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Moyen-Orient - Entretien express

« Saïed renoue avec les pratiques qui sévissaient avant l’avènement de la démocratie »

Youssef Chérif, analyste politique et directeur du Columbia Global Centers Tunis, répond aux questions de « L’Orient-Le Jour ».

« Saïed renoue avec les pratiques qui sévissaient avant l’avènement de la démocratie »

Le président tunisien Kaïs Saïed assistant à une conférence sur le droit constitutionnel lors d’une visite d’État au Qatar, le 16 novembre 2020. Photo d’archives AFP

Plus de six mois après avoir gelé les pouvoirs du Parlement et limogé le gouvernement élu, le président tunisien Kaïs Saïed étend désormais son influence au pouvoir judiciaire. Dimanche, il a promulgué un décret visant à remplacer le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) – un organe supposé indépendant créé en 2016 dans l’objectif de nommer les juges – qu’il a dissous le 5 février dernier. Le président tunisien, qui accusait le CSM de corruption et d’être sous l’influence du parti politique islamo-

conservateur Ennahda, a annoncé à sa place l’entrée en vigueur d’une instance temporaire et s’est octroyé le pouvoir d’approuver et de révoquer les juges ainsi que de leur interdire de faire grève. Si les actions prises par Kaïs Saïed en juillet avaient été saluées par une partie de la population, qui tenait la formation islamiste pour responsable de la crise socio-économique que traverse le pays, les récents développements font craindre aux détracteurs du chef de l’État, à la société civile et à la communauté internationale, un glissement vers l’autoritarisme. L’analyste politique et directeur du Columbia Global Centers Tunis, Youssef Chérif, décrypte pour L’Orient-Le Jour les enjeux derrière la consolidation des pouvoirs de Kaïs Saïed.

Quelle est la portée du décret promulgué dimanche par Kaïs Saïed ?

Les juges tunisiens ont gagné une autonomie considérable en 2011, après la chute de la dictature. Le Conseil supérieur de la magistrature a par ailleurs critiqué à plusieurs reprises les décisions du président Kaïs Saïed. Ce dernier veut donc les remettre sous la coupe de l’exécutif, renouant ainsi avec les pratiques qui sévissaient avant l’avènement de la démocratie. Maintenant, son argument est que le pouvoir judiciaire est corrompu, trop indépendant, politisé. Il n’a pas tout à fait tort, mais le résultat de cette décision sera une justice aux ordres du président et qui ne pourra pas s’opposer aux abus de pouvoir à l’avenir. Et même si Saïed se donne des limites, rien ne garantit que celui qui lui succédera – nul n’est éternel – en fera autant. C’est sur le long terme que l’on évaluera les répercussions de cette décision.

Quelles peuvent être les conséquences sur l’opposition tunisienne et sur la liberté de la presse ?

Aujourd’hui, le principal parti d’opposition politique à Saïed est Ennahda. Le président semble convaincu qu’Ennahda n’est pas un parti politique à proprement parler mais une nébuleuse terroriste et corrompue à la solde de l’étranger. Du moins c’est ce qui ressort de ses allusions et des déclarations de ses partisans. Il faut donc s’attendre à des réactions plus virulentes contre Ennahda de la part du pouvoir judiciaire. Les exemples d’autres pays ou de telles actions qui ont été entreprises – et même de la Tunisie du début des années 1990 – indiquent que les étapes qui suivront l’attaque contre le principal parti d’opposition seront le musellement de toute autre voix discordante et des médias. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si la majorité des organismes des droits de l’homme tunisiens et étrangers critiquent les décisions du président.

Comment la population réagit-elle face aux récents développements ? La société civile peut-elle agir comme un contre-pouvoir ?

Les juges ayant la réputation d’être durs et en partie corrompus, il y a peu de Tunisiens enclins à les défendre publiquement, surtout au sein de la société civile. Pendant des années, les activistes de tout bord ont eu à souffrir des jugements conservateurs de certains juges. Quant à l’ensemble de la population, elle est en partie bercée par la propagande présidentielle, et en partie hostile à toute représentation de l’État (y compris le judiciaire et la police). Il existe une minorité, politique, civique ou intellectuelle, dont la voix s’élève contre les actions du président, mais son poids est relativement léger dans la rue. Par ailleurs, les contre-pouvoirs sont faibles et divisés.

Plus de six mois après avoir gelé les pouvoirs du Parlement et limogé le gouvernement élu, le président tunisien Kaïs Saïed étend désormais son influence au pouvoir judiciaire. Dimanche, il a promulgué un décret visant à remplacer le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) – un organe supposé indépendant créé en 2016 dans l’objectif de nommer les juges – qu’il a...

commentaires (1)

Il n'y a pas, dans toute l'histoire de l'humanité, d'exemple d'une révolution qui ait apporté un mieux être au peuple. La révolution conduit à l'anarchie, et celle-ci à la dictature. Les meilleurs exemples sont celles de France et de Russie. Dans le monde dit "arabe", nous avons actuellement ceux de l'Egypte et de la Tunisie. Quant à la Lybie, elle en est encore au stade de l'anarchie.

Yves Prevost

08 h 16, le 16 février 2022

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Commentaires (1)

  • Il n'y a pas, dans toute l'histoire de l'humanité, d'exemple d'une révolution qui ait apporté un mieux être au peuple. La révolution conduit à l'anarchie, et celle-ci à la dictature. Les meilleurs exemples sont celles de France et de Russie. Dans le monde dit "arabe", nous avons actuellement ceux de l'Egypte et de la Tunisie. Quant à la Lybie, elle en est encore au stade de l'anarchie.

    Yves Prevost

    08 h 16, le 16 février 2022

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