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Lifestyle - Initiative

Beit Kanz, le dernier trésor en date de Beit el-Baraka

Dans un sublime immeuble de la rue Sursock – réaménagé par l’aile architecturale de Beit el-Baraka – le café Kanz, l’épicerie de mouné et la boutique d’artisanat Kanz by Beit Bloomers ouvriront le 10 octobre. Ils constituent la plateforme Beit Kanz* où les bénéficiaires de l’ONG, après avoir été formés à la confection de produits alimentaires ou artisanaux, peuvent vendre ces marchandises et ainsi se créer des métiers.

Beit Kanz, le dernier trésor en date de Beit el-Baraka

Maya Ibrahimchah, instigatrice du projet, que tous s’accordent à surnommer « notre ange tombé du ciel ». Photo Lyes Zgheib

En écoutant Maya Ibrahimchah raconter l’ONG Beit el-Baraka qu’elle a fondée en 2019, comment ne pas être à la fois pris d’une immense colère et d’une envie de juste saluer les infinis efforts qu’elle n’a cessé de déployer ? Une immense colère à l’idée que les tranches les plus fragiles de la population libanaise, à savoir les enfants et les plus de 65 ans (qui constituent à eux seuls 11 % de l’ensemble des Libanais), n’ont jamais été aussi vulnérables. Le constat est effarant : d’un côté, 80 % des personnes âgées sont aujourd’hui laissées pour compte, sans plan de retraite aucun ; et d’un autre, selon une étude récente de l’Unicef, 70 % des familles libanaises se disent désormais incapables de scolariser leurs enfants.

Et donc aussi une envie de saluer les efforts de Beit el-Baraka, en découvrant qu’en trois ans d’existence seulement, afin de combler le vide abyssal provoqué par l’État dont l’absentéisme ne mérite même plus d’être mentionné, l’ONG en question a réussi à créer un filet de protection pour 226 000 familles de retraités et 32 000 familles d’enfants en situation de précarité. Si l’on venait à compter l’ensemble des membres directement ou indirectement soutenus par ces initiatives, le chiffre équivaudrait à plus de 5 % de la population libanaise. Tout cela pour dire que cornaquée par Maya Ibrahimchah – que les bénéficiaires de l’ONG appellent de concert « notre ange tombé du ciel » – Beit el-Baraka aura en si peu de temps accompli le travail d’une vie ; et en tout cas carrément remplacé ce qui est censé être fait par l’État.

Aujourd’hui, à travers son plus récent projet en date, Beit Kanz, dont l’ouverture est prévue pour le 10 octobre, Beit el-Baraka entend proposer un nouveau petit modèle socio-économique qui permettra « non seulement de continuer à aider et sauver le plus grand nombre de gens qui font partie de nos bénéficiaires, mais aussi et surtout de leur offrir une infrastructure qui leur permettra de vendre localement et internationalement les produits alimentaires et artisanaux qu’ils ont été formés à fabriquer. En somme, de leur créer des métiers, au lieu de simplement leur apporter de quoi se nourrir. La manière d’envisager la charité doit changer et être repensée », ainsi que l’explique la fondatrice de l’ONG.

Beit Kanz situé dans un superbe ancien immeuble à Tabaris sauvé par Beit el-Baraka. Photo Lyes Zgheib

Les piliers de la dignité

Jusqu’à cette date, les activités de Beit el-Baraka étaient réparties sur deux principaux embranchements. D’une part, le programme d’aide aux personnes âgées, qui repose sur ce que Maya Ibrahimchah a tenu à baptiser les « piliers de la dignité », et qui consistent en un supermarché gratuit où les bénéficiaires de l’ONG peuvent venir s’approvisionner, moyennant une carte mensuelle, en produits alimentaires disposés dans ce qui ressemble à une élégante épicerie ; une pharmacie gratuite et un volet architecture qui a piloté, notamment après la double explosion du 4 août, le réaménagement de 3 100 logements, 686 petits commerces, 4 écoles et 21 maisons traditionnelles, grâce à des fonds collectés auprès des expatriés.

