
L’ambassadeur d’Arabie saoudite à Beyrouth Walid Boukhari s’entretenant avec le président de la Chambre Nabih Berry à Aïn el-Tiné, hier. Photo ANI
Comment un dîner à caractère social se transforme-t-il en un sujet polémique de premier plan ? Depuis plusieurs jours, tout le monde en parle. L’ambassade de Suisse à Beyrouth devait accueillir des députés représentant les principaux partis politiques libanais pour des discussions « informelles », quelques semaines avant une conférence programmée en novembre pour parler de réforme politique. La chancellerie avait donné rendez-vous à ses convives ce soir. Mais il n’en sera rien, le dîner ayant été finalement annulé.
Les députés devaient répondre à une invitation de l’ambassade en collaboration avec le Centre pour le dialogue humanitaire, une ONG suisse basée à Genève. Mais dans le fond, cette invitation a ravivé le souvenir des conférences de Genève et de Lausanne (1983-1984) qui avaient débouché sur une décision de créer une commission chargée de réviser la Constitution, une instance qui n’a finalement pas vu le jour pendant la guerre civile (1975-1990).
Dans le contexte actuel, cette initiative a suscité les craintes des milieux politiques et diplomatiques quant à une tentative de remettre en question l’accord de Taëf, devenu la Constitution du pays dans l’après-guerre, une grande partie du spectre politique libanais refusant toute révision institutionnelle tant que le demandeur de cette révision, le Hezbollah, a ses armes sur la table. C’est aussi la position de l’Arabie saoudite, dont la doctrine au Liban fait de la préservation de Taëf une « ligne rouge » à ne pas franchir.
Une source informée de l’initiative suisse confie à L’Orient-Le Jour que les efforts visant à réunir les protagonistes libanais pour un débat politique remontent à plus de deux mois. Mais selon plusieurs députés interrogés par L’OLJ, l’ONG qui se tient derrière l’évènement a l’habitude d’organiser des conférences internationales à Genève en présence de plusieurs personnalités politiques. Selon un parlementaire aouniste qui a requis l’anonymat, deux autres députés de cette mouvance, Simon Abi Ramia (Jbeil) et César Abi Khalil (Aley), ont récemment participé à un colloque portant sur le dossier du pétrole organisé à Genève à l’initiative de l’ONG en question. « Nous assistons depuis quelques jours à une amplification médiatique de la question », commente Alain Aoun, député aouniste de Baabda. Il faisait référence aux informations de presse selon lesquelles les discussions prévues le mois prochain à Genève seront articulées autour d’une remise en question de Taëf.
Quid de l’Arabie saoudite ?
Riyad ne semble pas partager l’analyse d’Alain Aoun. « Le royaume estime que toute réunion entre protagonistes libanais viserait à la révision du système politique en vigueur », affirme à L’OLJ une source proche des cercles saoudiens.
