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Culture - Événement

Rap, guitares basses et pinède pour fêter les 15 ans d’AFAC

La programmation à l’hippodrome de Beyrouth comprenait un large éventail de musiciens, dont le rappeur soudano-saoudien Dafencii, la chanteuse égyptienne Donia Wael, le rappeur tunisien KTYB, le producteur égyptien de shaabi électronique El Waili (Kareem Gaber), le rappeur « thérapeute lyrique » du Liban el-Rass (Mazen el-Sayed), et le rappeur et musicien égyptien Wegz (Ahmed Ali).

Rap, guitares basses et pinède pour fêter les 15 ans d’AFAC

Omar Dafencii sur scène lors du 15e anniversaire du Fonds arabe pour les arts et la culture (AFAC) à l’hippodrome de Beyrouth. Photo Ahmad Chehadeh

Dans le calme relatif de la nature et sous les pins qui entourent l’hippodrome de Beyrouth, secteur du Musée, une foule nombreuse patiente, les yeux rivés vers la scène. Le concert commence à la nuit tombée. Premier à monter sur scène, Omar Dafencii, un rappeur soudano-saoudien au débit fluide. L’artiste s’est constitué un large auditoire depuis qu’il a commencé à sortir ses chansons en 2021, et sa récente chanson, King al-Halba (Roi du ring), a déjà recueilli plus de 7,7 millions de vues sur YouTube. Produite par le Palestinien Khayyat, ce titre diffuse une rythmique rap fluide agrémentée de tambours et de basses, avec des tonalités qui lui donnent un cachet tout particulier. « Savez-vous que c’est ma première performance – la toute première ? » lance Dafencii à la foule qui l’encourage.

El Rass est l’un des nombreux artistes qui ont utilisé leur musique et leurs paroles pour révéler les inégalités et les injustices dans leurs pays respectifs au fil des ans, en particulier pendant le printemps arabe de 2011. Photo Tamara Rasamny

Bien qu’il ait publié ses opus depuis plus d’un an, le rappeur n’a partagé sa musique que de manière numérique, via des plateformes de musique en ligne et sur YouTube. C’est la première fois qu’il se produit en concert.

« Je suis vraiment heureux, et je ne peux pas expliquer toute la joie que je ressens. J’espère que vous êtes tous heureux ? » Dafencii crie alors que la foule rugit en réponse. « C’est parti ! »

Les (guitares) basses s’arrêtent. Dafencii démarre alors sa performance alors que des spectateurs dansent et bougent la tête au son des basses profondes qui résonnent de nouveau sous les pins. Le public est varié, comprenant des amateurs de musique de tous horizons, des familles et leurs enfants, et divers fans de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, représentés par des drapeaux égyptiens, algériens, tunisiens et palestiniens brandis de temps à autre. Certains sautent et dansent tandis que d’autres se rapprochent de la scène pour essayer d’immortaliser ce moment. Un peu plus loin, des groupes de jeunes sont assis sur l’herbe, sirotant une bière et appréciant la musique. De temps en temps, une légère odeur funky flotte dans les airs.

Des artistes issus de toute la région se sont retrouvés samedi à l’hippodrome de Beyrouth, où ils ont représenté différents styles de musique, principalement du rap et du hip-hop, mais aussi de la pop, des rythmes afro et de l’électro, dans le cadre de Midane, la célébration du 15e anniversaire du Fonds arabe pour les arts et la culture (AFAC). La programmation comprenait un large éventail de musiciens, dont le rappeur soudano-saoudien Dafencii, la chanteuse égyptienne Donia Wael, le rappeur tunisien KTYB, le producteur égyptien de shaabi électronique El Waili (Kareem Gaber), le rappeur el-Rass (Mazen el-Sayed), le « thérapeute lyrique » du Liban, et le rappeur et musicien égyptien Wegz (Ahmed Ali).

Peu avant le concert, dans un hôtel avoisinant, deux artistes égyptiens qui ont récemment sorti un EP en commun – El Waili, un producteur aux rythmes uniques et distincts avec une touche de Mahraganat (musique populaire égyptienne), et Donia Wael, une étudiante en biologie à la voix soyeuse, devenue musicienne – se sont entretenus avec L’Orient Today avant leurs premières scènes au Liban.

Un anniversaire sous les pinèdes de l’hippodrome de Beyrouth. Photo Ahmad Chehadeh

El Waili, qui a commencé par masquer son visage en jouant ses morceaux, est présent sur la scène musicale depuis plus de six ans. « J’ai été stimulé par la scène égyptienne, Marwan Pablote, Molotof, DJ Dotty... Ils m’ont ouvert les yeux sur le fait que non, peut-être que les Égyptiens peuvent écouter quelque chose comme ça. Cela a brisé une barrière en moi et j’ai pu faire ce que j’aime », déclare-t-il, bien qu’il se produise depuis un certain temps.