Pour mémoire

Kanz, le trésor de Beit el-Baraka

D’autre part, sur le plan éducatif, et dans le but de venir en aide aux élèves menacés par une éviction de leurs écoles, le programme Forsa (en partenariat avec Murex, et avec le soutien des fondations CMA CGM et Tamari) qui se focalise sur le privé a permis de maintenir la scolarisation de 11 000 élèves et d’assurer le salaire de 7 600 professeurs répartis sur près de 100 écoles privées. « Nous avons également équipé 46 écoles en panneaux solaires, car l’approvisionnement en fuel reste leur plus grand coût. En éliminant ces coûts, d’un côté les élèves peuvent être scolarisés gratuitement et d’un autre les contributions des donateurs deviennent plus pérennes », souligne Maya Ibrahimchah. « Ces projets recouvrent à ce jour une base de données de près de 260 000 familles qui sont soutenues par nous, certes, mais qui dépendent de nous aussi. L’idée, à travers le projet Beit Kanz, était d’autonomiser ces bénéficiaires, de les libérer de l’emprise que la charité peut avoir sur eux. Et ce en leur créant des métiers, chacun selon ses compétences, et des revenus stables », raconte l’instigatrice du projet. Et de poursuivre : « Chacune des personnes âgées ou chacun des enfants que nous soutenons, au sein de sa famille un fils, une tante, une mère, un oncle, qui sont dotés d’une compétence ou d’un talent malheureusement inexploité. Nous avons non seulement identifié ces talents, mais ce nouveau projet a également permis de les former, en leur assurant à l’avance la vente des produits qu’ils auront fabriqués au sein de Beit Kanz. »

Le restaurant de Beit Kanz, beau et bon à la fois. Photo Lyes Zgheib.

Protéger, faire revivre et transmettre notre patrimoine

Beit Kanz, qui veut dire la maison du trésor, porte si bien son nom. Déjà de par le bâtiment qui accueille ce projet, un joyau architectural de la rue Sursock aux couleurs du soleil de Beyrouth. « Sa construction, qui a commencé en 1850, a évolué au fil des années avec le premier étage, rajouté en 1920, puis ceux du dessus dans les années 60. En ce sens, il raconte à lui seul l’histoire de l’urbanisme de la ville, et rien que pour cela, il méritait d’être sauvé. C’est ainsi que nous avons consacré 152 000 dollars des fonds collectés au lendemain de la double explosion du 4 août – et qui étaient attribués à la sauvegarde du patrimoine – à la réparation des façades, des murs et des plafonds de l’immeuble dans son intégralité ; et au réaménagement intégral du rez-de-chaussée où ouvrira Beit Kanz le 10 octobre, et ceci en échange de cinq ans de loyers gratuits. D’autres philanthropes parmi les expatriés ont assuré le financement pour payer les salaires des employés, souligne aussi Maya Ibrahimchah, installée sur l’un des sièges en rotin du patio à l’entrée de Beit Kanz. Ici, tout a été créé en suivant un modèle durable et holistique. Grâce à des donateurs incroyables, nous avons reçu toutes les matières premières, du bois, du marbre, des luminaires, des dalles, que nos artisans ont ensuite employé pour constituer l’ensemble de l’intérieur, sous la houlette de Diane Mecattaf. »

Pour mémoire

Grâce à Beit el-Baraka, un supermarché gratuit pour les retraités dans le besoin

On accède au hall central qui tient lieu de restaurant, le Café Kanz, en passant sous une enfilade de trois voûtes intérieures, et un mur recouvert d’un papier peint spécialement conçu par la maison De Gournay et à l’effigie du jasmin libanais. À droite du hall central, une épicerie sur les rayons de laquelle on retrouve les produits Kanz de mouné libanaise, de l’huile d’olive, des épices, de la « kammounet banadoura », du miel, du thym et toutes ces choses qui évoquent la confection de la mouné dans nos villages oubliés. « Quand on pense que des premières traces de mouné, datant de 12 000 avant J-C, ont été retrouvées au Liban, on se dit qu’il faut absolument sauvegarder cette tradition, en permettant aux agriculteurs et producteurs de gagner leur vie dignement », souligne la fondatrice de l’ONG, entourée par des piles de bocaux baptisés « bocaux de la dignité ».

