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Nos Lecteurs ont la Parole

Le fédéralisme serait-il la poudre aux yeux de la partition ?

Un pays à plusieurs vitesses, oui, mais le Liban ne serait pas exceptionnel (« moumayaz ») si une communauté s’en emparait, si nous le faisons chrétien, l’Occident en est bien plus grand, « si nous le faisons chiite, l’Iran en est bien plus grand et si nous le faisons sunnite, l’Arabie saoudite en est bien plus grande : le Liban est grand par nous tous solidaires, le Liban est spécial, exceptionnel («moumayaz») par nous tous différents » (le patriarche Hoayek relayé par Mgr Naufal).

Pour un prélat outrepassant selon certains ses droits juridiques légaux... tollé maronito-chretien... ; pour une proposition de créer ou, plus vrai, de diviser Beyrouth en deux municipalités établies non pas selon la géographie, mais plutôt selon la division ethno-religieuse de la ville... un autre tollé islamo-sunnite... ; et l’on ressort comme souvent la solution panacée : le fédéralisme.

La crise du pain, la crainte pour la survie au quotidien qui devient chaque jour plus difficile, le risque d’engendrer comme partout ailleurs et partout dans l’histoire la révolte du pain, évitant de montrer du doigt responsables et responsabilités, on re-propose comme solution le fédéralisme présenté comme compatible avec la neutralité. citant, entre autres, le cas de la Belgique. La Belgique comme fédération ethno-religieuse territoriale où Wallons et Flamands se partagent le pays chacun dans une entité territoriale plus ou moins bien définie.

Pourquoi ces exemples bien analysés et plus ou moins réussis chez eux ne sauraient en aucun cas s’appliquer au Liban ?

Avant de survoler dans le détail de la vie politique, les difficultés et les obstacles insurmontables, disons tout de suite alors que la langue superstructure est ce qui divise la société belge historiquement chrétienne, adossée à une même philosophie réaliste basée sur la liberté, sur une société démocratique ouverte…

Deux philosophies et deux visions du monde séparent les Libanais : une vision islamique et une vision chrétienne, deux projets de société différents à faire coïncider ensemble et à faire féconder pour que vive le Liban : un projet de société ouverte égalitaire dont le principe démocratique libéral est adossé aux valeurs chrétiennes : rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ; un projet de société englobant la oumma : ensemble des croyants musulmans, théocratique aux définitions spécifiques de la liberté et de l’égalité adossées aux préceptes coraniques.

Le génie du Liban et ce qui a fait sa force, sa valeur ajoutée, son impact dans le monde et sa pérennité, le génie du Liban est d’avoir fécondé les contraires par une symbiose unique où chrétiens et musulmans se partagent le pouvoir et les responsabilités, et se reconnaissent fils de la même terre ; plus important, ils ont même donné naissance et enfanté un projet national adossé à une terre partagée, une histoire vécue ensemble, malgré ou à cause de ces aléas, enfin à des figures de prou historiques adoptées par tous, qu’elles soient politiques, littéraires, musicales ou simplement humaines : de Riad el-Solh à Béchara el-Khoury, de Gebran Khalil Gebran à Sabah et Fayrouz, de Moussa Sadr au grand exégète Mohammad el-Jisr, de l’émir Fakhreddine à l’émir Bachir, du Amid à Kamal bey ou du patriarche Hoayek au mufti Khaled, ou, ou... c’est ensemble que « l’humain libanais », comme dirait Socrate, a été forgé, est né et a grandi !

Mais quid, avec le fédéralisme, du projet national ? De la fécondation des contraires ou plutôt des différences ? Qu’en est-il de la valeur ajoutée à notre monde : au monde des nations où le Liban est le seul pays où se partage à égalité de droits le pouvoir entre musulmans et chrétiens par-delà la tyrannie du nombre ?

Tous les Libanais reconnaissent ou acceptent aujourd’hui l’arabité du Liban et la langue arabe comme éléments fédérateurs et sources d’unité.

Ce qui a fait le Liban et l’amitié du monde pour le pays du Cèdre, c’est qu’il a été, qu’il est message et pont : message combien moderne de l’acceptation de l’autre-différent et de sa différence au-delà de sa tolérance ; pollinisation de ses contraires pour faire ce qu’une grande figure libanaise Kabalan Issa el-Khoury affirmait : « En chaque musulman libanais, il y a un peu de chrétien, et en chaque chrétien, un peu de musulman. »

Beyrouth, chantée tant par la chrétienne Fayrouz que par Nizar Kabbani le musulman, n’a de mérite que sa mixité, n’a de beauté spécifique que l’imbroglio de ses rues, de leurs noms orientaux et occidentaux, ses souks et ses grands hôtels de luxe, ses minarets et ses clochers qui se disputent l’échelle de Jacob vers le même ciel... Beyrouth est une miniature du Liban...

