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Économie - Consommation

Les dirigeants libanais pressent pour forcer le destin du dollar douanier

Le gouvernement sortant a consacré mardi une réunion informelle à ce sujet.

Les dirigeants libanais pressent pour forcer le destin du dollar douanier

Le port de Beyrouth, avant le 4 août 2020. Photo d’archives Joseph Barrak/AFP

Face à la fronde des fonctionnaires mécontents que leurs rémunérations soient toujours calculées au taux officiel – et dépassé – de 1 507,5 livres pour un dollar, la classe dirigeante semble résolue à employer tous les moyens à sa disposition pour augmenter les recettes publiques sans passer par la case des réformes demandées par le Fonds monétaire international. Un engagement auquel le Liban en crise avait pourtant souscrit à à travers l’accord préliminaire conclu le 7 avril dernier avec le FMI, préambule à un programme définitif d’assistance financière.

L’adoption du dollar douanier, c’est-à-dire l’ajustement du taux de change dollar/livre employé pour calculer le montant des droits de douane sur les produits importés et exportés, fait partie des outils envisagés par les dirigeants qui l’évoquent depuis de longs mois en plein contexte de dépréciation continue de la monnaie nationale.

Ce taux en question est toujours aligné sur la parité officielle, mais les dirigeants souhaitaient le relever d’un coup pour le calquer sur le taux de la plateforme Sayrafa opérée par la Banque du Liban et qui, à 26 500 livres pour un dollar hier soir, est toujours inférieur de quelques milliers de livres au taux du marché. Ce dernier a atteint 32 500 livres hier soir, en nette hausse depuis quelques jours, en plein contexte de réduction de ce qui reste comme subventions sur l’essence.

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Une hausse du taux se répercuterait forcément sur les prix en livres de nombreux biens importés, avec une intensité variant en fonction de l’ampleur du taux de taxation, hors TVA. Certains produits sont exemptés de droits de douane (dont certains ciblés par les accords commerciaux engageant le Liban), tandis que d’autres sont grevés de taxes pouvant atteindre 70 % du prix hors taxe incluant le transport et les frais portuaires, selon le président du syndicat des importateurs de denrées alimentaires, Hani Bohsali, qui se réfère aux droits fixés sur le site internet des douanes.

Augmentation graduelle ou directe

Or si le gouvernement de Nagib Mikati, qui a démissionné dans le sillage des législatives du 15 mai sans être encore remplacé, tente de faire passer le dollar douanier depuis le début de l’année, le président Michel Aoun a bloqué la dernière tentative il y a une semaine en refusant de signer le décret itinérant concerné, une procédure généralement employée au Liban quand le gouvernement est chargé des affaires courantes. Il nécessite également le paraphe du ministre concerné par la mesure ciblée, celui du Premier ministre et parfois du ministre des Finances. Lors de l’une des dernières réunions consacrées à l’examen du projet de budget pour 2022, le président de la commission des Finances, le député Ibrahim Kanaan avait justifié ce refus en invoquant la nécessité d’augmenter ce taux plus graduellement. « Il faut aussi contrôler la manière dont cet ajustement sera répercuté sur les prix pour éviter les abus », souligne-t-il.

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Une approche que partage notamment l’Association des commerçants de Beyrouth (ACB), qui recommande aux autorités de fonder leur décision sur une étude d’impact sérieuse avant de modifier le taux. « Fixer un taux de change spécifique pour calculer les frais de douane n’est pas la meilleure solution, car cela éloigne un peu plus le pays de l’unification des taux de change qu’il doit mettre en oeuvre pour que son économie se remettre à fonctionner normalement », a commenté pour L’Orient-Le Jour le président de l’ACB et secrétaire des organismes économiques (OE), Nicolas Chammas. Avant de poursuivre : « Mais dans le cadre d’une période transitoire au cours de laquelle les autorités commenceraient à ajuster le taux, deux impératifs devront être pris en compte : le pouvoir d’achat amenuisé par l’inflation (210,08 % à fin juin en rythme annuel) et la dépréciation (la monnaie a perdu environ 95 % de sa valeur depuis 2019) ; ainsi que les revendications salariales légitimes des fonctionnaires. » Selon lui, les organismes économiques préconisent de fixer dans un premier temps le taux à 8 000 livres pour un dollar avant de le lever progressivement. « Dans l’idéal, il vaudrait mieux unifier le taux de change, l’ajuster sur le niveau de marché et réduire les droits de douane pour éviter que l’impact sur les prix en livres soit trop important », conclut Nicolas Chammas.

