Coup de com armé sur le dos des Palestiniens. Depuis vendredi après-midi, Israël mène une attaque d’envergure contre la bande de Gaza. Dans son collimateur ? Le Jihad islamique basé dans l’enclave palestinienne. Pour l’État hébreu, cette nouvelle offensive relève d’abord d’une « guerre préventive », dont le point de départ a été l’arrestation lundi dernier de Bassem Saadi, l’un des chefs de l’organisation en Cisjordanie occupée. Les autorités israéliennes ont dit par la suite craindre des représailles en provenance de la langue de terre gazaouie et les brigades al-Qods, branche armée du Jihad islamique, ont affirmé samedi avoir lancé « plus de cent roquettes » vers Israël. Une « première réponse » à l’assassinat vendredi de Tayssir al-Jabari, commandant des brigades dans la région nord de la bande de Gaza. Rebelote le lendemain soir, avec l’élimination de Khaled Mansour dans un raid israélien à Rafah, dans le sud de l’enclave, où il était à la tête des opérations du Jihad islamique.
L’armée israélienne parle de neutralisation de « la haute direction de l’aile militaire » du mouvement à Gaza. Le Jihad islamique a pour sa part affirmé hier avoir tiré des roquettes vers Jérusalem. Si l’immense majorité des projectiles lancés depuis l’enclave palestinienne sont interceptés par le bouclier antimissiles israélien, reste que la démarche de l’organisation est hautement symbolique : car hier avait aussi lieu la fête juive de Tisha Beav, l’occasion pour les nationalistes israéliens de se rendre sur l’esplanade des Mosquées, situées à Jérusalem-Est, secteur occupé et annexé par Israël.
Comment expliquer le timing de l’offensive israélienne contre Gaza ? Plusieurs raisons peuvent être avancées. Il y a d’abord la crise politique en interne et le vote par le Parlement, fin juin, de sa dissolution, renvoyant ainsi aux urnes les Israéliens en novembre prochain pour la cinquième fois en moins de quatre ans. Or la peur et les considérations sécuritaires sont payantes électoralement. Et l’État hébreu n’en est pas à son premier coup d’essai. « C’est toujours la même chose. Une course à qui sera le plus farouche en période préélectorale. C’était ainsi en 2009, c’était ainsi en 2021. Ce genre d’attaque est toujours préparé », commente Leila Seurat, spécialiste du Hamas et chercheuse associée à l’Observatoire des mondes arabes et musulmans (OMAM). Le Premier ministre par intérim israélien, le « centriste » Yaïr Lapid, chercherait-il à se doter d’une stature d’homme fort, capable de montrer les muscles, pour compenser son manque d’expérience militaire dans un pays fou de son armée ? L’ancien chef de l’exécutif, Benjamin Netanyahu, a déjà sorti les crocs et fait son miel de l’alliance hétéroclite qui a permis à son concurrent d’arriver là où il est, aux côtés notamment de Mansour Abbas, de la Liste arabe unie.
Israël vs Iran
Cette nouvelle attaque israélienne intervient également dans un contexte régional particulièrement tendu, marqué par l’accélération de la guerre de l’ombre opposant Israël et l’Iran depuis deux décennies ainsi que par un durcissement de ton américain. Alors qu’il était en tournée dans la région à la mi-juillet, le locataire de la Maison-Blanche Joe Biden, accueilli en grande pompe par l’État hébreu, a été très explicite : ce sera le deal ou la guerre, en référence aux difficultés à conclure un accord sur le nucléaire avec la République islamique. Or le Hamas, qui contrôle de facto la bande de Gaza, et, plus encore, le Jihad islamique sont tous deux parrainés par Téhéran. « Le Jihad islamique est un supplétif iranien qui veut la destruction de l’État d’Israël (...). À l’heure où nous parlons, le chef du Jihad islamique est à Téhéran », a insisté vendredi Yaïr Lapid. Un son de cloche très courant en Israël où la classe politique tente de marginaliser la question palestinienne en la liant à des problématiques géopolitiques. « Les objectifs d’Israël sont très clairs. Il veut saper le Jihad islamique palestinien qui est une faction qui a gagné en popularité parmi les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza, et ce au-delà des clivages politiques. Le fait qu’il ne prenne pas part aux clivages internes lui donne plus de crédibilité », note l’analyste politique Noor Odeh. « Le Jihad islamique n’est jamais entré dans aucune considération électoraliste. L’exercice du pouvoir ne l’intéresse pas », résume de son côté Leila Seurat.
Chambre commune
Alors qu’Israël a concentré l’objectif de cette énième confrontation sur le Jihad islamique, d’aucuns s’interrogent sur la réponse du Hamas à cette agression. L’an passé, en mai, il s’était saisi de la répression israélienne à la fin du mois du ramadan sur l’esplanade des Mosquées pour marquer le coup et se poser en résistant numéro un à l’occupant, exigeant dans un premier temps de l’État hébreu qu’il se retire d’al-Aqsa et du quartier de Cheikh Jarrah. Ses injonctions étant restées lettre morte, il a dans un second temps tiré des roquettes sur Israël qui s’est vengé en déversant une pluie de bombes. Cette fois-ci, le contexte est toutefois différent. Et le Hamas semble a priori peu enclin à « entrer en guerre ». « Le dirigeant de facto doit tenir compte de beaucoup de choses : les conditions humanitaires sont désastreuses à Gaza. La population ne s’est pas remise de la dévastation causée par la guerre l’année dernière », insiste Noor Odeh. Sans compter qu’une implication directe du Hamas dans la confrontation qu’Israël impose au Jihad islamique équivaudrait à des destructions d’une ampleur tout autre. En somme, le Hamas fait de la politique et a recours à la carte de la résistance armée de façon tacticienne.
« En 2018, dans le contexte de la marche du retour, il a activé la Chambre commune des opérations, comprenant depuis toutes les factions unifiées derrière un même parapluie. Dans ce cadre-là, le Hamas prend des décisions de concert avec les autres groupes », avance Leila Seurat. Et depuis 2021 et l’intifada de l’unité, « le Hamas a une stratégie d’unification des rangs palestiniens et n’entre pas du tout dans le jeu de division que voudraient les Israéliens. S’ils n’envoient pas des roquettes, c’est parce qu’il y a un calcul de partage des tâches », avance la chercheuse. Hier, le médiateur égyptien a affirmé avoir obtenu l’accord d’Israël pour une trêve avec le Jihad islamique, mais disait toujours attendre une réponse du groupe armé, trois jours après le déclenchement de l’attaque israélienne qui, selon le ministère palestinien de la Santé, a tué, à l’heure de mettre sous presse, 41 personnes et blessé 311 autres. De son côté l’organisation a confirmé des « négociations en cours au plus haut niveau en vue d’une trêve » tout en insistant que « la résistance ne s’arrêtera pas si l’agression et les crimes de l’occupation ne cessent pas ».