Fédération, c’est-à-dire États fédérés, régions plus qu’autonomes avec des gouvernements, des Chambres de représentants des entités fédérés, mais entités sur quelle base géographique ? Le Nord, le Sud, le Chouf, le Kesrouan, la Montagne, la Békaa... Qui va renoncer à Baalbeck ou à Beiteddine, à Tripoli et aux cèdres du Liban ?

Qu’en sera-t-il de la mixité des populations ? Regroupement volontaire ou transfert et échange de populations !?

Pas de concessions, puisque c’est chacun pour soi, et les problèmes du quotidien deviendront encore plus insolubles.

Mais qu’en sera-t-il des questions essentielles sur lesquelles se fondent et se construisent une nation, un État ?

Seul l’État fédéral central règle les relations étrangères, toutes les relations avec le monde extérieur, définit les frontières tant maritimes que terrestres ; Est-Ouest, pays arabes, relations avec les voisins turc, iranien ou autres... ; ouverture au Vieux Continent, à nos alliés de toujours, la France, les États-Unis, à la Chine, à tous les émergents. Et c’est encore l’État fédéral qui réglera les finances : richesses gazières, minières ; dette abyssale ; relation amour-haine avec le FMI et la Banque mondiale ; la monnaie, sa valeur, son taux de change ; une banque centrale comme son nom l’indique, une seule gérera les finances du pays et dont dépendra en grande partie toute l’économie de tous les fédérés et de tous leurs États ; la défense du pays, la philosophie de l’armée, sa composition et son affectation, de même que ses objectifs, sont l’apanage unique de l’État fédéral central qui seul décide de la guerre et de la paix...

Reste toutes les questions d’infrastructure, de grands travaux, d’entreprises et de compagnies nationales aériennes ou portuaires..., la santé pour tous, la sécurité sociale..., l’aménagement du territoire...

Un pays à deux ou plusieurs vitesses : une fois résolus tous les grands problèmes au centre de l’État, déchirerons-nous le tissu social pour les livres d’histoire ou pour la manne du tourisme local ?

À défendre chacun son seul point de vue et sa richesse d’où qu’elle vienne, les problèmes centraux déchireront le pays, le menant vers la partition, une partition qu’il ne nous est pas permis d’envisager ni par nos voisins ni même internationalement, une partition qui non seulement déchirerait le pays, mais, de plus, mettrait à feu et à sang les communautés elles-mêmes.

Alors, le fond du propos : deux municipalités à Beyrouth, c’est bien diviser la ville, et prôner le fédéralisme pour le Liban, c’est bien prôner sa partition !

Samira HANNA EL-DAHER

Ambassadrice, professeure de géopolitique et de relations internationales

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique Courrier n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, L’Orient-Le Jour offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires ni injurieux ni racistes.

Un pays à plusieurs vitesses, oui, mais le Liban ne serait pas exceptionnel (« moumayaz ») si une communauté s’en emparait, si nous le faisons chrétien, l’Occident en est bien plus grand, « si nous le faisons chiite, l’Iran en est bien plus grand et si nous le faisons sunnite, l’Arabie saoudite en est bien plus grande : le Liban est grand par nous tous...

commentaires (1)

L'idée de féderalisme me semble une bonne idée pour le Liban et la Belgique. Comme lecteur flamand de l'OLJ j'ajoute que la Belgique est de nos jours une féderation de wallons et flamands mais que historiiquement les flamands eux même sont divisés dans les flamands du Nord de la France et les habitants du Brabant (pagus de Brabant est un pagus créé par l'administration franque), la région de Bruxelles et Anvers et 's Hertogenbosch et Maastricht que nous avons perdu aux hollandais. Au lieu de diviser la Belgique en 2 régions, historiquement en fait il y a 3 régions : Liège (fortement francophone avec une petite minorité allemande) , Brabant (bilingue) et Flandres (bilingue). La situation complexe de la Belgique n'est pas tout à fait comparable bien sûr avec la situation relativement simple des émirats de la montage Libanaise. Vive la Belgique et vive le Liban !

Stes David

22 h 12, le 01 septembre 2022

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Commentaires (1)

  • L'idée de féderalisme me semble une bonne idée pour le Liban et la Belgique. Comme lecteur flamand de l'OLJ j'ajoute que la Belgique est de nos jours une féderation de wallons et flamands mais que historiiquement les flamands eux même sont divisés dans les flamands du Nord de la France et les habitants du Brabant (pagus de Brabant est un pagus créé par l'administration franque), la région de Bruxelles et Anvers et 's Hertogenbosch et Maastricht que nous avons perdu aux hollandais. Au lieu de diviser la Belgique en 2 régions, historiquement en fait il y a 3 régions : Liège (fortement francophone avec une petite minorité allemande) , Brabant (bilingue) et Flandres (bilingue). La situation complexe de la Belgique n'est pas tout à fait comparable bien sûr avec la situation relativement simple des émirats de la montage Libanaise. Vive la Belgique et vive le Liban !

    Stes David

    22 h 12, le 01 septembre 2022

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