Ses beats et ses drops sont immédiatement reconnaissables. Ses morceaux sont un mélange de musique folklorique égyptienne « shaabi », avec une gamme variée de deep trap, de trance et de hip-hop.Seule femme à l’affiche du concert, Donia Wael explique les difficultés qu’elle a rencontrées pour se lancer dans la musique : « Être une femme (dans la musique) en Égypte présente de nombreux défis. Par exemple, il y a toujours des limites ; certains sujets dont on ne peut pas parler. Vous devez faire attention à ce que vous dites. »

Interrogée sur sa performance, Donia Wael répond : « Je suis une personne qui aime vraiment la nature et... j’ai l’impression que cela aide les gens à se connecter davantage, dans un environnement comme celui-ci, en plein air. »

Le rappeur égyptien Wegz se produit lors du concert organisé à l’occasion du 15e anniversaire du Fonds arabe pour les arts et la culture (AFAC). Photo Ahmad Chehadeh

32 millions de dollars pour 2 100 projets

Au cours des 15 dernières années, AFAC a soutenu les scènes artistiques et culturelles de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord par le biais de ses programmes et de ses subventions, fournissant 32 millions de dollars de financement dans la région pour soutenir plus de 2 100 projets. Le Fonds soutient des organisations et des artistes dans tous les domaines, de la danse au cinéma en passant par la littérature, le théâtre, la photographie et la musique.

Quelques-uns des artistes présentés ont bénéficié du soutien d’AFAC, comme El Waili et el-Rass, l’âme du rap libanais, qui a reçu une bourse musicale d’AFAC en 2013.

La préparation du concert du 15e anniversaire de l’AFAC a été marquée par une controverse, car la publication musicale Ma3azef, ancien partenaire de l’organisation de l’événement, a été mise en cause pour avoir gardé le silence et « couvert » l’agression sexuelle présumée d’une gérante de salle qui aurait été par ailleurs droguée par deux artistes liés au magazine musical lors d’un événement organisé en 2019 par Barzakh, le Ballroom Blitz et Ma3azef.

Peu de temps après l’annonce de la nouvelle, AFAC a rompu ses liens avec Ma3azef, en publiant une communiqué précisant : « À la lumière des accusations portées contre la direction de Ma3azef, et conformément à notre conviction profonde concernant la responsabilité de toutes les institutions/organisations/espaces de faire face à toute agression, d’abord en protégeant les survivants, et ensuite en tenant les agresseurs responsables, nous annonçons la dissolution immédiate du partenariat avec Ma3azef et la cessation de tout rôle que Ma3azef pourrait avoir dans l’organisation de l’événement. »

Les programmes variés et nombreux de AFAC aident les artistes à développer leur style, en leur offrant l’espace et la confiance d’une organisation qui soutient leurs idées de projets. « Il s’agit vraiment de savoir comment positionner l’expression créative ou la production artistique et culturelle au cœur de grandes questions importantes », explique Rima Mismar, directrice générale de AFAC. « Mais en même temps, ouvrir l’espace pour que d’autres puissent participer, et c’est ainsi que le dialogue est lancé. Et maintenant, l’acceptation ou notre compréhension des choses se construira avec le temps. »

Dans le cas d’el-Rass, bien qu’il fasse partie du paysage artistique depuis environ 10 ans, ses chansons sont devenues des hymnes au mouvement de protestation d’octobre 2019 au Liban, avec ses titres, Ashhadou, Shoof et al-Nar reflétant la frustration et la rage des Libanais.Samedi soir, sa performance était à son image, avec une entrée en scène enflammée chantant « Hela Hela, Hela Hela Ho » dans une version altérée du chant habituel, provoquant des échos dans la foule qui a repris la ballade des protestataires d’octobre 2019 visant Gebran Bassil, le leader du Courant patriotique libre et gendre du président Michel Aoun.

Et, lorsque les premiers rythmes du morceau Ashhadou (2017) ont démarré, la foule s’est déchaînée.

« Il y a quelque chose pour nous dans ces rues que nous devons prendre.

Il y a quelque chose pour nous dans ces batailles que nous devons prendre.

Il y a quelque chose pour nous en dehors de la peur et des promesses,

Ce n’est pas donné, c’est quelque chose que nous devons prendre. »

El-Rass pointe son micro vers le public, une multitude de voix répètent les paroles. Son set comprenait deux autres rappeurs, le Syro-Philippin Chyno et le rappeur libanais Ali Salloum, d’abord connu pour ses vidéos humoristiques virales avant de lancer sa carrière musicale.