Les textes invoqués par le ministre

Seulement voilà, le gouvernement sortant semble décidé à relever le taux coûte que coûte et le rapprocher le plus possible du taux du marché en une fois.

C’est en tout cas le principal sujet qui a animé une réunion informelle du cabinet au Grand Sérail mardi soir, selon plusieurs haut responsables qui y ont participé et les informations que nous avons pu faire confirmer par certains ministres. Les participants – représentant la quasi-totalité du gouvernement selon certains sources, tout l’exécutif selon d’autres – se sont mis d’accord pour ajuster le taux de change du dollar douanier à 20 000 livres pour un dollar. Il n’y a cependant eu aucune décision officielle ni procès verbal rédigé à l’issue de la réunion, selon une des sources contactées.

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Intervenant hier à la radio, le ministre sortant du Travail, Moustapha Bayram, a résumé la teneur des échanges, indiquant que le ministre sortant des Finances Youssef Khalil était dépositaire d’une prérogative « exceptionnelle » pour ajuster le taux applicable en vue de calculer les droits de douane et le fera « en accord avec le gouverneur de la BDL », Riad Salamé. Toujours selon Moustapha Bayram, cette prérogative trouve sa source dans une loi, qu’il n’a pas précisément désignée.

Contacté, le ministre des Finances a précisé qu’il faisait référence à deux textes. Le premier est la loi n° 93 du 10 octobre 2018, à travers laquelle le Parlement avait accordé au gouvernement le droit d’intervenir pendant cinq ans dans le domaine douanier (alors que cela relève en principe de la compétence du pouvoir législatif). Le second est l’article 35, paragraphe 4d du décret n° 4461 du 15 décembre 2000 traitant de certaines procédures de dédouanement au niveau des frontières terrestres et maritimes. La disposition citée dispose que dans le cas où « la valeur des marchandises figurant sur la facture d’achat est libellée en devises, le montant doit être converti en livres libanaises en se basant sur la moyenne des taux de change en vigueur à la date de la facturation, moyenne qui se base sur les taux de change déterminés mensuellement ou périodiquement par la BDL ».

Flou ambiant

Il n’est pas certain toutefois à ce stade que les moyens invoqués par le ministre pour modifier le taux de change soit recevables, ne serait-ce que parce que le gouvernement actuel est encore chargé des affaires courantes et que la loi de 2018 n’ait pas été votée à la base pour servir l’objectif pour lequel elle est prévue. Mais face au flou ambiant – la décision pouvant être encore repoussée ou être adoptée dans les jours à venir selon les différentes sources contactées –, certaines parties directement concernées préfèrent prévenir plutôt que guérir à l’image du syndicat dirigé par Hani Bohsali, qui affirme travailler avec le ministère de l’Économie et du Commerce et celui des Finances pour mitiger la possible fixation du taux à 20 000 livres sur certains produits comme les conserves de légumes (taxées à 35 %), les fromages (20 %) ou encore le sel (15 %).

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Il est enfin étonnant que la question du dollar douanier n’ait pas été intégrée dans le budget pour 2022. « Nous devons examiner (aujourd’hui) les projections ajustées fournies à notre demande par le ministère des Finances et voir si celles relatives aux droits de douane ont été intégrées », a précisé Ibrahim Kanaan.