Depuis plusieurs semaines, Riyad multiplie les appels au maintien et au respect de l’accord de Taëf. En septembre dernier, le royaume saoudien a été rejoint par la France et les États-Unis, comme l’a montré le communiqué conjoint publié par les trois à New York et appelant le Liban « à se conformer à l’accord de Taëf ». La Suisse peut-elle aller unilatéralement à l’encontre des positions de Washington et de Paris, les deux capitales les plus impliquées dans le dossier libanais ? C’est l’ambassade helvétique à Beyrouth qui a répondu à la question dans un communiqué envoyé à L’OLJ hier. « La Suisse a pour tradition d’offrir ses bons offices lorsqu’on lui demande de le faire. Les discussions prévues sont le résultat de consultations préalables avec l’ensemble de la classe politique libanaise, ainsi qu’avec les acteurs régionaux et internationaux, dans le plein respect de l’accord de Taëf et de la Constitution libanaise », peut-on lire dans le texte. Comme s’il s’agissait de calmer d’abord les appréhensions de l’ambassadeur d’Arabie saoudite Walid Boukhari. « L’accord de Taëf est un contrat contraignant pour jeter les bases d’un Liban pluraliste », avait écrit M. Boukhari sur Twitter dimanche soir. « L’alternative n’est pas un autre pacte, mais la désintégration du vivre-ensemble, la disparition de la nation unie et son remplacement par des entités qui ne ressemblent pas au message libanais », avait-il ajouté. Une prise de position interprétée comme un veto à l’encontre de la démarche suisse. D’ailleurs, il a suffi que le diplomate saoudien publie ce tweet pour que Melhem Riachi, député du Metn, qui était censé représenter au dîner de ce soir les Forces libanaises, principales alliées locales de Riyad, annonce son retrait. « Nous entendions répondre favorablement à l’invitation. Mais quand les choses ont pris une tournure politique grave, nous avons décidé de bouder l’évènement. Car il n’est dans l’intérêt de personne de se lancer dans le chantier de réforme du système politique, l’heure devant être à l’élection d’un président », commente pour L’OLJ Charles Jabbour, porte-parole des FL, évitant d’établir un lien entre la décision de son parti et le tweet de Walid Boukhari. Même son de cloche du côté du Parti socialiste progressiste, également proche de Riyad. « Tout débat portant sur un éventuel changement au niveau de Taëf ne nous concerne pas », affirme Fayçal Sayegh, député PSP de Beyrouth.
Ces deux partis n’étaient pas les seuls à boycotter le dîner suisse. Il y a aussi les treize députés de la contestation, qui devaient être représentés par Ibrahim Mneimné, député de Beyrouth qui avait boycotté la réunion des parlementaires sunnites tenue le 24 septembre dernier sous la houlette de Dar el-Fatwa. Pour une source proche de Riyad, le choix de M. Mneimné est doublement contestable « dans la mesure où (il boycotte cette réunion de) Dar el-Fatwa qui est la plus haute autorité sunnite ».Mais pour Waddah Sadek, également député contestataire de Beyrouth, si M. Mneimné n’a pas voulu se rendre au dîner des Suisses, c’est parce qu’il n’est « pas normal que l’on discute de questions nationales dans une ambassade, alors que nous affirmons plaider pour la souveraineté du pays ». « Personne n’a évoqué avec nous le sujet du dîner, dont nous avons pris connaissance par les médias », déplore-t-il, alors que sa collègue Paula Yacoubian qualifiait, dans une interview à l’agence Akhbar al-yom, la présence d’Ibrahim Mneimné à ce dîner de « rassurante », ce qui dénote, pour le moins, d’un manque de coordination entre les treize. Face à une telle situation, l’ambassade de Suisse s’est vue contrainte de reporter le dîner sine die. De son côté, Walid Boukhari a effectué une tournée auprès du président de la République Michel Aoun et du chef du législatif Nabih Berry. Devant le chef de l’État, le diplomate a insisté sur « l’attachement du royaume à l’unité du Liban et son ancrage arabe, en vertu des principes nationaux figurant dans l’accord de Taëf qui a protégé le Liban et lui a assuré la stabilité », selon des propos rapportés par le bureau de presse de la présidence.
Comment un dîner à caractère social se transforme-t-il en un sujet polémique de premier plan ? Depuis plusieurs jours, tout le monde en parle. L’ambassade de Suisse à Beyrouth devait accueillir des députés représentant les principaux partis politiques libanais pour des discussions « informelles », quelques semaines avant une conférence programmée en novembre pour parler...
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PLUS DE CONSENSUEL. PLUS DE MARCHANDAGES A MOINS DE L,APPLICATION TOTALE DE TAEF DANS SES MOINDRES DETAILS SANS DES EXPLICATIONS ET DE FEINTE DE COMPREHENSION AUTRE QUE CE QUE DISENT LES ARTICLES DE LA CONSTITUTION DE TAEF.
LA LIBRE EXPRESSION
19 h 57, le 18 octobre 2022