Dans son traditionnel rapport trimestriel sur l’économie libanaise publié mercredi, le département de recherche de Bank Audi a une nouvelle fois appelé à la conclusion d’un accord définitif entre le Liban et le Fonds monétaire international (FMI), considérant qu’il s’agissait de la « seule issue » pour garantir une sortie de la crise dans laquelle le pays s’engouffre depuis 2019.
« Nous pensons qu’il ne sera pas facile de (mener toutes les réformes attendues) dans un avenir proche, surtout dans le contexte d’un Parlement fragmenté (…) avec un grand nombre de blocs et de députés indépendants, et (en l’absence de majorité) », ont encore précisé les auteurs du rapport, dont les analyses rejoignent la majorité de celles publiées ces derniers mois sur le cas Libanais au moins depuis les législatives du 15 mai.
Parmi les différentes données incluses dans le rapport pour appuyer son diagnostic, la banque a souligné qu’à « valeur de marché », la dette publique libanaise, qui a atteint 100,6 milliards de dollars à fin mars, ne valait en réalité que « moins de 10 milliards de dollars ».
Dette en devises
Ce calcul part du principe que les obligations en devises que détient le pays et qui totalisent un peu plus de 30 milliards de dollars en valeur nominale – détenus pour deux tiers par des investisseurs étrangers, le reste étant partagé entre la Banque du Liban (BDL) et les banques libanaises – ne pourraient être récupérées qu’à 15 % de leur valeur, soit 15 cents pour un dollar. Ce seuil est proche de ceux évoqués par Bank of America dans une simulation des scénarios possibles en matière des restructurations des eurobonds que nous avions détaillés le 14 juin dernier.
Le 8 juin, L’Orient-Le Jour avait également relayé la proposition de l’ancien ministre libanais du Travail et spécialiste du marché des titres de dette Camille Abousleiman, qui recommandait à l’État de profiter des bas cours pour faire une offre publique d’achat à 12 % de la valeur nominale des titres. « Je l’ai dit et répété, c’est un crime pour l’État de ne pas les racheter », a souligné encore l’ancien ministre. À 12 %, le Liban pourrait racheter plus de 16 milliards de dollars de titres en n’en dépensant que 2 milliards, ce qui lui permettrait alors – ou permettrait à la banque centrale – de retirer de la circulation la plupart des titres de dette détenus par les non-résidents et d’améliorer la position du Liban lors des négociations avec les créanciers, avait-il alors expliqué.
Selon le directeur du département de recherche de Bank Audi Marwan Barakat, le cours se situe actuellement aux environs de 6 cents pour un dollar sur le marché secondaire, le seul où ils peuvent encore être négociés dans la mesure où le Liban a fait défaut sur le remboursement de ces titres en mars 2020 et n’a toujours pas négocié la restructuration de sa dette. Le cours des eurobonds avait passé un cap en juin en descendant en dessous de la barre des 10 cents et en devenant parmi les moins chers du monde. Une catégorie dans laquelle ils se retrouvent désormais leaders par rapport aux autres titres de dette souveraine.
À l’époque, Marwan Barakat avait expliqué à L’Orient-Le Jour que le passage des cours des eurobonds en dessous de la barre des 10 cents était lié au fort degré d’incertitude qui règne concernant la capacité des autorités à mettre en place les mesures réclamées par le FMI en amont d’un éventuel déblocage d’une assistance financière. Une situation qui perdure encore aujourd’hui, presque 4 mois après l’annonce de l’accord préliminaire entre le FMI et le Liban, lequel contraint les dirigeants libanais à mettre en œuvre une série de réformes.
Dette en livres
La seconde composante des 100 milliards de dollars de dette est libellée en livres libanaises et pèse plus de 60 milliards de dollars convertis au taux officiel de 1 507,5 livres pour un dollar. Un montant que Bank Audi a donc converti au taux de change de la plateforme Sayrafa (25 800 livres pour un dollar mercredi soir, contre près de 30 500 sur le marché parallèle) pour expliquer sa simulation, qu’elle met en avant à titre simplement indicatif dans sa section dédiée à la rétrospective du 2e trimestre sur l’état de l’endettement du pays.
Essentiellement détenue sur le marché local, cette dette pourrait, in fine et en théorie, être remboursée en imprimant de nouveaux billets de livres libanaises – même si cela ferait exploser l’inflation –, ce qui est en revanche impossible en ce qui concerne la dette en devises, la BDL n’ayant pas la possibilité d’émettre une monnaie autre que la sienne.
La parité officielle était la norme avant que la monnaie ne commence à s’effondrer au fur et à mesure que la crise se développait. Aujourd’hui, plusieurs taux de change coexistent, dont celui de la plateforme Sayrafa gérée par la BDL, celui du marché parallèle qui regroupe des agents de change légaux et d’autres issus du marché noir, ou encore certains taux fixes imposés par la BDL dans le cadre de circulaires aménageant les restrictions mises unilatéralement en place par les banques fin 2019 et que le Parlement n’a toujours pas légalisées.
Sollicité au printemps 2020, le FMI a laissé entrevoir la possibilité pour le Liban de souscrire à un programme d’assistance financière de 3 milliards de dollars sur 4 ans, à condition que les dirigeants lancent plusieurs chantiers de réformes que Bank Audi rappelle dans son rapport. Le Liban devrait se doter de plusieurs lois – contrôle des capitaux, aménagement du secret bancaire (un travail en partie fait il y a une dizaine de jours, même si une loi doit être adoptée pour que le dispositif soit efficace), résolution bancaire, budget pour l’année 2022 –, se doter d’un plan crédible de redressement fiscal et de restructuration de la dette, faire auditer les 14 plus grandes banques du pays et la BDL (notamment ses actifs en devises) et enfin unifier les taux de change.
Bank Audi rappelle que l’audit des 14 plus grandes banques – dont elle fait partie – doit être effectué par un auditeur international, comme l’exige le FMI. Dans son rapport, elle assure que « les autorités concernées ont entamé des pourparlers avec des sociétés internationales à cette fin, tenant compte qu’il s’agit d’une évaluation assez complexe compte tenu des trois bilans distincts gérés par les banques, à savoir le bilan en livres, le bilan en dollars locaux (dollars bancaires, ou "lollars", subissant les restrictions unilatéralement mises en place par les banques) et le bilan en dollars frais (les "vrais dollars"). Elle ajoute que « l’évaluation doit être basée sur l’approche Camels qui consiste à analyser l’adéquation des fonds propres, la qualité des actifs, l’efficacité de la gestion, la capacité de rendement, la liquidité et la sensibilité aux forces du marché pour chaque banque ».
commentaires (4)
Parmi les nombreux fossoyeurs de ce pays, les banques tiennent le haut du pavé
Citoyen Lambda
17 h 32, le 05 août 2022