Kanz by Beirut Bloomers est une boutique d’artisanats, en collaboration avec l’entreprise sociale Beirut Bloomers. Photo Lyes Zgheib

À gauche du hall central, Kanz by Beirut Bloomers est une boutique d’artisanat, en collaboration donc avec l’entreprise sociale Beirut Bloomers, « qui a formé des artisans que nous avons identifiés au travail du rotin, du cuivre, du verre, jusqu’à la fonderie de cloches. Ce pan du projet agit en quelque sorte comme le centre des arts et des métiers de Beit el-Baraka », explique Maya Ibrahimchah. Et d’ajouter : « L’idée qui sous-tend toute cette initiative est celle de la sauvegarde, de la relance et de la transmission du patrimoine culturel et culinaire libanais. » C’est sans doute cela qui l’a motivée à fonder le restaurant de Beit Kanz car, dit-elle « la construction d’un être humain se fait avant tout à travers ce qu’il mange, dans son assiette. À travers ce café et restaurant, le but est de refléter dans le menu tout ce qu’offre notre terre et de célébrer les femmes libanaises qui restent les gardiennes de ces traditions. Et, surtout, de renverser la donne puisqu’on était habitués à importer 80 % de ce que l’on mange, notamment depuis la suppression des subventions sur l’agriculture en 1993. Cette chose est impensable, d’autant plus que nous sommes situés au cœur du croissant fertile ! ».

Au fond de l’espace, enveloppée dans une sorte de petit jardin caractéristique de Beyrouth, une salle feutrée accueille une bibliothèque. Photo Lyes Zgheib

Voilà pourquoi Beit Kanz s’est associé avec Charles Hayek, fondateur de Heritage and Roots, pour la création d’un menu qui se parcourt comme un livre, où l’histoire de chacun des plats présenté est détaillée. « 12 000 ans d’un patrimoine culinaire », peut-on lire en préambule de cette carte de petit déjeuner, déjeuner et dîner, et où l’on a « l’impression de manger comme chez sa grand-mère ». Au fond de l’espace, enveloppée dans une sorte de petit jardin caractéristique de Beyrouth – avec des jasmins et des orangers –, une salle feutrée accueillera une bibliothèque, où « les intellectuels de cette ville, qui sont notre richesse sans doute la plus importante et qui ont été eux aussi malheureusement jetés dans la précarité, peuvent venir à toute heure bouquiner et passer du temps », conclut Maya Ibrahimchah dont on ne saluera jamais assez les infinis efforts qu’elle n’a cessé de déployer pour ce pays et, surtout, pour la dignité de son peuple. Cette dignité que, grâce à elle et Beit el-Baraka, personne ne pourra arracher aux Libanais.

* Beit Kanz, rue Sursock. Inauguration le 10 octobre. Horaires d’ouverture de 8h à minuit.

En écoutant Maya Ibrahimchah raconter l’ONG Beit el-Baraka qu’elle a fondée en 2019, comment ne pas être à la fois pris d’une immense colère et d’une envie de juste saluer les infinis efforts qu’elle n’a cessé de déployer ? Une immense colère à l’idée que les tranches les plus fragiles de la population libanaise, à savoir les enfants et les plus de 65 ans (qui constituent...

commentaires (3)

Sans autres commentaires, le mega travail de Mme. Maya Ibrahimcha est simplement édifiant, généreux, humain et si, si désintéressé! Mme vous méritez au moins le grand commandeur de l'Ordre du Mérite libanais!Mais puisque vous êtes "l'ange tombé du ciel" vous pouvez vous passer de toutes les félicitations! Quand même, un grand BRAVO!

Zaarour Beatriz

21 h 14, le 06 octobre 2022

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • Sans autres commentaires, le mega travail de Mme. Maya Ibrahimcha est simplement édifiant, généreux, humain et si, si désintéressé! Mme vous méritez au moins le grand commandeur de l'Ordre du Mérite libanais!Mais puisque vous êtes "l'ange tombé du ciel" vous pouvez vous passer de toutes les félicitations! Quand même, un grand BRAVO!

    Zaarour Beatriz

    21 h 14, le 06 octobre 2022

  • Bienvenu au pays de toutes les contradictions. Tout ce faste dans un pays qui manque de tout pour une ONG qui vient à l’aide des plus démunis est ce une nécessité? Cela nous rappelle le faste des églises et des cathédrales dans les misérables. Je ne veux pas être amère ni cracher dans la soupe populaire mais le contraste est édifiant et même indécent.

    Sissi zayyat

    11 h 49, le 06 octobre 2022

  • ...Mais Beit el Baraka a commencé a aménager le quartier des jésuites, le jardin des Jésuites et surtout l immeuble Landmark historique 1945, l' Imm.Jésuite a Rmeil, et allez hop,mauvaise surprise, ils ont quitté, disparu....laissant le travail et le chantier à moitié fait ! Mauvais ça....

    Marie Claude

    07 h 18, le 06 octobre 2022

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