Critiques littéraires

Mémoire et transmission

Kukum, lauréat du prix France-Québec 2020, nous immerge dans la vie des Innus, premières nations du Canada, avant la cassure de l’occidentalisation, avant le choc de l’industrialisation.

Mémoire et transmission

«Venir me réfugier au lac, comme ce matin, m'apaise, car il me rappelle qui nous avons été et qui nous sommes toujours. Le vent de l'est porte les parfums du Péribonka. Tant que cela existe dans mon cœur, cela vit encore. »

Dans ce récit intimiste, l’écrivain Michel Jean donne la voix à Almanda son arrière-grand-mère, sa Kukum. Au crépuscule de sa vie, Almanda se tient au bord du lac Pekuakami, le lac Saint-Jean du Québec, et déroule le récit de son existence comme on tisse un chandail chaud en prévision de l’hiver.

Fille de migrants irlandais qui meurent lors de la traversée de l’Atlantique, Almanda est recueillie à la fin du XIXe siècle par des paysans modestes et grandit dans une ferme du Québec. À l’âge de quinze ans, un événement bouleverse sa vie et celle de sa descendance à venir, la rencontre avec un jeune innu qu’elle épouse.

La trame romanesque nous mène alors dans l’intériorité de la vie d’une famille innue tout au long du XXe siècle. À travers le regard émerveillé de la jeune Almanda qui intègre la famille de son époux, nous découvrons ce peuple nomade de l’Est de la péninsule du Québec-Labrador, ses rituels, son sens de la famille, son lien fort avec la nature, les campements dans le bois l’hiver, la pêche, la chasse et la vente des peaux au magasin de la Compagnie de la Baie d’Hudson. « Je me retrouvais dans un nouvel ordre des choses, où tous les êtres vivants étaient égaux et où l’homme n’était supérieur à aucun autre. »

L’écriture de Michel Jean fait du lac et de la forêt de véritables personnages vivants. Le tracé romanesque, tout en finesse et en courbe, se pose sur les personnages, les contourne puis va saisir un pan du lac, une vue sur la forêt, l’ardeur de la neige ou la fragilité d’un feu.

Dans la langue de Michel Jean, sereine et fluide, on entend en écho la langue innue d’Almanda. Pekuakami, Péribonka, Nitassinan, les mots des lieux vivants diffusent leur poésie dans la destinée d’Almanda. Ils traversent ensuite la vie de ses enfants et petits-enfants pour arriver jusqu’à son petit-fils Michel Jean lequel nous les offre à son tour, et nous sommes saisis, nous lecteurs, par leur charme musical.

Puis vient la brisure dans le récit et dans la vie d’Almanda avec la destruction de la forêt par le système capitaliste associé au pouvoir administratif canadien. Les Innus perdent alors leur territoire et commence pour eux la longue nuit de l’acculturation. La sédentarisation forcée brise les liens éternels avec la nature et l’équilibre écologique des familles innues. Les enfants sont arrachés à leurs parents, enfermés dans des pensionnats pour leur faire oublier, puis mépriser, leur langue et leur culture.

Kukum excelle à raconter cet écart qui fissure les générations. Le récit singulier d’Almanda et de sa descendance inscrit ainsi le roman dans la tentative de réappropriation d’une mémoire collective.

Dans ses autres romans, comme Tiohtiá:ke, Atuk ou Maikan, Michel Jean poursuit l’exploration de la mémoire de ses ancêtres. Comme d’autres écrivains issus des « premières nations », son œuvre romanesque interroge la fabrication du récit national canadien. En proposant des éclairages différents de ceux de l’histoire officielle, en mettant en scène des histoires individuelles et singulières, ces romans révèlent la part d’universel qui habite la littérature.


Kukum de Michel Jean, éditions Dépaysage, 2021, 297 p.

Michel Jean au Festival :

Débat « L’identité, la mémoire, la transmission » avec Michel Jean, Caroline Torbey et Arno Bertina, vendredi 28 octobre à 17h (Crypte de l’Université Saint-Joseph).

Bal littéraire avec Yamen Manai, Arno Bertina, Emmanuel Ruben, Caroline Torbey, Nora Atalla, Omar Youssef Souleimane, Dan Nisand, Michel Jean, Diane Mazloum, accompagné par Kamal Hakim aux platines, dimanche 30 octobre à 17h (Grande Scène, Institut Français du Liban).

«Venir me réfugier au lac, comme ce matin, m'apaise, car il me rappelle qui nous avons été et qui nous sommes toujours. Le vent de l'est porte les parfums du Péribonka. Tant que cela existe dans mon cœur, cela vit encore. »Dans ce récit intimiste, l’écrivain Michel Jean donne la voix à Almanda son arrière-grand-mère, sa Kukum. Au crépuscule de sa vie, Almanda se tient...

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