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La peau de la baleine


Historique : Yaïr Lapid a tout intérêt à qualifier de la sorte l’accord sur la délimitation de la frontière maritime entre Israël et le Liban annoncé hier. Accusé par son rival Netanyahu d’avoir bradé les ressources sous-marines de l’État hébreu et offert un cadeau au Hezbollah, il peut raisonnablement soutenir qu’au contraire, cet accord sera facteur de prospérité et de sécurité pour les Israéliens : arguments de poids, à l’approche des élections législatives du mois prochain.


Assez surprenante de sobriété paraît, par contraste, la satisfaction qu’affiche pour le moment un État libanais prompt à exploiter jusqu’à la nausée toute occasion, bonne ou mauvaise, de pavoiser. Pour le régime parvenu en bout de mandat voilà pourtant concrétisée – au finish, dans le sens le plus littéral du terme – cette grandiose réalisation dont il espère qu’elle pourra redorer un bilan peu reluisant. Il y a loin cependant de la coupe aux lèvres, et pas seulement en raison des surenchères locales sur l’abandon de la ligne 29 ou des arguties de procédure qui entourent la finalisation institutionnelle de cet accord.


Il y a bien loin en effet de l’exploration au forage, du forage à la production et, pour finir, de la production aux coffres de l’État. C’est dire à quel point ces années d’attente forcée dans l’antichambre de la prospérité devraient être bien employées, si l’on veut que le Liban et son peuple profitent effectivement, intégralement, sans fuites ni déperditions, de la manne pétrolière et gazière escomptée. Pour des raisons qui crèvent les yeux, et que la raison est seule à ignorer, la mafia politique qui gouverne notre pays n’a pas jugé bon de le doter d’une compagnie nationale apte à gérer, de concert avec les sociétés exploitantes, le magot sous-marin. Au lieu d’un aussi indispensable organe, ont été instituées une simple administration des hydrocarbures relevant bien sûr du ministère de l’Énergie mais aussi des douzaines de sociétés de consultation privées.


Or les experts s’accordent à relever que très peu de celles-ci jouissent d’une réelle expérience en matière de technologie, de marketing ou de relations publiques ; il ne s’agit, pour la plupart, que de vulgaires officines de courtage, ce sport de prédilection qu’est, pour l’establishment politique libanais, la chasse aux commissions, ristournes et autres dessous-de-table. De là à croire que derrière ces sociétés-écrans se cachent (plutôt mal) d’influents personnages, il n’y a qu’un pas. Voilà donc les requins qui rôdent déjà, alléchés par la peau de la baleine pétrolière. Voilà aussi pourquoi il serait vain de bâtir des châteaux sur les flots de la Méditerranée si n’étaient pas entreprises ces réformes auxquelles se refuse avec obstination la classe dirigeante. Historique, l’accord sur les frontières ne le sera véritablement, pour nous, que le jour béni où régnera la transparence…


Reste à rappeler en conclusion que la prospérité a nécessairement pour compagne de route la sécurité. Le Liban doit-il cette divine victoire diplomatique aux pressions militaires qu’a exercées le Hezbollah à l’aide de ses drones ? La milice pro-iranienne n’a-t-elle fait en réalité que voler au secours de la victoire, finissant par cautionner ce qui, en dépit du filtre onusien, est bel et bien un improbable accord avec le Satan israélien ? Plus fort encore, un accord forgé avec une rare ténacité par le grand Satan américain ?


Tout au long de la médiation Hochstein, Hassan Nasrallah n’a cessé de manœuvrer en solo tout en affirmant que la négociation était strictement l’affaire de l’État, un État dont pourtant le Hezbollah fait éminemment partie, un État qu’il a même à sa botte. La plus intense des propagandes ne pourra rien y faire : c’est cette pernicieuse fiction que l’accord sur les frontières maritimes a l’insigne mérite de faire voler en éclats.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Historique : Yaïr Lapid a tout intérêt à qualifier de la sorte l’accord sur la délimitation de la frontière maritime entre Israël et le Liban annoncé hier. Accusé par son rival Netanyahu d’avoir bradé les ressources sous-marines de l’État hébreu et offert un cadeau au Hezbollah, il peut raisonnablement soutenir qu’au contraire, cet accord sera facteur de prospérité et...