Critiques littéraires Essais

Teutons contre Anglo-Saxons, l'obsession cachée d’Hitler

Teutons contre Anglo-Saxons, l'obsession cachée d’Hitler

D.R.

Il doit exister maintenant plusieurs centaines de milliers de volumes consacrés à Hitler et au IIIe Reich. Ils sont le produit de leur époque tout en apportant à chaque fois de nouvelles données factuelles et de nouvelles interprétations.

Ces dernières années, le débat a porté sur « l’hitlerocentrisme », la concentration portée sur la personnalité du dictateur et de ses décisions au détriment de l’idéologie globale du nazisme et l’univers mental de ses acteurs. L’insistance sur les bourreaux a permis de mieux saisir les logiques d’extermination sans avoir recours au chef suprême, mais il n’en reste pas moins que c’est lui qui a fixé les orientations décisives.

Cette biographie s’appuie très largement sur la très abondante littérature sur le nazisme et n’a pas l’ambition de remettre en cause les travaux précédents. Elle est d’un côté une habile synthèse, et de l’autre l’ouverture de nouveaux champs de recherche. Plus exactement, elle éclaire de façon originale certains aspects jusque-là peu étudiés.

Né en 1889 dans un milieu modeste autrichien et ayant des ambitions d’artistes contrariées, Adolf Hitler s’est établi à Munich en 1913 et s’est porté volontaire pour être mobilisé dans l’armée bavaroise en 1914. En dehors du nationalisme allemand, on ne lui connaît pas alors d’idées politiques et on n’a aucune indication d’antisémitisme de sa part.

C’est dans la guerre que se forme sa personnalité. L’élément essentiel est que dans son secteur du front de l’Ouest, il a essentiellement affronté des soldats britanniques mais aussi canadiens australiens et néo-zélandais. C’est là qu’il acquiert sa vision du monde largement fondée sur le respect et la crainte de la puissance britannique. En 1918, c’est le tour des soldats américains.

Il en tire le sentiment que les Anglo-Saxons constituent la race supérieure et que les Allemands ont perdu beaucoup de leurs valeurs avec leur émigration massive en Amérique du Nord entre 1815 et 1914. Un dixième de la population nord-américaine est d’origine allemande en 1900.

Le second élément de cette période est le terrible impact du blocus allié sur la société allemande. Les élites comme les gens du peuple ont eu le sentiment d’être soumis à un projet d’extermination.

En 1919-1920, l’autodidacte qu’il est se dote d’une idéologie lui permettant de donner sens à ce dont il est témoin : l’humiliation de l’Allemagne a pour origine la puissance du capitalisme anglo-américain et juif, lequel utilise divers instruments, notamment le communisme révolutionnaire, pour maintenir la sujétion du Reich. En ce sens, son anticapitalisme est bien plus puissant que son anticommunisme, et son antisémitisme s’articule sur le dévoiement de la race supérieure, et accessoirement des autres races, par les juifs.

En réfléchissant sur la guerre, il en tire la conclusion que l’Allemagne a été battue parce qu’elle s’est heurtée à des empires : la France impériale avec ses troupes coloniales, la Grande-Bretagne avec les soldats de ses Dominions, les États-Unis qui est en soi un Empire continental. Les ennemis ont ainsi disposé d’immenses espaces et de ressources quasi-inépuisables contrairement à l’Allemagne.

N’ayant jamais visité ces pays, il fantasme totalement sur les réalités coloniales qu’il imagine fondées sur une oppression écrasante des populations conquises mises au service exclusif de leurs maîtres. De même, les États-Unis lui apparaissent comme le modèle à suivre avec son intransigeante ségrégation raciale, son refoulement meurtrier des indigènes et son eugénisme officiel.

Il faut donc que l’Allemagne se dote d’un espace vital, et celui-ci se trouve dans l’est de l’Europe ; cela permettra de relever le niveau des Allemands qui sont bien inférieurs aux Anglo-Saxons. De plus, la récente unité allemande est fragile et il faut la renforcer en régénérant les Allemands. L’échéancier est très variable. Hitler évoque parfois de très longs temps, mais il est en même temps préoccupé de sa propre mortalité et cherche à précipiter les événements. Après tout, le IIIe Reich n’a duré que douze ans.

La nouveauté de ce livre captivant, qui décrit chaque étape de la vie d’Hitler avec les détails essentiels, est d’insister sur le fait que Hitler et le IIIe Reich sont une réaction non à la Révolution russe mais à la domination anglo-américaine et au capitalisme mondial. La destruction des juifs d’Europe n’est pas une copie non conforme de la Terreur stalinienne, mais une frappe préventive contre l’Amérique de Roosevelt, d’où l’erreur fatale de minimiser en permanence la force de l’Union soviétique. La conquête de l’Europe est une reproduction caricaturale, sinistre et meurtrière du colonialisme européen.

Ces pages très stimulantes ouvrent de nouvelles perspectives. Hitler lui-même ne partageait pas la vision « nordique » de Himmler et de la SS ni la pseudo-scientificité du racisme nazi. Pour lui, les Allemands étaient plutôt un peuple composé de plusieurs races et inférieurs aux Anglo-Saxons. L’effort de guerre allemand a surtout été concentré contre ces derniers. Avant même les débarquements, la terrible guerre aérienne menée en Europe a consommé une part croissante des ressources disponibles et ainsi allégé la pression sur les Soviétiques.

Ce qui n’est pas abordé ici est la question de savoir combien les vues d’Hitler n’étaient pas de sa seule composition. La séparation entre « Anglo-Saxons » et « Teutons » date de la fin du XIXe siècle, la notion de domination de l’Europe de l’Est est au centre des réflexions des géopoliticiens allemands bien avant la Grande Guerre. Surtout le sentiment d’avoir été soumis à un projet d’extermination durant la Grande Guerre puis de domination du capitalisme américain sous la République de Weimar a été largement ressenti par beaucoup d’Allemands. En ce sens, le nazisme avec son effroyable brutalité est la reproduction inversée d’une perception assez commune entre 1914 et 1933.

Hitler, le monde sinon rien de Brendan Sims, Flammarion, 2021, 912 p.


Il doit exister maintenant plusieurs centaines de milliers de volumes consacrés à Hitler et au IIIe Reich. Ils sont le produit de leur époque tout en apportant à chaque fois de nouvelles données factuelles et de nouvelles interprétations. Ces dernières années, le débat a porté sur « l’hitlerocentrisme », la concentration portée sur la personnalité du dictateur et de ses...

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