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Lifestyle - Photo-roman

Qui pleurera les dirigeants libanais ?

Aujourd’hui, alors que le Royaume-Uni et le monde entier regrettent la reine d’Angleterre, cette figure rassurante et matriarcale, cette femme-talisman, je ne peux m’empêcher de me demander : que se passera-t-il le jour où les nôtres de dirigeants viendront à mourir ?

Qui pleurera les dirigeants libanais ?

Elizabeth II au jubilé de platine de son règne, célébré en juin 2022. Leon Neal/AFP

Le matin du 31 août 1997. Comme vous, j’en suis certain, je ne pourrai jamais oublier ce matin du 31 août 1997. Je n’avais que sept ans ce jour-là, mais c’est comme si c’était hier, ma mère totalement immobilisée devant le poste de télévision de la maison où l’on passait l’été ; à ce point triste et tétanisée qu’elle ne s’était même pas rendu compte que je m’étais réveillé. C’est comme si c’était hier, le téléphone de la maison qui ne s’arrêtait pas de sonner, le Nokia 2110 à antenne de ma mère qui ne s’arrêtait pas de sonner, la porte qui ne s’arrêtait pas de sonner et la mine complètement défaite des amis qui, à leur tour, venaient se coller au poste de télévision sans ciller. Il y avait même des larmes, des mouchoirs froissés sur la table basse. J’avais compris que quelqu’un « de proche » était mort. C’était comme si c’était hier, le silence solennel de la salle de séjour dont on aurait cru que c’est une salle de réception funéraire ; les chut qu’on me lançait parce que je voulais comprendre ce qui était en train de se passer puis la voix grave de Martyn Lewis de la BBC qui répétait la nouvelle. « This is BBC Television from London, Diana Princess of Wales died after a car crash in Paris. » Les images de Lady Di sortant du Ritz, place Vendôme, à travers la porte à tambour, et puis l’image de la Mercedes Benz S280 noire chiffonnée dans le tunnel de l’Alma à Paris. C’est comme si c’était hier.

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Je me souviens, quelques jours plus tard, le 6 septembre 1997 précisément, de ses funérailles auxquelles j’avais assisté devant ce même poste de télévision, avec encore une fois un monticule de Kleenex froissés sur la table basse. Je me souviens des tapis infinis de roses jaunes, d’œillets mauves, de tournesols, de gypsophiles et de lys blancs dans de la cellophane devant le portail du Buckingham Palace, devant le portail du Kensington Palace. Je me souviens des unes du Sunday Times, du Mail, du Sun, du Mirror, du Metro et du Daily Telegraph : à chaque fois, une nuance du sourire trouble et troublant de Lady Di, son regard toujours planqué sous sa frange couleur de blé, sa tête éternellement penchée. Je me souviens surtout des larmes des foules écrasées par le soleil d’un été Londonien, je me souviens de cet homme noir qui se cognait la tête contre la grille du Kensington Palace en pleurant de tout son corps, le cœur fendu et un ballon rose dans la main. Je me souviens d’Elton John derrière son piano noir à Westminster Abbey, Goodbye England’s Rose. Je me souviens des larmes de ma mère qui, comme tant de mères orientales, pleurait cette Princesse des cœurs que tout le monde avait l’impression de connaître sans la connaître. Je n’avais jamais compté autant de larmes que ce 6 septembre-là. Jamais autant de tristesse pour la mort d’une figure de pouvoir, une figuré liée à l’État. Tout cela m’avait semblé d’autant plus étrange, d’autant plus incompréhensible que, dans la région où je suis né, j’ai grandi en ne voyant que des peuples brûler les portraits de leurs dirigeants, vandaliser puis renverser leurs statues et piétiner leurs photos. Rarement a-t-on vu un peuple, de ce côté du monde, pleurer l’un de ses gouvernants, à moins d’être bouché, à moins d’avoir été payé ou menacé de mort pour le faire. Aujourd’hui, la reine d’Angleterre est morte. Et c’est une Grande-Bretagne que l’on retrouve à nouveau endeuillée, comme en septembre 1997. La peine d’Angleterre, titre génial en une de Libération du vendredi 9 septembre. Les mêmes images que septembre 1997 commencent déjà à revenir, et l’on reverra à nouveau les larmes des foules écrasées sous le ciel de Londres, et les ballons, et les tapis de roses et de gypsophiles, et de lys, et de tournesols dans de la cellophane, devant les portails de Buckingham Palace et de Balmoral Castle. Et les unes du Sunday Times, du Mail, du Sun, du Mirror, du Metro et du Daily Telegraph, cette fois avec le visage froid, froissé, mais réconfortant d’Elizabeth II.

Et si les nôtres de dirigeants venaient à mourir ?

