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Lifestyle - Photo-roman

Le rituel sacré de la télé au Liban

À propos de ces journées et ces soirées autour d’un poste de télévision, ce moment essentiel dans les foyers libanais, surtout dans les années 90 où j’ai grandi...

Le rituel sacré de la télé au Liban

Photo Oliver Hadlee Pearch

Il y en avait un dans chaque échoppe, dans chaque petit commerce, partout. Un poste de télévision, silencieux et suspendu au mur, à la teinturerie ou chez l’épicier du quartier, et qu’il regardait du coin de l’œil en recensant les comptes des clients. Un poste de télévision posé sur un frigo ronronnant chez le boucher ou le primeur, et dont l’écran flouté, tramé de parasites, faisait défiler les prières, les messes et les chorales de Télé Lumière. Un poste de télévision sous un faux Monet, où se perdait le regard de la secrétaire de mon pédiatre pendant que ses doigts remplissaient machinalement une grille de mots fléchés. Un poste de télévision dans la boutique de nouveautés où personne ne vient et dont la vendeuse, entre deux bouchées de ragoût piochées de son Tupperware, réglait les antennes au millimètre près afin de réussir à capter son épisode quotidien d’une sirupeuse série mexicaine…

Téléshopping et séries mexicaines

Un poste de télévision chez les grands-parents, vous savez, celui éternellement recouvert d’un napperon en dentelle anglaise ou en crochet avec des figurines religieuses et des photos de famille, et qui nous électrisaient les doigts pour peu qu’on s’y approche. Un poste de télévision dans notre salle de séjour, Oudit el-2a3dé, que beaucoup surnommaient aussi oudit el-télévision, la salle de télé, poste autour duquel, une fois douchés, nous nous agglutinions, mes parents et moi, en attendant le même enchaînement de programmes. C’était un rituel sacré de mon enfance, un rituel sacré de tous les foyers libanais, surtout dans les années 90 où j’ai grandi, quelque chose d’essentiel dans la vie des Libanais, fanas que nous sommes du divertissement et de la glande qu’on appelle rakhyé. Dans mon enfance, donc, il y avait Nharkom saïd, la matinale de la LBCI que les femmes suivaient et qui proposait en fin de programme un téléshopping où la présentatrice louait les vertus de machines à fabriquer du pop-corn, de ceintures amincissantes, de robots de cuisine et de sièges à massage. Bref, un tas de choses complètement inutiles, mais qui finissaient invariablement par faire flancher les femmes. Il y avait Ma elak ella Haïfa, le générique presque hard rock, ses shorts en lurex et sa musculature sculptée. Il y avait une déferlante de telenovelas mexicaines doublées en arabe, de celles qui avaient fait florès dans les années 90 avec, tour à tour, Maria Mercedes, Esmeralda, Rosalinda, des noms qui reviennent du fond de ma mémoire ; et à chaque fois, des histoires de femmes de ménage qui tombent follement amoureuses d’un millionnaire croisé par hasard, avec l’ombre d’une marâtre redoutable et la menace d’un empoisonnement qui voyait leur idylle partir en fumée. Il y avait le chef Antoine, qui a traversé le temps sans que sa moustache ne bouge d’un poil, et le jeune Chef Ramzi, avec sa bouille qui donnait l’impression qu’il faisait partie de la famille. Il y avait les séries diffusées pendant le mois de ramadan et la Passion du Christ, traumatisant film qui revenait systématiquement la veille de Pâques. Il y avait, au retour de l’école, Mini Studio et ses personnages déglingués qui faisaient scintiller les cœurs candides des enfants libanais des années 90.

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Ces visages familiers

Il y avait, les lundis et les jeudis, avant les infos de 20h, les résultats du Loto avec le sourire de Sana Nasr et ses yeux charbonneux que je ne peux pas oublier. Il y avait la C33, petite sœur francophone de la LBCI, Télé Liban avec ses images éternellement surannées, la Future TV et son journal en trois langues, la propagande de toujours à al-Manar et la NBN, sans oublier la résistante MTV à l’époque de l’occupation syrienne. Heureusement pas encore de OTV. Il y avait des animateurs, des présentatrices, les visages familiers du journal de 20h, Dolly et Georges Ghanem, May Chidiac avant qu’on ne lui coupe les ailes, Bassam Abou Zeid qu’on attendait tous les soirs, c’était comme un rendez-vous. Il y avait les premiers talk-shows d’après-guerre, certains qui rouvraient des plaies mal refermées, ech-Chater yehki avec Ziad Njeim et Kalem el-ness avec le Marcel Ghanem d’avant les montres et les costards hors de prix. Il y avait Studio el-fann qui a propulsé toute une génération de pop stars locales, et il y avait l’élection de Miss Liban avec son hymne, ses pleurs, ses défilés en maillot une pièce et ses questions sur la paix dans le monde qui revenaient d’année en année. Il y avait SLChi avec Fadi Raïdy qui, d’une seconde à l’autre, se transformait de Pipo à Fadia ech-Cherra’a. Il y avait Mann sa yarba7 al-malioun avec Georges Kordahi, avant qu’il ne commette ses (faux) pas en politique. Il y avait, tous les soirs de réveillon du Nouvel An, Wa2if ta ellak, qui réparait et meublait des maisons délabrées, et retrouvait des enfants perdus en Australie en les réunissaient avec leurs familles.

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Et il y avait les mensonges et le venin déversé par les mêmes qui sont encore là au pouvoir aujourd’hui. Et ça, ça n’a jamais changé… Une pitoyable comédie humaine qui n’a jamais bougé…

Il y en avait un dans chaque échoppe, dans chaque petit commerce, partout. Un poste de télévision, silencieux et suspendu au mur, à la teinturerie ou chez l’épicier du quartier, et qu’il regardait du coin de l’œil en recensant les comptes des clients. Un poste de télévision posé sur un frigo ronronnant chez le boucher ou le primeur, et dont l’écran flouté, tramé de parasites,...

commentaires (1)

Merci Gilles pour cet article qui m a fait retourner a mon enfance avant de partir du liban il y a 30 ans dejà. Un article qui fait chaud au coeur.

RS

03 h 36, le 31 octobre 2022

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Commentaires (1)

  • Merci Gilles pour cet article qui m a fait retourner a mon enfance avant de partir du liban il y a 30 ans dejà. Un article qui fait chaud au coeur.

    RS

    03 h 36, le 31 octobre 2022

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