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Du noir sous tout ce blanc

Pour le coup d’envoi jeudi de l’élection présidentielle, on aura vu s’affronter sur ce terrain, décisif entre tous, deux camps; mais aussi deux visions du Liban, deux philosophies politiques, deux tactiques, deux stratégies.


L’opposition, pour son honneur, a joué franc jeu. Elle qui comptait dans ses rangs plus d’un présidentiable a atteint un remarquable degré de cohésion en alignant celui d’entre eux qui pouvait recueillir le plus de suffrages. Pour ce premier tour de piste, Michel Moawad a d’ailleurs marqué un score fort honorable. Et si, à l’issue du scutin, le député de Zghorta a fait part de sa détermination à améliorer ce chiffre en multipliant les ouvertures en diverses directions, il n’a en rien édulcoré les principes de souveraineté nationale, de primauté de l’État, du règne des institutions, qu’il défend avec ses compagnons.


Soit que ses petites guerres intestines l’aient empêché de se doter d’un candidat, soit qu’il juge prématuré d’abattre ses cartes, c’est par une salve de bulletins blancs qu’a riposté le camp d’en face. C’est de bonne guerre, serait-on tenté de dire, si seulement la manœuvre n’était que ponctuelle, passagère. Si les funestes pratiques du passé, auxquelles se sont ajoutées d’incessantes polémiques sur l’interprétation de la Loi fondamentale, n’étaient pas encore dans toutes les mémoires. Si toute cette blancheur étalée jeudi n’avait en réalité rien d’innocent, si elle ne camouflait pas, fort mal d’ailleurs, de noirs desseins.


Le plus sombre de ceux-ci est bien sûr le torpillage méthodique, durable, du quorum à l’Assemblée. Lequel quorum, faut-il le rappeler, n’est entré dans nos mœurs parlementaires que par voie de jurisprudence, et non par prescription expresse de la Constitution. En toute logique, ce quorum, une fois réalisé, devrait être définitivement acquis. C’est bien à seule fin d’élire un président, sans délai ni débat, qu’a en effet été convoquée la Chambre, les tours de scrutin devant donc s’enchaîner sans interruption jusquà ce qu’élection s’ensuive : cela par suite de transferts de voix ou alors d’humaine lassitude. Mais un tel marathon serait sans doute trop demander à un législatif viscéralement porté sur la fainéantise et livré aux expéditifs bidouillages d’un chef tour à tour despotique et facétieux…

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À moins d’un basculement de suffrages résultant aussi bien de retournements locaux que de ces classiques mots d’ordre issus de l’étranger, l’élection présidentielle se trouve pour le moment définie (et enfermée !) dans l’équation suivante, laquelle relève plutôt du cercle vicieux. Aucun des deux grands blocs en présence, et qui sont d’égale importance numérique, n’est ainsi en mesure d’installer son poulain au palais de Baabda ; en revanche, chacun d’eux est capable d’interdire à l’autre le même et convoité emménagement. Pour mettre fin à l’impasse, paraît ainsi s’imposer à l’évidence un consensus, ou pour le moins une entente, autour de la personne du futur chef de l’État : c’est la solution pour laquelle plaide à cor et à cri l’incontournable Berry, qui ne convoquera à nouveau l’Assemblée que si un tel développement prend forme.


Resterait tout de même à se mettre d’accord sur le choix de l’oiseau rare. Notre pays ne manque certes pas de personnalités n’appartenant pas nécessairement à l’establishment politique, et qui offrent toutes les garanties de probité, d’intégrité, de patriotisme, de respectabilité domestique et internationale, de sens de la justice sociale comme de la justice tout court, et bien d’autres qualités morales que requiert le job. D’obtenir l’agrément de tous, concédé avec plus ou moins d’enthousiasme ou de résignation, ne serait toutefois qu’un premier pas ; aurait été ainsi satisfaite une condition nécessaire bien sûr, mais en aucun cas suffisante. À toutes les vertus énoncées plus haut, devrait impérativement s’ajouter un courage à toute épreuve, ainsi que la fermeté, le muscle et au besoin l’audace qui vont avec, dès lors que l’on touche à des thèmes aussi vitaux que l’indépendance, la souveraineté et la suprématie de l’État. Sans poigne, la conciliation à tout prix ne peut être que rampant angélisme, et tout compromis n’est plus alors que compromission.


Ce n’est pas d’un modérateur de table ronde, théoriquement hissé au faîte du pouvoir, qu’a besoin aujourd’hui notre infortuné pays. Ce n’est pas non plus un simple gestionnaire de crise qu’attend le peuple, mais un démolisseur de domaines réservés, un président non lié par contrat avec quelque parti, milice ou groupe d’intérêts.


En deux mots comme en mille, un président libre.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Pour le coup d’envoi jeudi de l’élection présidentielle, on aura vu s’affronter sur ce terrain, décisif entre tous, deux camps; mais aussi deux visions du Liban, deux philosophies politiques, deux tactiques, deux stratégies. L’opposition, pour son honneur, a joué franc jeu. Elle qui comptait dans ses rangs plus d’un présidentiable a atteint un remarquable degré de cohésion en...