La commission des Finances termine l’étude du budget 2022

À la suite d’une réunion de la commission des Finances et du Budget, son président, le député Ibrahim Kanaan, a déclaré qu’elle avait terminé hier l’étude de tous les articles du budget 2022. Celle-ci a entre autres adopté plusieurs mesures qui visent à améliorer les conditions de vie des diplomates libanais à l’étranger, des juges et des militaires, et a adopté l’article 142 qui autorise les paiements électroniques en ce qui concerne les règlements dus aux administrations publiques. Elle se réunira toutefois à nouveau aujourd’hui pour discuter des « chiffres définitifs qui seront pris en compte pour calculer les recettes et les dépenses, ainsi que d’autres articles relatifs au taux de change ». Contacté par L’Orient-Le Jour, le député a indiqué que la réunion d’aujourd’hui, une des dernières consacrées au budget, se focalisera sur tous les scénarios possibles en fonction des différents taux de change utilisés dans cette loi de finances.

En effet, la détermination du taux de change à utiliser pour le budget 2022 a été l’un des plus grands problèmes lors des discussions, la livre libanaise ayant perdu plus de 95 % de sa valeur en près de trois ans de crise. Pour établir leurs estimations, l’exécutif a utilisé les taux de 20 000 livres et le taux de la plateforme Sayrafa mis à jour quotidiennement par la Banque du Liban, notamment pour le « dollar douanier ». L’adoption d’un budget pour 2022 constitue l’une des conditions sine qua non à toute forme d’assistance financière au Liban, comme l’a annoncé le Fonds monétaire international au moment de la signature de l’accord préliminaire à hauteur de 3 milliards de dollars en avril dernier. Malgré ces avancées, ce budget sera approuvé bien au-delà des délais constitutionnels, qui prévoient de surcroît que le prochain projet de loi de finances pour 2023 soit étudié dès l’été.

Face à la fronde des fonctionnaires mécontents que leurs rémunérations soient toujours calculées au taux officiel – et dépassé – de 1 507,5 livres pour un dollar, la classe dirigeante semble résolue à employer tous les moyens à sa disposition pour augmenter les recettes publiques sans passer par la case des réformes demandées par le Fonds monétaire international. Un...

commentaires (3)

Et si l’etat comencait par reduire ses frais ou trouver d’autres sources de revenu que de pomper l’argent des citoyens qui restent dans ce pays et mendient leurs sous au compte goutte devant les banques. Vendre certains assets, vider les bureaux loues et inutile, enlever des payrolls ces fonctionnaires inutiles, decedes ou a l’etranger qui touche leurs salaires car zelem de tel zaim, arranger le secteur de l’electricite et toucher lui-meme ces factures astronomiques qu’on paye aux generateurs, limiter les salaires des deputes et ministres sortant et de leur progeniture………

Patrick

06 h 58, le 19 août 2022

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Commentaires (3)

  • Et si l’etat comencait par reduire ses frais ou trouver d’autres sources de revenu que de pomper l’argent des citoyens qui restent dans ce pays et mendient leurs sous au compte goutte devant les banques. Vendre certains assets, vider les bureaux loues et inutile, enlever des payrolls ces fonctionnaires inutiles, decedes ou a l’etranger qui touche leurs salaires car zelem de tel zaim, arranger le secteur de l’electricite et toucher lui-meme ces factures astronomiques qu’on paye aux generateurs, limiter les salaires des deputes et ministres sortant et de leur progeniture………

    Patrick

    06 h 58, le 19 août 2022

  • Encore un clou dans le cercueil des libanais pauvres et moyens.

    Christine KHALIL

    11 h 00, le 18 août 2022

  • Le taux n'est pas ajusté non plus pour les entrées à la grotte de Jeita, ni au téléphérique de Jounieh, de sorte qu'en réalité l'Etat perd de l'argent même sur les installations touristiques qui deviennent déficitaires !

    Céleste

    08 h 30, le 18 août 2022

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