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(Ch)armes de destruction

Faut-il nécessairement être député(e), et plutôt mignonnet(te) de sa personne, pour s’en aller exiger et obtenir de sa banque une partie de ses économies indûment confisquées? De le faire sans même avoir à menacer de s’immoler par le feu ou d’abattre des otages, sans autre arme de dissuasion dans son sac qu’un téléphone portable, un bâton de rouge à lèvres et un crayon de rimmel ?


Largement télévisée en direct, la singulière équipée de Cynthia Zarazir a fait s’envoler les imaginations, s’emballer les passions ; comme toutes les autres anomalies et aberrations qui encombrent notre existence quotidienne, elle ne pouvait qu’être matière à vive controverse au sein de l’opinion publique. Pour les uns, l’élue de la contestation populaire du 17 octobre n’a fait, après tout, que récupérer une partie de son bien. Même si elle s’en défend, c’est tant mieux si elle a bénéficié pour cela de son statut de parlementaire acquis de fraîche date ; grâce à elle, soutiennent-ils, l’Assemblée n’est plus désormais cette tour d’ivoire d’où l’on contemple de bien loin, avec la plus totale indifférence, les souffrances du peuple. Et si, enfin, les impératifs médicaux de la dame Zarazir justifient amplement son geste, celui-ci a le mérite de jeter une lumière crue sur les urgences d’un autre type, mais non moins pressantes et même vitales, qui assaillent la majorité des citoyens : avec quelles liquidités payer l’électricité, le gaz, le transport, les études des enfants, comment garnir un tant soit peu la table familiale ?


En revanche, sceptiques et réfractaires ont beau jeu de dénoncer une performance à la médiatisation savamment préparée et qui, de manière aussi évidente, relève du coup de pub. Non seulement inique, mais dangereux à plus d’un titre est d’ailleurs ce populisme mal dégrossi, primaire. Car si les braqueurs à la petite semaine obtiennent satisfaction, s’ils s’en tirent sans grand mal et même parfois sous un tonnerre d’applaudissements, leurs butins entament d’autant les montants en devises appartenant à la masse des déposants lambda qui, eux, n’ont nulle vocation de jouer les pistoleros. Pire encore, ces pratiques fournissent aux banques un prétexte idéal pour fermer leurs portes (et donc mieux sommeiller sur les dépôts séquestrés) : un prétexte aussi pour tenter de se dédouaner en incitant le public à concentrer plutôt sa colère sur les responsables politiques. Mais c’est surtout à l’idéal de l’État de droit que fait insulte la députée ; pour pacifique que fut sa virée aux guichets, c’est bien à la loi de la jungle, de la débrouille, du chacun pour soi que s’adonne la législatrice novice, se laissant même ériger en exemple à suivre…


Qu’on ne s’y trompe pas. De toutes les calamités qui se sont abattues sur le pays ou qui pourraient encore survenir, la plus dévastatrice pourrait bien être en définitive la déliquescence de ce qui fait un pays : son peuple présentement trahi, laissé à l’abandon, privé de gouvernement effectif et bientôt peut-être de président, condamné au self-service par ceux-là mêmes qui en ont la charge. Le spectre d’une telle société rendue à la vie sauvage n’est pas moins épouvantable, en vérité, que l’effondrement financier, que l’incroyable inaptitude de la classe gouvernante, la corruption effrénée qui tient lieu de mode de pouvoir ou encore ces périlleux flirts avec la guerre épisodiquement renoués par Israël et le Hezbollah, sans que le Liban officiel y ait seulement voix au chapitre.


C’est bien la menace d’une conflagration militaire qu’a agitée jeudi l’État hébreu, dans le même temps qu’il rejetait les amendements libanais au projet Hochstein sur la délimitation de la frontière maritime. On n’en est pas encore à ramener le Liban à l’âge de pierre, comme se le promettaient naguère les généraux de Tel-Aviv ; mais ce saut arrière dans la préhistoire n’est-il pas déjà chose à moitié faite sans que l’ennemi ait eu à se fouler la rate ? Les infrastructures en ruine, les services publics annihilés, les routes défoncées, le port de Beyrouth mis hors jeu au profit de Haïfa, l’appareil judiciaire paralysé et maintenant, ce Far West, ce Chicago des années 20 où tout un chacun est invité à se faire justice, c’est bien à des cervelles et des mains tristement libanaises qu’on le doit.


Avec de telles équipes de démolition, quel besoin encore d’un ennemi ?


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Faut-il nécessairement être député(e), et plutôt mignonnet(te) de sa personne, pour s’en aller exiger et obtenir de sa banque une partie de ses économies indûment confisquées? De le faire sans même avoir à menacer de s’immoler par le feu ou d’abattre des otages, sans autre arme de dissuasion dans son sac qu’un téléphone portable, un bâton de rouge à lèvres et un...