C’est la douche écossaise. Après l’euphorie suscitée par les informations sur l’imminence d’un accord sur la frontière maritime entre Israël et le Liban, le refus israélien de prendre en considération les amendements introduits par la partie libanaise a douché les espoirs de voir un accord conclu avant la date des législatives israéliennes prévues début novembre prochain, date qui coïncide également avec la fin du mandat du chef de l’État Michel Aoun. Ce changement de programme subit semble avoir placé la partie libanaise devant le fait accompli. Que comptent faire les trois pôles du pouvoir – le chef de l’État, le président de la Chambre et le Premier ministre désigné – après ce retournement de situation qui ferait à nouveau planer le risque d’une confrontation ?
Pour l’heure, le Liban officiel prend son temps pour réceptionner et décortiquer la réponse israélienne avant de prendre position. « Le Liban ne se préoccupe pas des fuites dans les médias, mais de faits qui devraient être communiqués par la délégation américaine qui est la seule partie à laquelle nous parlons », a affirmé hier matin Nabih Berry dans une interview au journal Asharq al-Awsat. Lorsque cette réponse sera réceptionnée, « nous agirons en conséquence », a-t-il ajouté. Jusqu’à hier soir, le Liban attendait donc que lui soit communiquée par écrit la réaction israélienne.
Le Hezbollah, qui joue en coulisses un rôle primordial dans le processus, affirme lui aussi attendre d’examiner les détails de la réponse du médiateur américain Amos Hochstein puis celle du Liban officiel avant de commenter. Le secrétaire général du parti chiite Hassan Nasrallah se prononcera mardi prochain sur la question et donnera le « la ».
Dans ses amendements, le Liban a refusé de reconnaître la « ligne des bouées », la frontière délimitant les zones économiques exclusives (ZEE) des deux pays. Celle-ci s’étend sur 6 kilomètres avant de rejoindre la ligne 23 revendiquée par le Liban. « C’est une ligne fictive qui n’a aucun fondement en droit maritime et qui a été inventée de toutes pièces par l’ennemi », commente pour L’Orient-Le Jour Ziad Nassereddine, économiste et expert réputé proche du Hezbollah. Selon les médias israéliens, le Liban a demandé à modifier le texte qui se référait à la ligne des bouées en utilisant le terme « de facto » au lieu du terme de « statu quo ».
Alors qu’Israël argue des motifs stratégiques et sécuritaires pour justifier l’adoption de la ligne des bouées, du côté du Hezbollah, la question est tout aussi stratégique, mais pour des raisons différentes. « L’objectif derrière ce subterfuge est d’opérer une nette distinction entre les deux processus de délimitations terrestre et maritime. Initiative que le Liban refuse », décrypte M. Nassereddine. À ce jour, le Liban attend toujours de régler 7 points litigieux restés en suspens au niveau de la délimitation de la frontière terrestre avec Israël.
Autre point rejeté par l’État hébreu, les modalités de paiement des compensations à Israël pour ce qui est de la partie du champ gazier de Cana qui dépasse vers le sud la zone que borde la ligne 23. Il est prévu que l’une des sociétés du consortium chargé de l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures offshore dans la ZEE du Liban joue les intermédiaires en payant elle-même un forfait à la partie israélienne. « Il ne peut y avoir de concomitance entre l’extraction du côté libanais et toute compensation qui serait payée à Israël. Le Liban ne se sent concerné ni de près ni de loin par cette question », précise encore M. Nassereddine.
Une certitude émerge pour l’heure : le Hezbollah, qui a imposé ces deux amendements par le biais de ses experts présents aux réunions du comité des spécialistes, ne serait pas près de revenir sur sa décision.
Pas de panique
En attendant que le chef du parti chiite se prononce, les officiels libanais cherchent à temporiser et à minimiser les effets du refus israélien. Selon une source impliquée dans les tractations qui a requis l’anonymat, le négociateur libanais en charge de coordonner avec le médiateur américain, Élias Bou Saab, est depuis jeudi soir en contact continu avec Amos Hochstein.
Du côté libanais, l’inquiétude est donc pour l’heure à son stade minimal. D’après la source citée plus haut, la dernière réaction israélienne, accompagnée d’une escalade verbale, ne serait donc qu’une manœuvre à laquelle l’État hébreu a l’habitude de recourir. Jeudi soir, le ministre israélien de la Défense Benny Gantz a appelé l’armée à se préparer à une possible escalade dans le Nord. Cette attitude alarmiste ne saurait être comprise que dans le cadre du bras de fer interne qui oppose l’actuel Premier ministre Yaïr Lapid au chef du Likoud Benjamin Natanyahu à quelques semaines des législatives. « Les Israéliens ne veulent surtout pas torpiller l’accord. Ils essayent d’améliorer leur position, c’est tout », confie la source proche des négociateurs libanais.
Jeudi soir, le directeur de la Sûreté générale Abbas Ibrahim, également impliqué dans les négociations, a déclaré que la réponse israélienne « ne nous concerne pas ». « Nous attendons que le médiateur américain assume ses responsabilités », a-t-il ajouté pour dire que la balle est dans le camp américain. Selon un responsable qui suit de près les contacts entre le Liban et le médiateur US, Beyrouth aurait été informé que Washington est déterminé à faire aboutir la médiation avant les élections israéliennes. C’est ce qui expliquerait le fait que les responsables libanais ne sont pas plus paniqués que cela, du moins pour le moment. « Les écarts se sont réduits » entre les positions des deux parties, a déclaré jeudi un responsable américain sous couvert d’anonymat. « Nous restons déterminés à parvenir à une solution et nous pensons qu’un compromis durable est possible », a-t-il ajouté.
La confiance prévaut aussi du côté du Hezbollah. « Tant que le cœur de l’accord n’est pas remis en question, le reste est de la littérature. Qu’ils prennent (les Américains et les Israéliens) tout le temps qu’il veulent », dit Fayçal Abdessater, proche des milieux du parti pro-iranien. « Toutes les parties sont attachées à ne pas glisser sur un terrain dangereux qui pourrait mener à un affrontement », précise de son côté Kassem Kassir, un analyste qui gravite dans l’orbite du Hezbollah. Le risque d’escalade est certes présent, selon lui, mais dépendra de deux facteurs : d’abord les fruits que va porter la médiation américaine et en second lieu la question de savoir si Israël va s’aventurer à commencer l’extraction dans le champ de Karish sans un accord au préalable. « La formule imposée par Hassan Nasrallah tient toujours : pas d’exploitation du champ de Karish sans l’exploitation de celui de Cana », conclut M. Abdessater.
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Notre gouvernement laisse un parti politique portant allégeance à un Etat étranger négocier un dossier international sans intervenir, alors que c'est un sujet qui concerne exclusivement les gouvernements de ces pays et non un parti politique, quel qu'il soit. C'est le moindre des devoirs de notre gouvernement de négocier les affaires de l'Etat !
Un Libanais
19 h 12, le 09 octobre 2022