Pièces de la collection « Delusion » de Lobnan Mahfouz sous le label « Perverse ». Photos Tarek Moukaddem
Lobnan Mahfouz célébrait il y a deux semaines les sept ans de son label Perverse. Dans le secteur de Mar Mikhaël détruit par la double explosion du 4 août 2020 qui avait aussi emporté les ateliers d’un grand nombre de créatifs de Beyrouth, le jeune couturier a choisi d’organiser une fête dans une bâtisse restaurée datant des années 1920. Par la même occasion, il présentait les 77 pièces de sa nouvelle collection, Delusion (Illusion en français).
Pièces de la collection « Delusion » de Lobnan Mahfouz sous le label « Perverse ». Photos Tarek Moukaddem
Textures, imprimés et illusions d’optique
« Pour un grand nombre de ses adeptes, affirmait Lobnan, la mode n’est qu’une illusion. » Le créateur, qui refuse de voir dans la mode un univers artificiel, rythmé par des diktats et des calendriers haletants, appelle à un éveil. Il veut ramener le vêtement à sa dimension réelle, celle d’un art de vivre, un moyen d’expression qui accompagne la vie dans tous ses moments. De sa longue expérience, bien que sa marque ait moins d’une décennie, Lobnan Mahfouz a déduit quelques constats : « Si ce n’est pas fait avec passion, nos clients n’en veulent pas. Si on ne crée que pour respecter les calendriers, les clients ne suivent pas. »
À propos de sa collection Delusion, il souligne que celle-ci a nécessité quatre mois de travail minutieux « pour aboutir à des pièces uniques d’une qualité de finition évidente ».
Dès le départ, le label Perverse se veut universel, sans barrières de genre. La collection se décline donc en pièces qui traversent avec aisance les vestiaires masculins et féminins. Elle est composée d’éléments frais, légers, faciles à vivre, qui flattent la silhouette et font effet sans effort. Les textures font intimement partie de ce vocabulaire. Une maille qui rappelle le cannage répond à un imprimé filet de pêche, en réalité un pointillé de pastilles oblongues, noir sur blanc, qui met en avant l’espace vide et crée, puisque c’est le sujet, l’illusion. Chemises larges, blanches ou bleu marine, à boutons pression ; variations sur le thème de la rayure, opaque/transparent ; mais aussi sur le concept même de la chemise, tantôt à manches larges et col Mao, tantôt d’inspiration orientale, en tunique à profond col V ; pantalons larges aussi, arrêtés un peu plus haut que la cheville, qui mettent en valeur la sensualité de ce détail anatomique et flattent toutes les silhouettes… Autant d’éléments qui ont été raflés en deux jours de fête continue. Il est heureusement resté une petite dizaine de pièces pour témoigner de ce moment irrigué de la joie d’un certain retour à la vie, envers et contre tout.
Pièces de la collection « Delusion » de Lobnan Mahfouz sous le label « Perverse ». Photos Tarek Moukaddem
« Sans voix »
« Dans cette maison patrimoniale des années 1920 au cœur de Mar Mikhaël où tout était mort il y a deux ans, je voulais vivre une expérience de renaissance pour moi et ma marque, à l’endroit même où toutes les blessures se sont produites », affirme le créateur. « Je voulais me prouver à moi-même et au monde que l’amour et la créativité gagnent toujours », ajoute-t-il, se réjouissant que cet événement de lancement ait été « une véritable folie ». « Je suis encore submergé par le succès du lancement de la collection », confie celui qui se dit « sans voix » et remercie avec émotion « chaque personne qui a cru en moi, m’a soutenu et a contribué à rendre le lancement de Delusion inoubliable ».
Pièces de la collection « Delusion » de Lobnan Mahfouz sous le label « Perverse ». Photos Tarek Moukaddem
« C’est merveilleux lorsque le travail acharné porte ses fruits. Ce qui compte pour moi, ce n’est pas de vendre et d’avoir une collection épuisée, c’est la passion et le fait de pouvoir continuer à avancer malgré tout ce qui se passe autour de soi. Je serai toujours passionné par ce que je fais et j’en tirerai toujours le meilleur parti », s’enthousiasme le jeune créateur.
Pièces de la collection « Delusion » de Lobnan Mahfouz sous le label « Perverse ». Photos Tarek Moukaddem
Pour « l’énorme melting-pot »
Né à Beyrouth en 1989, Lobnan Mahfouz prend conscience, à l’âge de 14 ans, que son amour inconditionnel pour l’art pouvait s’exprimer à travers la mode. En 2011, fort d’un diplôme d’honneur en stylisme et modélisme obtenu à ESMOD Beyrouth en 2011, il décroche des stages auprès de grands créateurs de la place et s’envole ensuite successivement en Turquie, en Inde et en Chine où l’appellent différentes missions liées aux textiles et à la mode de masse. En novembre 2015, Lobnan Mahfouz lance sa première collection 11:11 sous le nom de marque Perverse Label. Ce label est un des premiers de sa génération à effacer les barrières de genre. Il propose des pièces adressées aux « audacieux et audacieuses du monde entier ». Lui qui a roulé sa bosse à travers les continents ne peut que tirer de son parcours le constat d’une extraordinaire diversité qui ne peut confiner l’humanité dans des tendances dictées par les médias, qu’ils soient classiques ou digitaux, ou les grandes maisons des capitales de la mode. Pour répondre à cette vision d’un « énorme melting-pot de genres, de personnalités, d’origines ethniques et de tous les aspects qui varient d’une personne à l’autre », il va se pencher, à travers Perverse Label, sur les associations de textures les plus improbables. Sélectionnées par le programme de mentorat de la fondation Starch en février 2016, il a enfin l’occasion de créer des collections professionnelles et de les commercialiser dans des boutiques pop-up, mais aussi de les lancer à l’international grâce à sa participation aux événements Fashion Forward de Dubaï. Sa dixième collection Li Beirut avait été lancée à l’occasion du 5e anniversaire de Perverse Label. Elle s’inspirait de la forme et des couleurs de l’horrible explosion qui a frappé sa ville le 4 août 2020. La collection a été produite de manière éthique et durable, les tissus ayant été approvisionnés dans des boutiques de tissus hors d’usage à Beyrouth.