Certes, le monde pleure et pleurera Elizabeth II pour des raisons très différentes de celles qui l’ont fait pleurer Lady Di. Lady Di, c’était cette figure fragile, cassée, pleine de failles, que l’on avait tous l’impression de connaître sans la connaître. Cette icône humaine, humaniste, qui a tendu la main – au propre et au figuré – à tout le monde, partout et sans jamais faire de différence. La reine, en dépit de ce que l’on peut penser de la monarchie (et je suis le premier à abhorrer ce concept), en dépit de ce que l’on peut lui reprocher par rapport aux sombres conséquences du colonialisme auxquelles elle n’a jamais réellement fait face, restera cette figure protectrice, presque talismanique. Elle restera cette toute petite mais géante dame vers qui le pays avait l’habitude de se tourner quand les choses ne vont pas. Cette figure matriarcale, éternelle, qui savait, avec son autorité rassurante et sa voix de gamine, réconforter tout un peuple et lui promettre que tout ira bien, même au plus fort des tempêtes. C’est cela que le Royaume-Uni et le monde pleureront surtout.

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Aujourd’hui, vingt-cinq ans après la mort de Lady Di, du pays cassé d’où je viens, malmené qu’il a toujours été par une poubelle de classe dirigeante, ces larmes pour la reine me semblent encore plus étranges, incompréhensibles. Et je ne peux m’empêcher de me demander : et si les nôtres de dirigeants venaient à mourir ? Nos dirigeants qui, pour des raisons obscures, ont choisi de décréter quatre (oui, quatre) jours de deuil national en hommage à Elizabeth II ; quand aucun d’eux n’a versé une seule larme pour les victimes de la double explosion au port, les victimes de leur propre crime. Le jour où ils mourront, que regretterons-nous d’eux, à part qu’ils ont trop vécu ? Que restera-t-il d’eux, à part l’enfer qu’ils ont créé où ils nous ont ensuite jetés ; à part le sang et les larmes qu’ils ont fait couler ? Que titreront les journaux, sinon qu’ils ont été les pires dirigeants du monde ? Que chantera-t-on à leurs obsèques, sinon Goodbye and Good Riddance, Lebanon’s Thieves and Criminals, Adieu et bon débarras ? Comment nous souviendrons-nous d’eux, hormis qu’ils ont été les ultimes ordures de l’histoire ? Qui les pleurera, qui versera ne serait-ce qu’une larme pour eux, et qui ira leur déposer des ballons, et des roses, et des tournesols, et des lys, et des gypsophiles aux portails de leurs palais volés ?

Le matin du 31 août 1997. Comme vous, j’en suis certain, je ne pourrai jamais oublier ce matin du 31 août 1997. Je n’avais que sept ans ce jour-là, mais c’est comme si c’était hier, ma mère totalement immobilisée devant le poste de télévision de la maison où l’on passait l’été ; à ce point triste et tétanisée qu’elle ne s’était même pas rendu compte que je...

commentaires (10)

faut cracher des maintenant dans les trous! Ceux qui sont cachés comme des rats depuis des années!

Assouad Fady

20 h 00, le 12 septembre 2022

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Commentaires (10)

  • faut cracher des maintenant dans les trous! Ceux qui sont cachés comme des rats depuis des années!

    Assouad Fady

    20 h 00, le 12 septembre 2022

  • J'ai hâte d'aller cracher sur leur tombe.

    Achkar Carlos

    16 h 41, le 12 septembre 2022

  • Nous leur promettant de les pleurer tous et chaudement s’ils meurent en même temps par un phénomène paranormal. Ce sera certainement de joie.

    Sissi zayyat

    14 h 28, le 12 septembre 2022

  • "... Qui pleurera les dirigeants libanais? ..." - Les votants du CPL? J'ai tout juste? Qu'est-ce qu'on gagne?

    Gros Gnon

    13 h 59, le 12 septembre 2022

  • QUI POURRAIENT PLEURER LES ANIERS DE LA GRANDE ETABLE LIBAN QUI BRAIENT ET SE DONNENT DES COUPS DE SABOTS LES UNS AUX AUTRES ET SOUVENT EN L,AIR MEME... QUI ? SINON LES ANES, MULETS ET MAINTS BETAILS QU,ILS NOURRISENT D,HERBE SECHE, D,AVOINE ET DE PROMESSES VIDES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 53, le 12 septembre 2022

  • Si, si , nous allons tous pleurer ! De joie !

    Otayek Nada

    09 h 06, le 12 septembre 2022

  • OLJ,les muppets shows qu on a ici ne sont pas ds dirigeants...c est des agents criminels, sans foi ni loi. Vous vous posez la question qui va les pleurer? On attend impatiemment leur mort a tous...qui n arrive pas encore,alors que leur moyenne d age est de 80 ans !!

    Marie Claude

    07 h 29, le 12 septembre 2022

  • Seuls les livres d'histoire (truqués) du Liban les évoqueront. Ceux du monde civilisé n'en ont cure. Circulez, pauvres minables.

    KASSIR Mounir

    05 h 52, le 12 septembre 2022

  • "Que titreront les journaux.?.." très probablement : "Très Bon débarras... quoique bien trop tard..."

    Wlek Sanferlou

    05 h 42, le 12 septembre 2022

  • Pour vu que Nos dirigeants meurent , je me propose d organiser leurs autodaphés Dans les meilleurs traditions Hindu

    Robert Moumdjian

    03 h 31, le 12 septembre 2022

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