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« Khomeyni m’a tuer »

Le Moyen-Orient a changé de visage et de trajectoire en 1979. La prise d’otage de la grande Mosquée de la Mecque par deux cents fondamentalistes opposés à la famille royale marque profondément le royaume et pousse ses dirigeants à se faire les chantres d’un rigorisme appelé à se propager, pendant des décennies, au-delà des frontières de l’Arabie saoudite. L’invasion de l’Afghanistan par l’URSS fait de ce territoire un foyer propice à la propagation de l’idéologie islamiste et jihadiste, avec l’émergence des taliban puis, plus tard, de l’organisation el-Qaëda. L’événement le plus marquant de l’année demeure toutefois la révolution en Iran et la naissance, dans ce pays, de la République islamique sur les ruines de la monarchie safavide. L’islamisme dans sa version chiite, révolutionnaire et millénariste devient l’idéologie officielle d’un des États les plus puissants du Moyen-Orient. L’ayatollah Khomeyni accomplit le rêve de Sayyid Qutb, le penseur de l’aile radicale des Frères musulmans : la création d’un État islamique dans lequel tout, y compris le politique, doit trouver son essence dans le religieux. Le guide suprême bouscule la tradition chiite en s‘octroyant un pouvoir absolu en vertu de sa théorie du velayat-e faqih, qui en fait le prolongement sur terre de Dieu, du prophète et des imams. Dans un livre référence, The Black Wave, la journaliste Kim Ghattas explique à quel point ces événements ont façonné la région ces quarante dernières années, en créant une compétition entre plusieurs pôles se disputant dans le même temps le leadership politique et religieux.

Bien qu’étant minoritaire, l’islamisme chiite de Khomeyni a vocation à se propager. Le guide suprême doit être l’autorité de référence pour tous les chiites et en même temps le phare de l’islamisme à l’échelle mondiale.

C’est dans cette logique expansionniste que le Hezbollah est créé au Liban en 1982, dans un contexte de lutte contre l’occupation israélienne. Le parti importe un modèle assez éloigné des coutumes de la communauté chiite libanaise. Peu importe. Ses attentats, ses combats sur le terrain, sa capacité à intimider et à éliminer ses adversaires lui permettent de s’imposer et de devenir la référence ultime de toute une communauté.

Le 14 février 1989, quelques mois avant son décès, et un jour seulement avant le retrait de l’armée soviétique d’Afghanistan, Khomeyni « assassine » l’écrivain indo-britannique Salman Rushdie. Dans une volonté de s’imposer comme une référence spirituelle au-delà du monde chiite, il édicte une fatwa appelant tous les musulmans du monde à tuer l’auteur des Versets Sataniques. L’ayatollah prend ses concurrents, qui n’en pensent pas moins, de vitesse. Salman Rushdie est la victime d’une compétition qui doit déterminer qui est le plus rigoriste et ainsi le plus légitime d’entre eux à faire respecter la parole divine.

L’islamisme, qui se propage dans la région depuis des décennies, devient, pour la première fois de l’histoire, une question globale. L’affaire Rushdie change la donne : pour un écrit, pour un dessin, pour une pensée, n’importe qui et d’où qu’il vienne, peut devenir la cible d’un appel au meurtre commandité par un mouvement se revendiquant de l’islam radical. La mondialisation ne connaît aucune limite et l’islamisme ne fait pas exception.

Dans les années et décennies qui suivent, il va prendre, essentiellement, quatre visages. Celui de la galaxie des Frères musulmans, celui du wahhabisme saoudien, celui du jihadisme offensif d’el-Qaëda puis de l’État islamique, et enfin celui du modèle khomeyniste et de ses avatars, au premier rang desquels figure le Hezbollah.

Contrairement aux trois autres, ce dernier a bénéficié, et bénéficie encore, d’une certaine complaisance dans les milieux intellectuels et militants, en particulier au sein de la gauche qui se prétend anti-impérialiste. D’opprimé, le chiisme khomeyniste est pourtant devenu oppresseur non seulement en Iran, mais aussi dans plusieurs pays du monde arabe. Anti-impérialiste, il est le cœur d’un projet tout aussi impérial, qui a réussi à s’étendre à défaut de s’imposer. En instrumentalisant la cause palestinienne, il a conquis une partie du monde sunnite mais aussi de la gauche arabe et occidentale.

Il y a quelques années de cela, au moment où l’État islamique connaissait son apogée, l’islamisme chiite a réussi un tour de force : se présenter comme un rempart contre le jihadisme sunnite. Plus structuré, plus politique et surtout plus caméléon que son pendant sunnite, il n’en est toutefois pas moins dangereux sur le long terme. Pire, se joue entre les deux une rivalité et une accusation réciproque d’hérésie dont les populations de la région sont les premières victimes.

