Critiques littéraires Roman

Juif errant dans un Beyrouth en guerre

Juif errant dans un Beyrouth en guerre

Sans doute la guerre procède-t-elle à un renversement du monde puisque la violence prend le pas sur tout au point de devenir le principe organisateur. Mais lorsque les reporters la décrivent, ils peinent à lui donner toute sa dimension. Les historiens ont une vision plus englobante mais lui cherchent à tout prix des explications logiques là où il n’y en a pas et perdent de vue son côté abracadabrant. Heureusement, les romanciers sont là pour en dire la tragique absurdité et la raconter avec des cris, de la sueur et du sang, à hauteur d’hommes, de femmes et d’enfants.

Né en 1946 à Beyrouth de parents juifs syriens, Sélim Nassib a été le correspondant de guerre de Libération pendant la guerre du Liban. Il la revisite quarante ans plus tard à travers une fiction largement autobiographique à partir de la vie d’une famille juive emportée dans les grands remous de l’histoire. Youssef, le narrateur, est lui aussi journaliste pour un quotidien français. Au début du roman, il est à quelques semaines de sa bar-mitzvah, qui, le temps de la cérémonie, va déguiser l’enfant en homme et faire de lui « le maître des filles ». Mais survient ce qu’on appelle la crise de Suez.

Interview

L’addiction libanaise de Sélim Nassib

Le Liban est loin du théâtre des opérations, mais, déjà, la petite communauté juive est sur le qui-vive. « Les juifs ont attaqué », entend-on dans la rue. Le boulanger musulman cherche à venger la défaite égyptienne en faisant brûler le gâteau juif rituel. Mais, à l’école israélite, la victoire israélienne est vécue autrement : « Garçons d’un côté, filles de l’autre sont montés en classe avec des sourires invisibles aux lèvres. On a gagné mais on ne doit pas le dire. Nous sommes les plus forts mais secrètement. En territoire ennemi. Nains dans ce pays, géants dans l’autre. Même entre nous, il faut feindre. Feindre de feindre. La dissimulation fait partie du plaisir. Il suffit que les regards se croisent, la jubilation déborde, les visages s’éclairent, comme lavés, comme vengés. Mais de quoi ? »

Youssef, lui, ne veut plus être juif. Il en a assez d’entendre sa mère rabâcher : « Ne te mêle pas, c’est dangereux, ce pays n’est pas le nôtre, on est juif. » D’où le choix d’une autre tribu : l’extrême gauche. Il s’agit, pour lui et ses copains, chrétiens, musulmans et juifs, d’arriver à « ébranler la logique confessionnelle » pour que chacun appartienne « à son pays avant d’appartenir à sa confession ». Pas facile, surtout que la guerre des Six Jours va « changer les choses du tout au tout » : il doit à la fois participer à des manifestations contre Israël, protéger le quartier juif de Beyrouth tout en s’inquiétant des cousins/cousines imaginaires dont lui parlent ses parents et qui vivent dans « le pays interdit ».

Ses ennemis, ce sont les phalangistes. À cause d’eux, il est jeté dans une geôle surpeuplée et étouffante. Deux jours suffisent à rendre l’expérience existentielle : « Par moments, des hommes se lèvent deux par deux, morts-vivants qui s’approchent de la porte métallique en enjambant les corps et collent leurs bouches à la lucarne, si proches l’un de l’autre qu’on croirait qu’ils se bécotent. Je les vois, debout, tendus comme des arcs, aspirant l’air à grandes goulées comme des pêcheurs de perles quand ils sortent la tête de l’eau. Je les vois emmagasiner le vent jusqu’à ce que leurs têtes tournent. Quand ils ont fini, ils tombent de la lucarne comme des insectes devenus trop lourds. D’autres les remplacent ensuite, deux à deux. » Les autres détenus sont « des durs de dur (qui) entourent une lavette francophone et fragile qu’ils peuvent sadiser à souhait » et prennent pour un espion. Tabassage en règle. Heureusement, un Palestinien intervient pour éviter le pire à Youssef qui, heureusement, a réussi à cacher sa judéité.

