La santé mentale s’intègre dans le traitement du cancer au Liban

Le signe du cancer du sein sur le mur du centre de psycho-oncologie à l’AUBMC. Photo DR

Les patients se succèdent au cabinet de Maya Bizri, spécialisée dans la psychiatrie de liaison, au sein du département de psychiatrie du Centre médical de l’Université américaine de Beyrouth (AUBMC). Lancé en avril 2020, en pleine crise sanitaire et économique, son programme de psycho-oncologie* accueille, en partenariat avec le Naef K. Basile Cancer Psycho-Oncology Institute (NKBCI), des malades du cancer quel que soit le stade de la maladie. Par exemple, certaines de leurs patientes sont en phase de reconstruction mammaire après un cancer du sein, tandis que d’autres ont été récemment diagnostiquées, ou poursuivent un traitement de chimiothérapie.

Dernièrement, le rôle de la psycho-oncologie est devenu plus important à mesure que les patients libanais atteints de cancer se sont retrouvés confrontés à l’effondrement économique, à la pandémie de Covid-19, ainsi qu’aux séquelles de l’explosion à Beyrouth en août 2020. Une étude, conduite par Maya Bizri et Ali Taher, directeur du Naef K. Basile Cancer Institute, met en évidence une prévalence plus élevée de symptômes de dépression et d’anxiété, affectant au moins 30 % des patients libanais, par rapport aux taux mondiaux d’environ 20 %.

Pourtant, alors que les progrès dans les domaines cellulaire, radiologique ou des thérapies pharmacologiques ont été largement adoptés, les soins de psycho-oncologie restent négligés. Largement intégrés dans le traitement du cancer dans les pays à revenu élevé, ces soins restent sous-développés, fragmentés et mal pratiqués dans les pays à revenu faible et/ou intermédiaire, en particulier dans la région du Moyen-Orient.

Maya Bizri durant une consultation avec une patiente. Photo DR

Un contexte bien particulier

« Nous avons des difficultés à mettre en œuvre le programme de psycho-oncologie tel qu’il est appliqué à l’étranger. Nous avons commencé en avril 2020, en pleine crise sanitaire, économique et politique, alors que les médecins et les infirmières émigraient et que les médicaments manquaient. Le défi a été bien plus grand qu’on ne l’aurait cru », indique Maya Bizri dans un entretien avec L’Orient-Le Jour.

L’étude de Maya Bizri et Ali Taher pointe les attitudes stigmatisantes envers les personnes atteintes de cancer, mais aussi la honte qui continue de planer autour de la santé mentale, du fait des enseignements religieux, des traditions familiales et de stéréotypes comme le mauvais œil ou le péché. Par conséquent, au niveau national, seuls 10 % des Libanais souffrant de troubles mentaux dans l’absolu demanderaient un traitement.


Lire aussi

La campagne officielle se limite cette année à la communication

Pour remédier à cela, le programme de psycho-oncologie propose des tests de dépistage en santé mentale aux personnes atteintes de cancer. « Chaque patient du département d’oncologie de l’AUBMC est soumis à un examen psychologique permettant d’évaluer son état, explique Maya Bizri. La particularité au Liban, c’est que nous cherchons les symptômes, alors que dans d’autres pays, les malades font eux-mêmes la démarche de demander un psychologue. »

Il ressort de ces tests, selon Maya Bizri, qu’un quart des femmes souffrant de cancer du sein seraient suivies pour les motifs de « tristesse ou nervosité ». Si le pourcentage ne varie pas vraiment par rapport au reste du monde, les facteurs de stress, d’anxiété, voire de dépression sont désormais différents au Liban. Dans le contexte de crise économique, le Naef K. Basile Cancer Institute a mis en place un fonds spécial de soutien couvrant, pour les malades du cancer qui en ont besoin, les frais d’admission à l’AUBMC, la chimiothérapie, le transport, mais aussi les consultations en psycho-oncologie au département de psychiatrie, dirigé par le Dr Fadi Maalouf.

Hiba, cinquantenaire atteinte de cancer et patiente du centre, raconte la galère de la recherche de médicaments. « C’est important de recevoir un soutien psychologique, car la situation financière rend les choses encore plus difficiles. Et je n’ai pas d’argent pour payer les consultations qui ne sont de toute façon pas remboursées. » Dans son cas, c’est le NKBCI qui lui assure ces séances.

« La toxicité financière joue un rôle néfaste dans le traitement du cancer, confirme Maya Bizri. Cela est principalement dû aux prix très élevés des médicaments. Par comparaison, les soins de psychologie et de psychiatrie représentent moins de 1 % des frais. »

Des effets positifs sur le traitement

La spécialiste insiste sur l’impact positif de la psycho-oncologie sur l’image du corps (mise à mal par la mastectomie), la qualité de vie, les relations avec la famille, ou encore la fatigue due au traitement. Les patients suivraient mieux leur traitement, auraient une meilleure disposition à guérir, avec moins de symptômes somatiques, d’anxiété et de peur. « Les patients redoutent en permanence la récidive, ce qui peut se manifester par de l’irritabilité, des crises de panique, ou des crises de nerfs, de l’anxiété, des insomnies et des symptômes de somatisation, note la spécialiste. Ces femmes continuent de vivre comme si elles avaient le cancer, et cela affecte leurs relations avec les autres, pas seulement au sein du couple ou de la famille, mais aussi dans leur milieu professionnel. Certaines ne ressentent plus de joie, ne trouvent plus de sens à la vie. »

Yara, quarantenaire atteinte d’un cancer, témoigne : « Le fait d’exprimer ce que j’avais sur le cœur m’a transformée. En une séance, j’ai senti le changement. Cela m’a fait beaucoup de bien, et je conseille à tous les malades du cancer de consulter un psychologue dès le début. Cela aide tant au niveau physique que mental. » « La dépression affaiblit l’immunité et il devient difficile de supporter les médicaments et la maladie », renchérit Hiba. Il faut noter que les médicaments psychiatriques réduiraient également les effets secondaires de la chimiothérapie tels que les vomissements, le manque d’appétit, de sommeil ou le manque de concentration au travail.

*Le programme de psycho-oncologie est situé au 4e étage du département de psychiatrie au Centre académique Aïda et Halim Daniel (Daniel ACC). Contact : +961-1-759620, poste : 5650.

Les patients se succèdent au cabinet de Maya Bizri, spécialisée dans la psychiatrie de liaison, au sein du département de psychiatrie du Centre médical de l’Université américaine de Beyrouth (AUBMC). Lancé en avril 2020, en pleine crise sanitaire et économique, son programme de psycho-oncologie* accueille, en partenariat avec le Naef K. Basile Cancer Psycho-Oncology Institute (NKBCI),...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut