Au cours de la première séance parlementaire consacrée à l’élection d’un président, le Hezbollah a choisi de rester sur terrain neutre face à un camp adverse qui a opté pour la confrontation. Au total, ce sont 63 députés majoritairement issus du bloc mené par le parti chiite qui ont suivi l’ordre de voter blanc. La démarche prouve une fois de plus que la formation pro-iranienne est capable de souder les rangs de son camp dans les moments critiques. Elle prouve aussi que le Hezbollah est conscient de son incapacité à imposer un candidat parmi ses deux alliés. Le parti a donc soigneusement évité de proposer la candidature du chef des Marada, Sleiman Frangié, préférant le mettre à l’abri du risque d’être grillé lors d’une séance qui ne mènera à rien. Surtout qu’il lui manque l’aval du chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, jusque-là réticent à appuyer son principal rival dans la course à Baabda. C’est comme si le Hezbollah annonçait, à travers ses bulletins blancs, une vacance inévitable à la tête de l’État. D’où l’urgence à ses yeux de débloquer le processus gouvernemental, sachant que la clé là aussi est entre les mains de... Gebran Bassil.
« Nous ne sommes pas encore prêts »
Le Hezbollah l’a compris. Au sein du nouveau Parlement issu des législatives de mai dernier, aucun camp ne peut prétendre détenir à lui seul la majorité. Le secrétaire général du parti Hassan Nasrallah l’avait d’ailleurs avoué à demi-mot il y a deux semaines en se prononçant en faveur d’un compromis élargi autour du futur chef de l’État. « Un tel accord serait une très bonne chose. Mais ce qui est sûr à ce stade, c’est que nous ne sommes pas encore prêts à l’élection du président », reconnaît dans une déclaration à L’Orient-Le Jour Hussein Khalil, conseiller politique de Hassan Nasrallah. « Nous sommes en concertation avec nos alliés. Et c’est à l’issue de ces contacts que nous dirons notre dernier mot », ajoute le haut responsable chiite. « À ce stade, le Hezbollah ne voudrait certainement pas dévoiler toutes ses cartes, surtout qu’il est conscient que lors de la séance de jeudi, Sleiman Frangié n’allait pas obtenir les voix requises pour son élection (86 sur 128 au premier tour) », estime Kassem Kassir, analyste proche du parti chiite.
Entre Frangié et Bassil
Une autre interprétation du choix du Hezbollah voudrait que ce dernier soit tiraillé entre ses deux alliés présidentiables. Car pour mener le chef des Marada – son favori non déclaré et allié du président du Parlement Nabih Berry – à Baabda, le parti a besoin d’un Gebran Bassil (et ses 19 députés), lequel se dit non candidat, mais qui refuse de faciliter la tâche au leader de Zghorta. « Même Hassan Nasrallah ne pourra pas me convaincre de voter Frangié », avait tonné le leader du parti orange dans une interview accordée la semaine dernière à notre confrère an-Nahar, s’affirmant de nouveau comme un des principaux faiseurs de président. « Que personne n’essaie de nous faire fléchir. Nous n’avons pas lutté pendant des décennies (pour la bonne représentativité des chrétiens à la présidence de la République) pour finir par élire Sleiman Frangié », tranche pour sa part Eddy Maalouf, ancien député CPL du Metn. Il fait référence à la faiblesse du poids parlementaire du chef des Marada qui n’a pu faire élire que son fils Tony lors des dernières législatives. C’est pour contrer cette logique que le Hezbollah pourrait avoir d’autres calculs, notamment présenter, le moment opportun, Sleiman Frangié comme un candidat de consensus qui pourrait obtenir l’aval des principaux protagonistes. Très marqué 8 Mars, l’intéressé œuvrerait lui-même dans cet objectif. « Je ne suis pas le candidat du Hezbollah », avait-il lâché dans une interview récemment accordée à la chaîne MTV.
En attendant, le parti chiite ne semble pas lâcher prise face à l’intransigeance du CPL. « Nous poursuivrons le dialogue avec nos alliés en vue de parvenir à un terrain d’entente », dit Hussein Khalil. Ce dernier n’exclut même pas de prendre une troisième voie. « Il n’est pas vrai que nous nous trouvons au pied du mur car nous pourrons bien soutenir un troisième allié », suppute-t-il. « Le Hezbollah n’est pas embarrassé face à Sleiman Frangié et Gebran Bassil, son problème actuellement est ailleurs, estime de son côté Fayçal Abdel Sater, analyste gravitant dans la galaxie du parti pro-iranien. Il craint le vide total à la tête de l’exécutif et veut voir le gouvernement formé le plus rapidement possible. »
Quid du gouvernement ?
La source de cette peur ? Les menaces du président Michel Aoun - qui refuse de remettre le pouvoir à un cabinet sortant - de rester à Baabda après le 31 octobre si son successeur n’est pas élu. Pour convaincre donc Gebran Bassil de lâcher du lest sur le dossier présidentiel, le Hezbollah va donc devoir mener un forcing pour que les demandes de son allié au sujet du cabinet soient satisfaites. Selon notre chroniqueur politique Mounir Rabih, M. Bassil exige que la future équipe adopte une série de nominations administratives et judiciaires, notamment le limogeage du gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, bête noire de Baabda. Dans certains milieux proches du Hezbollah, on croit savoir en outre que c’est la demande du chef du CPL de remplacer trois ministres chrétiens qui aurait remis les compteurs à zéro. En début de semaine, tout prêtait à croire en effet que la mise en place du cabinet était imminente. Le Premier ministre désigné Nagib Mikati était attendu à Baabda à son retour de New York pour une réunion avec Michel Aoun. Coup de théâtre : c’est le directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim, qui s’est finalement chargé de cette initiative. L’homme des missions difficiles est entré en scène pour aplanir les obstacles apparus subitement. Commentant pour L’OLJ sa médiation entre Baabda et le Sérail, Abbas Ibrahim se veut très optimiste. « Je fais la navette quotidiennement entre le président et le Premier ministre. Et nous sommes actuellement en train d’apporter les dernières retouches à la future équipe », affirme-t-il. « Nous sommes dans la dernière ligne droite. Attendez-vous à un gouvernement dans les prochains jours », confirme Hussein Khalil.
commentaires (11)
Il est triste que notre pays est tributaire d’un barbue avec turban. Où est le Liban phare de Moyen Orient?! Merci M. le Président d’avoir fortifié le pouvoir de Hassouna pendant 6 ans de grande M.
Georges S.
18 h 30, le 01 octobre 2022