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Nos Lecteurs ont la Parole

Des sites web devenus embarrassants

J’apprends que le site web « doublage.qc.ca » ne recevra plus d’argent de l’Union des artistes (UDA) à compter du 1er septembre 2023. Son unique administrateur continuera de payer de sa poche l’hébergement du site, mais celui-ci ne sera plus enrichi, le gardien du phare n’ayant pas l’intention d’aller à la chasse aux commanditaires. Il faut savoir que ce site reçoit des fiches de certaines firmes de doublage et qu’il en est aujourd’hui à un peu plus de 5 500 fiches pour autant de productions doublées.

Durant les décennies 1990 et 2000, l’UDA et l’Association nationale des doubleurs professionnels ont exercé des pressions sur les majors états-uniennes afin qu’elles fassent doubler leurs productions au Québec plutôt qu’en France. Pour gagner les Québécois à leur cause, elles ont lancé la campagne « On veut s’entendre ! », d’où la création du site par des inconditionnels et son financement. Au vrai, je ne suis pas surpris par la décision de l’UDA de laisser tomber ce site ami après toutes ces années parce qu’il est une véritable mine d’informations.

C’est en consultant ce site que j’ai réalisé que plusieurs de mes intuitions étaient bonnes : des adaptateurs n’ont pas toutes les qualifications requises pour traduire des dialogues, essentiellement de l’anglais au français. D’autres sont si peu recommandables que l’espace réservé à leur nom dans les fiches est laissé vierge ; un petit cercle d’acteurs québécois revient sans cesse dans nos doublages, vu notre faible bassin de doubleurs expérimentés ; la continuité vocale n’est souvent pas respectée (Tom Hanks a été doublé ici par quatre acteurs depuis 2013, alors que Jean-Philippe Puymartin est sa voix régulière en France depuis 1988) ; des films tournés en anglais en Europe francophone sont souvent doublés ici (allo l’ambiance !). Et des vedettes francophones d’outre-Atlantique sont souvent doublées par nos acteurs, alors qu’elles se doublent habituellement elles-mêmes en Europe, notamment Juliette Binoche, doublée ici par Claudie Verdant dans Chocolat.

C’est aussi par ce site que j’ai appris que : de nombreux doubleurs originaires d’Europe travaillent maintenant au Québec (ce qui, ma foi, est une excellente chose, car ils rehaussent la qualité du doublage québécois) ; des acteurs français nous sont imposés par les majors du fait d’un manque de doubleurs à la hauteur ou « racisés » ; les majors ont exigé de ne plus reproduire les accents étrangers, ce qui serait raciste ; des expressions telles que « My God » (Mon Dieu), « The Lord » (Le Seigneur), « Sweet Jesus » (Doux Jésus) et d’autres semblables sont proscrites afin de ne pas choquer des oreilles sensibles ; nos firmes de doublage utilisent de plus en plus de textes adaptés en France, cela afin de diminuer les coûts de production, alors que la spécificité du français québécois a toujours été le principal argument servi aux majors pour les inciter à doubler ici.

Trop de constatations gênantes pour notre industrie du doublage sont sorties dans les médias ces dernières années ; voilà pourquoi l’UDA a décidé de laisser tomber le site internet officiel du doublage au Québec ! Je comprends leur décision de cultiver le secret, car la médiocrité appelle l’ombre et l’excellence la lumière. Ce que je comprends moins en revanche, c’est que le gouvernement québécois continue d’octroyer de généreux crédits d’impôt à une industrie dont le travail laisse à désirer.

Ce qui m’amène à parler d’un autre site, celui-là dévolu à la recherche de titres de productions audiovisuelles classées par le ministère de la Culture et des Communications (MCC). L’année dernière, il était encore possible d’y faire des recherches croisées et d’apprendre des choses étonnantes.

Par exemple, j’ai constaté en 2020 que les productions en langue française disponibles au Québec durant la décennie 2010 avaient diminué de façon importante comparativement à la décennie précédente. Ainsi, exclusion faite des films pornographiques, l’ancienne Régie du cinéma du Québec (RCQ) en avait classé 8 165 de 2000 à 2009, contre 7 228 la décennie suivante, soit pratiquement 1 000 de moins. Et, quoique les locuteurs de langue maternelle anglaise représentent ici moins de 10 % de la population, 77,8 % des 5 386 documents audiovisuels classés par l’ancienne RCQ du 1er janvier au 31 décembre 2019 sont en anglais et seulement 11 % en français, soit sept fois moins.

Mais voilà, les recherches de ce type sont pour ainsi dire impossibles à mener aujourd’hui sur la nouvelle plateforme, car l’outil n’autorise plus les recherches par date, nécessaires pour comparer des périodes données entre elles. (Une incongruité : dans le volet « Recherche avancée », une case porte le titre « nationalité », comme si un film pouvait en détenir une).

M’est avis que les sous-ministres fédéralistes du MCC, d’obédience libérale ou caquiste, n’ont pas apprécié que des citoyens se servent de leur site pour alerter les Québécois relativement au déclin du français sur nos grands et petits écrans.

J’espère que le prochain ou la prochaine ministre de la Culture mettra fin aux crédits d’impôt à l’industrie du doublage et fera corriger sa toute nouvelle plateforme lacunaire.

Montréal-Québec

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J’apprends que le site web « doublage.qc.ca » ne recevra plus d’argent de l’Union des artistes (UDA) à compter du 1er septembre 2023. Son unique administrateur continuera de payer de sa poche l’hébergement du site, mais celui-ci ne sera plus enrichi, le gardien du phare n’ayant pas l’intention d’aller à la chasse aux commanditaires. Il faut savoir que ce...

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