Lorsqu’ils racontent les raisons qui les ont poussés à revenir en été au Liban malgré la crise qui mine le peuple et le pays, leur voix est empreinte de la nostalgie « d’un pays qu’ils ont dû quitter parce qu’il le fallait », du plaisir de retrouver les « vrais amis que l’on ne se fait plus », et surtout du besoin de faire « le plein de chaleur et d’affection ». De New York où elle étudie depuis un an, Clara Azzi avoue « ne plus savoir qui elle était et ce qui la définissait ». « J’étais perdue et j’avais besoin de me ressourcer, de retrouver mes repères, et surtout de ne plus me sentir un “ numéro ” dans un pays où l’on a tout, mais où l’on manque de l’essentiel », affirme-t-elle. Un sentiment que partage Maria el-Hage, jeune doctorante en valorisation de déchets agroalimentaires à l’université de La Rochelle, en France.
L’étudiante, qui avait effectué au printemps passé un stage en microbiologie alimentaire à l’université de Caen-Normandie, confie que « la chaleur de la famille et les vrais copains » lui manquent énormément à Caen et cela « malgré la gentillesse des gens » qui l’entourent. Malgré leur impatience de se replonger dans le pays qu’ils appellent avec beaucoup de tendresse « notre maison », ces jeunes confient qu’à leur arrivée cet été, c’était le choc. « On a beau suivre les nouvelles de l’extérieur, savoir que le Liban est plongé dans des pénuries incroyables, ce n’est qu’une fois sur place que l’on réalise l’ampleur de la situation », admet tristement Mia Morkos qui a pourtant grandi au Liban, a vécu le 4 août 2020, et a connu la dégradation de la vie économique et sociale. « Cette misère que l’on côtoie partout, à chaque coin de rue, dans le regard des gens, à la vue des petits enfants qui fouillent dans les poubelles à la recherche de nourriture, est pire que lorsque je suis partie il y a un an, ou même lors de mon retour à Noël dernier », relève la jeune étudiante en 3e année de management à l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP).
Georges Sfeir, également étudiant à l’ESCP, partage les mêmes impressions. Le jeune homme confie que c’est la première fois qu’il ressent aussi fort le décalage social entre les « nouveaux pauvres » et ceux qui n’ont pas été réellement touchés par la crise. « J’ai fait beaucoup de tourisme avec mes parents cet été. La misère que j’ai côtoyée dans des villes comme Tripoli m’a bouleversé. Je ne m’attendais pas à cela. Mais finalement, plus l’on côtoie les gens qui nous entourent et plus on remarque, que, malgré certaines apparences trompeuses, tout le monde a été impacté par la crise d’une manière ou d’une autre », estime-t-il en racontant l’été fou qu’il a passé, entre Faraya, Batroun et Mar Mikhaël. « Même les copains qui vivent au Liban et qui ne sont pas autant concernés par cette crise, sont tout de même conscients que tout ne va pas bien comme le montre l’effervescence de cet été. »
Passé le premier choc, l’euphorie des nuits folles de Beyrouth
Après deux ans de confinement, trois années de crise économique éprouvantes, et surtout l’explosion du 4 août 2020 qui a bouleversé tous les esprits, « les jeunes Libanais n’en peuvent plus », lance Anthony Trad qui étudie les sciences politiques à l’université de Warwick en Angleterre, comme pour justifier les soirées folles qu’il a vécues avec ses copains. « J’ai rarement vu autant de jeunes sortir, s’amuser et s’éclater, comme cet été. En fait, ils veulent vivre le moment présent parce qu’ils ne savent pas ce que leur réserve l’avenir », estime le jeune homme qui se dit conscient « du privilège de faire partie des 5 % de la population non touchés par la crise ». Ainsi, « pour rattraper ces années perdues », les jeunes qui peuvent se le permettre ont vécu intensément chaque instant. Ils ont dépensé sans compter, claqué des sommes énormes pour réserver leur table dans les rooftops les plus huppés de la ville, ont assisté aux plus beaux couchers de soleil sur les hauteurs des montagnes libanaises et se sont éclatés comme ils ne l’avaient jamais fait auparavant.
Malheureusement, ce train de vie est inaccessible pour un grand nombre d’autres jeunes. Rawad Farah, étudiant à l’Université libanaise qui avait obtenu une bourse pour poursuivre des études en sciences politiques à Paris, raconte s’être privé d’un tas de choses pour pouvoir payer son billet d’avion pour le Liban. « J’ai été bouleversé par les conditions dans lequel vivent mes proches. C’est pire qu’en septembre dernier lorsque je suis parti », confie-t-il tristement. « Mes amis sortent rarement, ne vont pratiquement plus dans les restaurants vu le prix de l’essence, broient du noir à longueur de journée quant à leur avenir, l’UL étant toujours en grève. La seule sortie que nous avons pu faire ensemble cet été, c’était une journée à la plage où j’ai été stupéfait par les prix exorbitants. Quant à mes parents, même s’ils évitent d’en parler, je lis l’angoisse dans leur regard. Et cela me fend le cœur. J’ai toujours un sentiment de culpabilité d’avoir pu partir et de jouir d’une vie de confort moins stressante, alors qu’eux n’ont pas pu le faire », ajoute-il.
Ces chères vacances
Si certains jeunes admettent ne s’être privés de rien, ils avouent à l’unanimité avoir été souvent abasourdis par les prix excessifs des choses et des restaurants, et surtout ressentir un « sentiment de culpabilité de vivre et dépenser de la sorte, lorsque les autres crèvent de faim ». « Quand je pense aux salaires que doivent toucher ces barmans qui se tuent à la tâche jusqu’à des heures impossibles de la nuit, ou à ces gens qui n’ont rien à manger et ont souvent le frigo vide, j’ai honte de payer autant pour un dîner ou pour les verres de scotch que l’on consomme à prix d’or », avoue Mia Morkos. « Même si nous faisons partie des privilégiés qui peuvent encore se payer le luxe de sortir, rien ne justifie le prix excessif des produits et des sorties souvent plus chers qu’en Europe », renchérit à son tour Chloé Samaha, étudiante en génie biomédical à Lausanne. Une situation qui révolte Malek Sayegh. « Tout le monde vole tout le monde et profite de la situation et du retour des expatriés », accuse rageusement l’étudiant en journalisme à Paris. « Cela a toujours existé, mais aujourd’hui c’est scandaleux. Le comble, c’est que le peuple se complaît dans cette situation et accepte de payer cher, même lorsque c’est injustifié. » Maria el-Hage compare les prix au Liban à ceux des même produits ou services à Caen, et confie ne pas comprendre leur hausse vertigineuse. « Dans tous les pays du monde, il y a différentes échelles de prix. Tout le monde peut arriver à se payer de petites sorties, selon leur budget. » Pas au Liban où les « nouveaux pauvres », minés par la crise, sont privés de tout. « Et c’est cela qui est injuste au Liban », s’énerve-t-elle.
commentaires (2)
Sauf que les dés étaient pipés, cher intervenant anonyme.
Paul-René Safa
07 h 25, le 24 septembre 2022