La tentative d’assassinat de Salman Rushdie, vendredi à New York, nous replonge dans toute cette histoire, vieille de plus de 40 ans. Elle rappelle que l’islamisme chiite, devenu plus présentable en raison de la radicalité des mouvements jihadistes sunnites, n’a rien perdu de ses fondamentaux. L’Iran n’a jamais annulé la fatwa édictée contre l’auteur. L’ayatollah Khamenei appelait encore en 2019 à son application. Le Hezbollah n’est pas en reste. En 2006, Hassan Nasrallah regrettait que personne n’ait encore tué Salman Rushdie. Son vœu a presque été exaucé vendredi quand un Américain d’origine libanaise, Hadi Matar, abreuvé d’idéologie khomeyniste à en croire ses réseaux sociaux, poignarde à une dizaine de reprises l’auteur des Versets sataniques. Même s’il n’a jamais mis les pieds au Liban, même s’il n’a peut-être aucun lien avec le Hezbollah et la République islamique, Hadi Matar est le produit de leur fanatisme. Celui-là même qui a conduit à l’assassinat, le 4 février 2021, d’un autre esprit libre, Lokman Slim. Et, auparavant, de tant d’autres...

Le Moyen-Orient a changé de visage et de trajectoire en 1979. La prise d’otage de la grande Mosquée de la Mecque par deux cents fondamentalistes opposés à la famille royale marque profondément le royaume et pousse ses dirigeants à se faire les chantres d’un rigorisme appelé à se propager, pendant des décennies, au-delà des frontières de l’Arabie saoudite. L’invasion de...

commentaires (20)

Je suppose que la « faute d’orthographe » dans le titre est intentionnelle, en référence à une vieille affaire qui a eu à lieu à Mougins en France (le 24 Juin 1991) « Omar m’a tuer » Dites-moi si j’ai tord ?

CASSOLY Olivier

21 h 50, le 15 août 2022

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Commentaires (20)

  • Je suppose que la « faute d’orthographe » dans le titre est intentionnelle, en référence à une vieille affaire qui a eu à lieu à Mougins en France (le 24 Juin 1991) « Omar m’a tuer » Dites-moi si j’ai tord ?

    CASSOLY Olivier

    21 h 50, le 15 août 2022

  • Si les Chrétiens d'Europe voulaient bien ouvrir les yeux sur la réalité e l'Islam et cesser de compatir au sort des réfugiés . A La Mecque il y a de quoi loger tous ces pauvres musulmans qui fuient ...

    yves gautron

    20 h 43, le 15 août 2022

  • Très bel article. Bravo.

    Aboujaoudé Jihad

    16 h 07, le 15 août 2022

  • Ça fait peur

    Vincent Gélinas

    14 h 03, le 15 août 2022

  • Faute d'orthigraphe dans le titre qui nous dissuade de lire l'article malheureusement...

    Khaled Bachir

    11 h 53, le 15 août 2022

    • Bonjour, il s'agit là d'une référence à la phrase « Omar m'a tuer », dans l'affaire Omar Raddad qui avait agité la France dans les années 90. L'Orient-Le Jour

      L'Orient-Le Jour

      12 h 15, le 15 août 2022

  • Merci pour cette remise en contexte. Complément d'information: la mère de l'agresseur indique qu'il aurait été radicalisé lors d'un séjour au "Moyen-Orient", comprendre au Liban. https://www.dailymail.co.uk/news/article-11110905/Mother-alleged-Salman-Rushdie-attacker-says-son-responsible-actions.html?ito=amp_twitter_share-top

    Renno Toufic / LYON UNICANCER

    11 h 49, le 15 août 2022

  • JE DENOTE DEUX FAUTES D,ORTHOGRAPHE, CHER MONSIEUR SAMRANI, DANS VOTRE ARTICLE TRES APPRECIE PAR MOI ET PAR LES AUTRES COMME JE VOIS, DONT L,UNE EST DEJA REVELEE PAR DES INTERNAUTES. L,AUTRE ? JE VOUS LAISSE LA TACHE DE LA DENICHER ET DE LA CORRIGER. BONNE JOURNEE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 32, le 15 août 2022

    • Bonjour, si vous faîtes référence au titre de l'édito, il s'agit là d'une référence à la phrase « Omar m'a tuer », dans l'affaire Omar Raddad qui avait agité la France dans les années 90. L'Orient-Le Jour