C’est en prison qu’il pressent que le Liban va bientôt sombrer dans la guerre civile. Suit l’invasion israélienne. Terrifiants bombardements sur Beyrouth-Ouest : « J’ai tenu, serré les dents, crâné tant que j’ai pu. Mais aujourd’hui l‘apocalypse me submerge, la prochaine bombe est pour moi, ma dernière heure est là, je n’en peux plus, il faut que ça cesse immédiatement. »

La mort, bien sûr, est là. On l’attendait par les Israéliens. Elle surgit par le Hezbollah qui vient de naître. Et assassine un ami de Youssef, un autre petit juif parce qu’il se dévouait pour aider le camp palestinien de Chatila. « La couverture grossière dans laquelle a été enveloppé le corps de Ralph baille du côté des pieds et laisse entrevoir son jean. Ce seul détail rend réelle sa disparition brutale. Il est vraiment mort. Je me surprends à regarder le ciel pour m’assurer qu’il ne va pas recommencer à pleuvoir du plomb. » Tout est dit.

Viendra peu après le massacre des innocents à Sabra et Chatila. Mais, malgré la mort, la haine, même si la guerre est perdue, Beyrouth reste Beyrouth. C’est elle, l’héroïne de ce très beau roman. N’est-elle pas celle qui, selon un adage, fût-elle échevelée, blessée, terrassée, « te suivra jusqu’à ton dernier souffle où que tu sois (…), qui te fermera les yeux une dernière fois » ? Même ceux d’un juif errant.


Le Tumulte de Sélim Nassib, éditions de l’Olivier, 2022, 412 p.


Sans doute la guerre procède-t-elle à un renversement du monde puisque la violence prend le pas sur tout au point de devenir le principe organisateur. Mais lorsque les reporters la décrivent, ils peinent à lui donner toute sa dimension. Les historiens ont une vision plus englobante mais lui cherchent à tout prix des explications logiques là où il n’y en a pas et perdent de vue son côté...

commentaires (6)

Sionistes ennemis des juifs, phalangistes ennemis du Liban. Voilà tout est dit. Vive l’amitié des peuples.

Jean abou Fayez

16 h 40, le 22 août 2022

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Commentaires (6)

  • Sionistes ennemis des juifs, phalangistes ennemis du Liban. Voilà tout est dit. Vive l’amitié des peuples.

    Jean abou Fayez

    16 h 40, le 22 août 2022

  • LA COMMUNAUTÉ JUIVE N’A JAMAIS FAIT DU LIBAN UN PAYS ÉPATANT, BIEN AU CONTRAIRE. CES COMMUNAUTÉS JUIVES – RACISTES / FASCISTES – VENUS PRINCIPALEMENT D’EUROPE EN 1940.. -SUIVIS PAR DES JUIFS VENANT DU MOYEN-ORIENT ONT CRÉÉ EN PALESTINE UNE ENTITÉ XÉNOPHOBE ET ULTRA RACISTE. QU'ELLE SOIT UNE RÉFÉRENCE MERCI …… POUR UNE FOIS QUE L’OLJ NOUS SORT UN ARTICLE SUR LE MALHEUR DES PALESTINIENS - AU LIBAN ET EN PALESTINE - ET DONT CES PAUVRES JUIFS ( COMME D’ÉCRIT )EN SONT RESPONSABLES . UN JUIF RESTE UN JUIF , SIONISTE PAS DE DIFFÉRENCE ….POUR LES TROUBLES DE M. NASSIB C’EST DU ROMAN BON MARCHE.

    aliosha

    21 h 08, le 21 août 2022

  • Un "journaliste" de Libération aussi engagé devient un militant, un activiste, tout ce que vous voulez sauf un "journaliste" ! C'est comme ça qu'on manipule l'information et les lecteurs ... un classique pour Libé !

    GM92190

    20 h 41, le 21 août 2022

  • Amalgame classique et malheureux : juif ne veut pas dire sioniste

    KASSIR Mounir

    16 h 28, le 21 août 2022

  • Le Liban aurait pu être un pays épatant pour sa communauté juive, étant lui-même un pays multi-confessionnel et cette communauté étant une communauté laborieuse parmi d'autres... . Encore aurait-il fallu que l'Etat libanais assume en 1975 son devoir d'assurer la sécurité de tous ses citoyens. Mais, en 1975, les libanais ont choisi de mettre les intérêts des palestiniens au-dessus des leurs et au-dessus de ceux de leur excellente communauté juive. Et bien tout simplement, chers libanais, jouissez maintenant du résultat de vos décisions...

    Mago1

    14 h 13, le 21 août 2022

  • rien que des scénarios criminels....

    Marie Claude

    09 h 48, le 21 août 2022

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