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Moyen-Orient - Tunisie

Avec son projet de Constitution, le président poursuit sa dérive autoritaire

Le texte rendu public à la fin du mois dernier et devant être soumis au référendum le 25 juillet consacre davantage les pouvoirs aux mains de Kaïs Saïed.

Avec son projet de Constitution, le président poursuit sa dérive autoritaire

Sadok Belaïd, chef de la Commission nationale consultative pour une nouvelle république, chargée de rédiger une nouvelle Constitution, remettant au président tunisien une copie du nouveau texte, le 20 juin 2022. Tunisian Presidency Press Service/HO/AFP

Sans surprise, c’est un projet de Constitution hyperprésidentialiste qui sera soumis au vote référendaire dans moins de trois semaines. S’il avait chargé fin mai le juriste et ancien doyen de la faculté des sciences juridiques de Tunis, Sadok Belaïd, de rédiger un avant-projet de la nouvelle Constitution, le chef de l’État tunisien, Kaïs Saïed, n’a pas hésité à prendre des libertés avec le rapport qui lui a été soumis. Au point que Sadok Belaïd lui-même dénonce, dans un entretien donné dimanche au quotidien Le Monde, un projet « dangereux » faisant peser le risque d’une « dictature sans fin au profit du président actuel ». Car en dépit des nombreuses voix qui s’élèvent pour critiquer le virage autoritaire pris par le dirigeant du pays depuis près d’un an, rien ne semble l’arrêter.

Rendue publique le 30 juin dernier, la nouvelle Constitution sur laquelle les Tunisiens sont appelés à se prononcer le 25 juillet – premier anniversaire du coup de force institutionnel mené par Kaïs Saïed à l’issue duquel il a mis en place un régime d’exception – supprime la mention selon laquelle le pouvoir exécutif est exercé conjointement par le président de la République et le gouvernement. Consacrant l’intégralité du pouvoir exécutif dans les mains du président, elle stipule que le chef de l’État assure ce rôle, « aidé par un gouvernement dirigé par un chef de gouvernement », qui n’est lui-même, selon le nouveau texte, plus responsable devant le Parlement mais devant le président.

En outre, l’instauration d’une seconde Chambre baptisée « Conseil national régional et territorial » censée améliorer la représentation des citoyens par le biais de représentants élus par les collectivités locales fragilise un peu plus l’Assemblée des représentants du peuple, ayant fait les frais du chef de l’État qui l’accuse régulièrement de confisquer le pouvoir du peuple. L’été dernier, Kaïs Saïed avait ainsi démis par décret le Premier ministre de ses fonctions, gelé temporairement les activités du Parlement et levé l’immunité des députés dans une tentative d’écarter du pouvoir le parti d’inspiration islamiste Ennahda, bête noire du président tunisien. Un geste qui avait à l’époque ravi une partie de la population, tenant la formation pour responsable de la crise socio-économique traversée par le pays et lassée par la paralysie des institutions liée aux querelles internes entre la présidence, le chef du gouvernement et le Parlement. Source de luttes récurrentes entre les branches exécutive et législative, la Constitution de 2014, élaborée à la suite de la révolte populaire de 2011, a mis en place un régime hybride – ni tout à fait présidentiel ni tout à fait parlementaire – auquel Kaïs Saïed est bien décidé à mettre un terme.

Boycott du scrutin

En dépit d’une opposition largement divisée face au président, qui bénéficie encore de soutiens au sein du pays, des voix continuent de s’élever pour lui faire barrage. « Ce projet adopte la philosophie de la Constitution de 1959 et supprime tous les points positifs du texte de 2014.

Il ne reflète en rien les aspirations du peuple tunisien et ses forces modernistes », a alerté dans un communiqué publié hier le Parti des travailleurs (extrême gauche), qui appelle à boycotter le prochain scrutin. S’attirant plus largement les critiques de l’élite intellectuelle tunisienne, des juristes ainsi que d’une grande partie de la société civile, la nouvelle Constitution est d’autant plus redoutée qu’elle exclut le mécanisme de destitution du chef de l’État prévu par Sadok Belaïd dans son rapport. Ce dernier indiquait que le président devait quitter ses fonctions dans le cas où il limogerait le gouvernement à deux reprises.

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« À l’époque, je peux témoigner que le président était oralement d’accord avec une telle éventualité. Ce que je regrette énormément, c’est qu’il l’a omise dans le texte rendu public », a indiqué le constitutionnaliste dans son entretien au Monde. En outre, « le texte présidentiel peut lui donner la tentation de renouveler son mandat après son expiration en cas de “danger imminent” », a-t-il ajouté.

Ayant également fait couler beaucoup d’encre depuis quelques jours, la suppression dans le nouveau texte de la mention de l’islam comme « religion d’État » est présentée par de nombreux défenseurs de la laïcité comme une grande avancée dans un pays arabe. À la place, l’article 5 du projet présidentiel stipule que « la Tunisie fait partie de l’oumma islamique. Seul l’État devra veiller à garantir les objectifs de l’islam ».

Des propos qui semblent néanmoins destinés avant tout à lutter contre le parti Ennahda, issu de l’islam politique, alors que le président lui-même est réputé pour sa casquette de conservateur, ayant exprimé par le passé ses positions pour la peine de mort ou contre l’égalité homme-femme, dans l’héritage notamment.

Sans surprise, c’est un projet de Constitution hyperprésidentialiste qui sera soumis au vote référendaire dans moins de trois semaines. S’il avait chargé fin mai le juriste et ancien doyen de la faculté des sciences juridiques de Tunis, Sadok Belaïd, de rédiger un avant-projet de la nouvelle Constitution, le chef de l’État tunisien, Kaïs Saïed, n’a pas hésité à prendre des...

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