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Ratée, la fondue


Les ministres, c’est comme les trous dans le gruyère.

Plus il y a de gruyère, plus il y a de trous ; et puis

plus il y a de trous, bah ! moins il y a de gruyère (Coluche)


Le dépaysement favorise-t-il la communication, les échanges, la compréhension, la conciliation? Ce qui est indéniablement vrai pour les voyages d’agrément peut l’être parfois aussi en politique. Mais sans évidemment se comparer à Roosevelt, Churchill et Staline se partageant le monde à Yalta, ou encore aux Israéliens et Palestiniens fuguant ensemble à Oslo, ce genre de tourisme nous réussit-il vraiment ?


Plus d’une expérience malheureuse en ce domaine, axée sur la recherche d’un partage idéal du pouvoir entre communautés libanaises, a été tentée durant les dernières décennies. Parrainée par la France, la dernière en date avait pour cadre, en 2007, La Celle-Saint-Cloud, dans la banlieue de Paris. Mais déjà au milieu des années 1980, ce pays traditionnellement neutre qu’est la Suisse abritait vainement, à Genève puis à Lausanne, deux conférences à haut niveau de représentation. Si bien que la seule réussite en matière de séminaires exotiques demeure à ce jour l’accord de Taëf : véritable conclave du Parlement libanais se prolongeant durant plus de trois semaines dans cette cité saoudite sous la sévère surveillance des États-Unis et de divers États arabes, mais qui eut le mérite de mettre fin à la guerre en dotant le pays d’une nouvelle Constitution.


D’où ces deux questions qui, en début de semaine, ont littéralement enfiévré l’establishment politique local : pourquoi donc la Suisse tâte-t-elle soudain, à nouveau, de cette patate brûlante qu’est le dialogue entre Libanais? Et pourquoi le vertueux projet, programmé pour le mois prochain, était-il voué cette fois à avorter, au point que l’ambassadrice de Suisse s’est vue contrainte de décommander en catastrophe un dîner réunissant les députés conviés à ce débat ?


Si les autorités de Berne se sont avancées à nouveau en terrain miné, elles ne l’ont fait que de concert avec le plus qualifié des compagnons de route : une ONG rigoureusement fidèle à la tradition d’impartialité suisse, œuvrant à la médiation des conflits armés et figurant parmi les plus influentes sur la scène internationale. Ce Centre pour le dialogue humanitaire a accumulé les succès et il vient même de décrocher le prix Wateler de la paix, que décerne la prestigieuse Fondation Carnegie.


Holà ! minute, pas touche à Taëf ! Un aussi impératif veto ne pouvait qu’émaner de l’ambassadeur d’Arabie, provoquant sur-le-champ une cascade de défections. Pour le diplomate saoudien, la seule alternative à cet accord, tout récemment rappelé aux esprits par les États-Unis et la France, serait la dénaturation du Liban, sa fragmentation en mini-entités sectaires : éventualité que la Confédération helvétique se défend vigoureusement pourtant de promouvoir. Il n’en reste pas moins que tout le problème est là, et bien là. Car négocier à ce stade la refonte d’un système qui consacre la parité islamo-chrétienne, ce serait ouvrir la boîte de Pandore. Evidente, même si elle n’est pas publiquement déclinée, est en effet la quête chiite d’un réagencement institutionnel de la mécanique du pouvoir. Or, à un tel bouleversement répond inévitablement, avec le même souci du non-dit, l’exigence d’une décentralisation poussée pouvant aller jusqu’à des structures fédérales. Pour le moment, le débat ne revêt cependant qu’une portée toute théorique : qui donc en effet irait disputer de tels enjeux alors que le Hezbollah a son pistolet posé bien évidence sur la table ? Ainsi se trouve bouclé le cercle vicieux enserrant notre pays…


On peut certes le regretter, mais il y a en définitive beaucoup trop de trous dans un gruyère suisse censé ne pas en avoir du tout. Et si, par les soins de l’Arabie la fondue promise n’est plus sans doute qu’un mirage, l’Iran n’est évidemment pas en reste qui, par l’entremise de ses instruments locaux, prétend nous dicter que lire. Et qui lire, ou ne pas lire. En témoigne la stupéfiante sortie du ministre de l’Inculture s’effarant de la venue à Beyrouth, pour le festival littéraire et francophone Beyrouth Livres, d’auteurs jugés favorables au sionisme. À peine conclu ce qui, malgré tous les artifices rhétoriques qu’il a requis, est un accord maritime en bonne et due forme avec Israël, voilà donc ce vaillant ministre qui met en garde contre toute forme de normalisation avec l’ennemi. Résultat : à quelques heures de l’inauguration, non moins de quatre membres de l’Académie Goncourt se portaient absents hier.


Les feuilles de vigne, c’est déjà pitoyable ; mais de là à servir également d’œillères…

Issa Goraieb

igor@lorientlejour.com

Les ministres, c’est comme les trous dans le gruyère. Plus il y a de gruyère, plus il y a de trous ; et puis plus il y a de trous, bah ! moins il y a de gruyère (Coluche)Le dépaysement favorise-t-il la communication, les échanges, la compréhension, la conciliation? Ce qui est indéniablement vrai pour les voyages d’agrément peut l’être parfois aussi en politique. Mais...