Jean Ellieh, directeur des adjudications, est engagé dans un bras de fer avec le Conseil d’État (CE). Il a été convoqué par le parquet général près la Cour de cassation le 19 juin dernier après avoir critiqué une décision du CE concernant l’annulation du contrat d’attribution de la gestion et de l’exploitation des boutiques hors taxes de l’Aéroport international de Beyrouth à la société Phoenicia Aer Rianta Company (PAC). Saisi par une autre société qui était en lice pour l’appel d’offres remporté par PAC, le
World Duty Free Group, le CE avait motivé sa décision par « un manque de transparence et de garanties en termes de concurrence » et le fait d’avoir « violé des principes de la commande publique » dans la gestion de cet appel d’offres, qu’il juge irrégulier et opaque. En réponse, Jean Ellieh a estimé que la décision du CE était motivée par des « ingérences politiques » ciblant l’administration qu’il gère. Quels sont les enjeux de cette affaire ? Jean Ellieh a accepté de répondre aux questions de L’Orient-Le Jour. Entretien.
Vous défrayez la chronique depuis quelques jours. Seriez-vous devenu le « Ghada Aoun masculin » ?
Pas du tout. Elle est juge et je suis un fonctionnaire de l’administration que je préside depuis 2012. Depuis 2017, date à laquelle j’ai commencé à faire des apparitions dans les médias, je ne faisais que répondre aux attaques illégitimes menées contre la Direction des adjudications (DDA).
Pouvez-vous nous expliquer dans quelles conditions la société PAC a obtenu le contrat d’attribution de la gestion et de l’exploitation des boutiques hors taxes de l’aéroport ?
Pour la première fois en 2017, il y a eu un appel d’offres concernant la zone franche, et c’est la PAC qui avait été sélectionnée. La société World Duty Free Group avait été écartée pour faute technique. Il faut faire la distinction entre la DDA et la commission d’évaluation des offres qui a jugé que l’offre de cette société était non conforme, n’ayant pas pu présenter le document d’application des normes de qualité type ISO. Cette commission est d’ailleurs soumise à un contrôle administratif a priori de la part de la Cour des comptes qui a rejeté l’objection faite par World Duty Free Group.
Le nouveau président du CE, Fadi Élias, vous accuse d’avoir administré un appel d’offres irrégulier et opaque motivé par des intérêts personnels quelconques (Mohammad Zeidan, patron de PAC, est le beau-père de Tony Frangié et on le présente par ailleurs comme un proche de Saad Hariri, NDLR). Que répondez-vous ?
L’accusation portée par le CE contre la DDA est inédite dans l’histoire de l’administration libanaise. Je ne veux pas rentrer dans des considérations personnelles, mais cette accusation se retourne contre la personne qui était à l’origine de cette décision qui, d’ailleurs, ne relève pas du tout de la compétence du CE. À travers celle-ci, il donne largement l’impression qu’il s’agit d’une mesure prise sous l’impulsion d’une ingérence (politique) quelconque (le président du CE est réputé proche du CPL, NDLR).
J’ai la réputation de n’avoir aucune affiliation politique avec quelque parti que ce soit. À supposer que j’aie une affinité quelconque, ce n’est certainement pas avec le camp de M. Hariri sachant que je suis considéré plutôt proche du Courant patriotique libre, ou plutôt des principes qu’il prône.
Que reprochez-vous exactement au Conseil d’État dans cette affaire ?
Je n’adresse pas une critique au CE en tant qu’institution mais je m’attaque à une décision judiciaire irrégulière et suspicieuse, susceptible de dilapider l’argent public. Cela est une première que le CE vienne statuer en faveur de telle ou telle société et l’imposer à la DDA. Par conséquent, j’ai demandé la réouverture du procès et que l’enquête prenne son cours. Le parquet devant lequel l’affaire a été déférée détient d’ailleurs tous les documents nécessaires à cette fin. En tant que directeur de la DDA, j’estime que cette décision n’a rien de normal et je demande à ce que les raisons qui l’ont motivée soient révélées au grand public.
Vous avez évoqué des magistrats qui plient sous les ingérences politiques. Pourquoi ne pas les nommer ou en faire part à l’inspection judiciaire ?
J’ai dénoncé l’ingérence de certaines parties politiques et administratives qui pratiquent la technique de la carotte et du bâton pour influencer les décisions judiciaires et menacer tous ceux qui cherchent à s’exprimer librement. Je refuse de nommer les individus ou de les attaquer sur le plan personnel. Ce que je dénonce, c’est une décision louche du point de vue de son timing et qui sert les intérêts d’une société donnée. C’est une affaire qui risque d’avoir un effet boomerang sur les investissements au Liban dont la réputation sera encore plus ternie.
Si les marchés publics sont, selon vous, à ce point entachés d’irrégularités et de manœuvres louches, pourquoi ne pas démissionner ?
La guerre menée contre moi vise précisément à me pousser vers la porte. L’objectif est d’amener un nouveau directeur à la tête de la DDA qui puisse servir les intérêts de telle ou telle partie politique. En dépit des pressions morales que je subis, je n’abdiquerai pas. Dès le 29 juillet prochain, ma mission continuera dans le cadre de la nouvelle commission de la commande publique supposée entrer en vigueur à cette date. C’est une nouvelle autorité de régulation qui remplacera la DDA. Celui qui osera me limoger, qu’il le fasse et en assume la responsabilité. Car si c’est le cas, j’intenterai une action devant la justice.
Dans l’affaire de l’appel d’offres des navires-centrales, vous aviez bloqué une tentative de renouvellement du contrat accordé à l’opérateur turc Karadeniz, vous mettant à dos (les députés aounistes) César Abi Khalil et Georges Atallah. Pourtant, c’est le président de la République qui vous a nommé à ce poste. Comment expliquer ce retournement de situation ?
Le président de la République a émis un avis très favorable à ma candidature, mais il n’était pas le seul. Le Premier ministre à l’époque, Nagib Mikati, a donné aussi son accord. Ma désignation a par ailleurs été approuvée par l’ensemble du Conseil des ministres, ce qui est rarement le cas pour d’autres nominations administratives. Ma devise est qu’une fois nommé au poste, le fonctionnaire ne doit aucunement prendre en considération la partie qui l’a désigné ni lui prêter allégeance. Sa seule allégeance est à l’administration qu’il sert.
commentaires (9)
ah comme ca serait formisable s'il arrivait a executer ses menaces, si "on" arrivait a le limogeait. Nous aurions le fol espoir de voir devoiler les noms associes aux SCANDALES les plus juteux possibles.
Gaby SIOUFI
10 h 45, le 27 juillet 2022