      L'Orient-Le Jour

      11 h 23, le 15 août 2022

  • L’assaillant n’a fait qu’appliquer à la lettre la fatwa de Khomeiny, se réclamait clairement du takfirisme chiite hypocrite et pharisaïque de l’entité néo-safavide, et son geste a été vanté par les journaux du pouvoir iranien. Que veut-on de plus comme preuve ? Quand un takfiri sunnite fait la même chose et qu’on apprend qu’il était déjà fiché S pour avoir manifesté sur les réseaux sociaux son allégeance à Daëch, on n’attend pas la revendication officielle de Daëch pour condamner le takfirisme sunnite. Et les takfiri chiites pharisaïques sont les premiers à stigmatiser l’islam sunnite ou du moins l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe comme étant les régimes qui ont produit Daëch et donc les responsables du crime. Que les avocats du takfirisme chiite enlèvent donc d’abord la poutre qui est dans leur œil avant de vouloir enlever la paille dans l’œil de leur frère ! Sinon précision historique importante: bien qu’elle s’en inspire directement par son takfirisme chiite « caméléon » et surtout pharisaïque, la république islamique n’a pas succédé directement aux safavides mais entre eux il y eut encore les afcharides les zand les qadjar puis les pahlavi. Mais il est toujours utile de rappeler que c’est uniquement au XVIème siècle et par la contrainte exercée par les takfiristes safavides que l’Iran s’est massivement converti du sunnisme au chiisme. Et encore certains safavides comme le shah Abbas le Grand avaient quand-même bien plus de cran que les néo-safavides d’aujourd’hui.

    Citoyen libanais

    08 h 23, le 15 août 2022

  • m'a tuer? ou m'a tué...??

    Elie George Haddad

    07 h 41, le 15 août 2022

    • Bonjour, il s'agit là d'une référence à la phrase « Omar m'a tuer », dans l'affaire Omar Raddad qui avait agité la France dans les années 90. L'Orient-Le Jour

      L'Orient-Le Jour

      10 h 23, le 15 août 2022

  • M'a tué et non m'a tuer ...SOS correcteur du titre de l'article ...

    PIERRE COPTI

    02 h 00, le 15 août 2022

    • Bonjour, il s'agit là d'une référence à la phrase « Omar m'a tuer », dans l'affaire Omar Raddad qui avait agité la France dans les années 90. L'Orient-Le Jour

      L'Orient-Le Jour

      10 h 23, le 15 août 2022

  • Mr Samrani fait allusion par le titre à une autre affaire qui a secoué l'Hexagone, et c'est comme ça une victime ou autre a écrit pour attirer l'attention sur un certain Omar. Compris ? faut lire entre les lignes. On accusé mais les preuves ?

    Nabil

    18 h 34, le 14 août 2022

  • Correction : "... m'a tuer" ou plutôt "m'a tué" ?

    Remy Martin

    16 h 42, le 14 août 2022

    • Bonjour, il s'agit là d'une référence à la phrase « Omar m'a tuer », dans l'affaire Omar Raddad qui avait agité la France dans les années 90. L'Orient-Le Jour

      L'Orient-Le Jour

      18 h 59, le 14 août 2022

  • ""…. Hadi Matar est le produit de leur fanatisme."" Ecrivez-vous. Comment un jeune de 24 ans est au courant de la conférence et bien décidé à commettre l’irréparable ? Par fanatisme religieux ? Les regrets du Sayyed (Aalyh al Salam) envers Salman Rushdie, comme un appel au meurtre, quand la déclaration est faite pour, me rappellent d’autres déclarations récentes d’un patriarche russe à propos des Ukrainiens. J’ai quelques observations. Votre analyse est variable selon qu’elle traite du fanatisme violent en France au lendemain de l’affaire de l’enseignant Samuel Paty, (où il faut faire preuve de patience et de pédagogie, sic), ou aux usa. "Leur" fanatisme ? Pour les stigmatiser ? Qu’on nous dit alors la seule leçon à retenir des dernières élections législatives, quand des Libanais de la diaspora, toutes tendances politiques et confessionnelles confondues, (et cela ne se limite pas seulement à la France et quelques pays européens ou américains), sinon, qu’ils ont voté pour les mêmes (et pour quelques avatars qui n’apportent aucun changement) alors que pour la plupart n’ont jamais visité le Liban, ou bien simplement l’ont connu par des allers-retours. Que de discours politiques qui ne s’embarrasse de quelques nuances pour entretenir l’obscurantisme et l’ignorance dépassent les frontières du petit territoire libanais. Je parie qu’une des dames des lettres libanaises va commettre dans les prochaines éditions une analyse non moins emportées et dans la même veine que la mienne.

    Nabil

    16 h 26, le 14 août 2022

  • Malheureusement pour le Liban et la région cette saga si bien objectivement relater, à déraille les vies d'innombrables familles innocents croyants. Espérons tous, prions qu'elle est une fin sereine et paisible pour rendre à tous ces peuples le calme qui leur a était volé.

    Sarkis Dina

    16 h 20, le 14 août 2022

  • Presque aussi bien qu'un édito de Issa GORAIEB ou Fifi ABOU DIB... J'avoue, c'est de la provocation. C'est très bien écrit et cela correspond, hélas à la réalité. Je n'aurai pas mieux écrit moi-même, et écrit de France cela aurait moins d'impact. Bravo.

    CODANI Didier

    15 h 03, le 14 août 2022

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