« Les artistes libanais sont à mon avis similaires aux artistes palestiniens dans le sens où ce qu’ils vont rapper concerne ce qu’ils voient au jour le jour, politiquement, socialement, économiquement », explique Danny Hajjar, un professionnel des relations avec les médias et DJ qui a créé Sa’alouni el-Nas, un bulletin d’information sur la musique et les histoires de la région. « C’est (explicitement) plus politique que les autres scènes de rap. »

« En 2011, c’était définitivement le hip-hop, comme en Tunisie, en Égypte. Le rap était beaucoup plus politique, beaucoup plus explicite. Le hip-hop dans la région est revenu aux racines du genre, qui est intrinsèquement un genre de protestation. C’est vrai. C’est un genre subversif. Il y avait des gars en Tunisie, comme Balti, qui dénonçaient constamment le régime », explique Danny Hajjar.

Alors que le genre se développe dans la région, certains artistes sont toutefois incapables de le pratiquer dans leur propre pays. C’est le cas de Ramy Essam, qui a interprété des chansons sur la place Tahrir pendant la révolution égyptienne, avant d’être expulsé d’Égypte après son arrestation par la police, avec d’autres personnes en rapport avec une chanson datant de 2018. L’un des cinéastes ayant réalisé le vidéoclip du morceau est mort en prison.

Les initiatives d’AFAC ont façonné et favorisé de nombreuses scènes artistiques dans la région, en réagissant à des contextes locaux bien particuliers, comme la création d’un fonds de solidarité avec le Liban après la double explosion de Beyrouth du 4 août 2020, qui a gravement touché les quartiers de la ville où vivent et travaillent de nombreux artistes et créateurs.

L’un des bénéficiaires de ce fonds a été le Beirut Synthesizer Center, fondé par Bana Haffar, Elyse Tabet, Ziad Moukarzel et Hany Manja, qui s’est spécialisé dans la musique électronique et la musique de synthèse, tout en proposant également des ateliers sur la théorie musicale et la production musicale. Le centre espère s’ouvrir à d’autres disciplines que la musique, comme la danse, la conception sonore, l’art et la mode.

« Ce genre d’espace, un endroit où l’on peut s’installer et travailler sur sa musique, gratuitement ou pour une somme très modique, n’existait pas vraiment », explique Ziad Moukarzel.Le Beirut Synthetizer Center ainsi que d’autres lieux dédiés à la musique comme Onomatopoeia offrent aux artistes des espaces et des ressources pour mieux explorer leur créativité musicale et expérimenter.

« Nous sommes particulièrement intéressés par les développements de la scène et c’est ainsi que nous commençons à voir des projets qui ne cherchent pas seulement à briser les frontières mais à les repousser », explique Rima Mismar. « Expérimenter et repousser les limites peut se faire à tous les niveaux. »

Bien que de plus en plus d’espaces apparaissent, expérimentant diverses formes de design sonore et de musique, comme un récent spectacle d’Ashkal Alwan où deux artistes, Tarek Atoui et Eric La Casa ont enregistré le port de Beyrouth entre le 12 et le 17 octobre 2019, la scène expérimentale n’est pas nouvelle au Liban.

« Ce n’est pas nouveau du tout », confirme Rima Mismar, en évoquant le travail qu’elle a effectué avec AFAC depuis 2011.

L’un des plus grands exemples en est Irtijal, un festival de musique expérimentale fondé il y a plus de 20 ans au Liban, qui a célébré une variété d’artistes et mis en lumière différentes formes de musique.

Alors que les scènes musicales se développent et que différentes formes de musique underground prennent le devant de la scène, AFAC espère pouvoir continuer de soutenir les arts et la culture tout en développant ses initiatives pour tenir compte de diverses considérations essentielles.

« L’une des questions principales que nous étudions est de savoir comment remédier à l’iniquité et à l’inégalité en termes d’opportunités à travers la région lorsqu’il s’agit de financement », explique Rima Mismar. « L’accessibilité est donc une grande préoccupation, que ce soit au niveau des artistes qui ont moins d’opportunités, qui sont moins sous les feux de la rampe, moins expérimentés. Mais aussi au niveau du public, (nous nous) demandons comment nous pouvons contribuer à la construction de canaux de diffusion, de distribution et de circulation des œuvres d’art et de culture. »

Cet article a été originellement publié en anglais sur le site de « L’Orient Today », le 20 juillet 2022.

Dans le calme relatif de la nature et sous les pins qui entourent l’hippodrome de Beyrouth, secteur du Musée, une foule nombreuse patiente, les yeux rivés vers la scène. Le concert commence à la nuit tombée. Premier à monter sur scène, Omar Dafencii, un rappeur soudano-saoudien au débit fluide. L’artiste s’est constitué un large auditoire depuis qu’il a commencé à...

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