Voici en bref l’histoire de la Silicon Valley, le « nouveau centre du monde » : le berceau de la révolution numérique est la sixième économie mondiale, devant la France ! Son slogan est simple : « We own the future. »
S’il faut trouver un point de départ à l’histoire de la Silicon Valley, la création de Stanford en 1891 s’impose comme une évidence. Elle va être à la base du triangle magique : « État, entreprise, université », clé de voûte de la réussite de la Valley.
Plusieurs inventions vont accompagner le développement de cette région : invention du tube à vide qui donnera naissance à la télévision, la radio, les radars, les satellites, du transistor, des semi-conducteurs, des microprocesseurs qui vont booster l’industrie des ordinateurs puis l’arrivée de l’internet avec les webs 1 , 2 et 3 aujourd’hui, l’avènement d’internet étant la forme ultime du libre marché, une ère de dérégulations synonyme de la fin de l’État ou du moins de son rétrécissement.
Pour ses héros, nous pouvons énumérer de Hewlett Packard à Larry Page (Google), les plus grands entrepreneurs issus de Stanford, ceux derrière Facebook, Snapchat, GE, Kodak, Cisco, Yahoo…
Au début de l’informatique, les hackers (à l’origine des étudiants du MIT) rêvaient d’une technologie qui améliore l’humain, une technologie gratuite, décentralisée. Leur ennemi a toujours été l’État et les politiques ; leur but : parfaire l’homme. Ils voient la nature humaine comme faible et imparfaite.
Cette philosophie a disparu, graduellement remplacée par un écosystème ultracapitalistique qui veut carrément remplacer l’homme par la machine.
C’est le début des venture capitalists et des business angels et la nouvelle ruée vers l’or (ce thème est récurrent dans l’histoire de la Californie).
La révolution numérique est l’extension de la tradition « libertarienne » implantée de longue date aux États-Unis. C’est le pouvoir des individus face au collectif.
Nick Clegg, ancien leader des libéraux-democrates britanniques embauché par Facebook en 2018, définit ainsi son positionnement politique : « La gauche est obsédée par l’État. La droite vénère le marché. Nous, en tant que libéraux, nous croyons aux individus, aux gens qui ont du pouvoir et se créent des opportunités. » Le macronisme en France en est un très bon exemple.
En politique, la gauche et la droite sont remplacées par les pro et les antitechnologie. Le mot à la mode est « disruption » ou « ubérisation » de l’économie : une nouvelle société pénètre un marché en perdant de l’argent jusqu’à ce qu’elle se débarrasse de sa concurrence. Le consommateur n’a plus d’autre choix que d’utiliser ses services… Bien sûr, les prix augmenteront ultérieurement : c’est le cas d’Uber vs les taxis, Airbnb vs les hôtels, Google vs les autres moteurs de recherche…
Le modèle de la Silicon Valley est ultramonopolistique, c’est là qu’intervient l’intelligence artificielle (IA) développée dès les années 60 dans le SAIL (Stanford Artificial Intelligence Laboratory). L’IA a explosé ces dernières années avec le machine learning rendu possible par la prolifération du big data sur internet.
La technologie de la blockchain va accélérer la décentralisation de l’internet, le création de monnaie virtuelle et la création de nouveaux mondes appelés les métaverses… Nous sommes toujours dans l’idée de court-circuiter les États et leurs réglementations.
Peter Thiel, un des grands acteurs de la Silicon Valley, est très radical. Ce qu’il veut au fond, c’est détruire les institutions qu’il considère comme oppressives. Et pour lui, la technologie peut y contribuer. En fait, il incarne la Silicon Valley. Il fait partie d’une poignée de personnes brillantes qui veulent prendre les décisions toutes seules, diriger le monde et remplacer toutes les institutions. Ces gens-là, appelés des « libertariens » purs et durs, sont antidémocrates, hyperindividualistes, égoïstes et antisociaux.
La Seasteading Institute, soutenu notamment par Peter Thiel, a pour projet de créer des îles artificielles en pleine mer, hors des juridictions étatiques et de leurs lois contraignantes. Les grandes entreprises désirent s’émanciper des États pour pousser plus loin leurs expérimentations technologiques, en particulier dans les domaines des biotechnologies, nanotechnologies et des sciences médicales.
On parle du quantified self ou « soi quantifié » pour mesurer tous les paramètres possibles de son existence grâce à des objets connectés, capteurs et autres smartphones.
Les rêves les plus fous sont désormais à portée de main : créer une machine supérieure à l’homme, prolonger la vie humaine et même atteindre l’immortalité et enfin transporter notre esprit en dehors de notre corps et à l’intérieur des ordinateurs.
Singularity University, c’est le temple de la Silicon Valley, son église. On y professe une croyance totale, aveugle, dans la technologie et son potentiel transformateur – positif, est-il nécessaire de préciser... On y diffuse une vision transhumaniste du futur. L’homme doit et va fusionner avec la technologie.
Voilà ce qui nous attend (vraiment) dans les années à venir !
Issa JAZRA
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