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Moyen-Orient - Justice

Le lobbying pro-Qatar à Washington dans le viseur du FBI

Accusé dans le cadre d’une vaste enquête de vouloir cacher ses relations avec des officiels de l’émirat gazier, le président de la Brookings Institution, John Allen, a démissionné dimanche.

Le lobbying pro-Qatar à Washington dans le viseur du FBI

Sous le coup d’une enquête du FBI, John R. Allen a démissionné dimanche de ses fonctions de président de la Brookings Institution. Brendan Smialowski/Archives AFP

Dernier épisode en date des révélations égrenées depuis quelques années sur l’influence des pays du Golfe dans les cercles de décision américain : le président du think tank Brookings Institution, John R. Allen, a démissionné dimanche pour ses activités présumées de lobbying en faveur du Qatar. Sous le coup d’une enquête du Bureau fédéral d’investigation (FBI), l’ancien général de marine à la retraite aurait cherché à cacher ses interactions avec des officiels qataris pour les aider à surmonter la crise du blocus arabe qui avait frappé l’émirat gazier en 2017. Des relations allant à l’encontre de la loi américaine baptisée FARA (Foreign Agents Registration Act), entrée en vigueur en 1938 et qui requiert des lobbyistes au service d’un gouvernement étranger qu’ils dévoilent publiquement cette relation et leurs activités entreprises dans ce cadre. Dans ce contexte, les liens du général Allen avec Doha sont scrutés de près, alors qu’ils s’inscrivent dans le cadre d’une investigation plus vaste qui a également mis en cause un ancien ambassadeur américain ainsi qu’un homme d’affaires déjà condamné par le passé.

Les faits reprochés

Fort de son expérience militaire au Moyen-Orient, avec un passage notamment en Irak puis en Afghanistan en tant que commandant des forces de la coalition menée par Washington, John Allen a ensuite servi sous l’administration de Barack Obama à la tête du dialogue de sécurité pour le processus de paix israélo-palestinien, puis comme envoyé spécial du président auprès de la coalition anti-Daech. L’ancien militaire aux quatre étoiles avait finalement pris la tête de l’un des principaux centres de réflexion américains en novembre 2017, l’institut libéral Brookings, qui avait jusqu’en septembre dernier une branche dans la capitale qatarie, ouverte en 2007 avec le soutien financier du ministère qatari des Affaires étrangères. Le général Allen a été remercié et mis en congé administratif mercredi dernier après la saisie par le FBI de ses données électroniques, avant de démissionner quelques jours plus tard. Si l’ancien président ne mentionne pas dans sa lettre de départ l’enquête dont il fait l’objet, il confie partir « le cœur gros », reconnaissant que c’est dans l’intérêt des parties concernées. Son porte-parole, Beau Philipps, avait nié l’année dernière les faits qui lui sont reprochés, précisant cette semaine à l’agence Associated Press que le général Allen « coopère volontairement » avec le FBI.

Pourtant, il lui est reproché d’avoir failli à présenter des e-mails qui avaient préalablement été communiqués au gouvernement par d’autres sources, dans lesquels il aurait réclamé des honoraires d’intervenant et d’autres compensations financières pour ses efforts de lobbying en faveur du Qatar. Ses activités visaient notamment à savoir quel soutien américain Doha pourrait obtenir et de quelle manière. Le quartet arabe formé par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte et Bahreïn venait en effet de lancer en juin 2017 un embargo sur le petit émirat gazier pour l’isoler, lui reprochant son soutien aux Frères musulmans ainsi que sa proximité avec l’Iran. John Allen aurait alors démarché des représentants de l’exécutif américain pour leur suggérer des déclarations publiques en faveur du Qatar, sollicitant aussi auprès d’eux des rencontres avec des officiels qataris, ou encore plaidant la cause de l’émirat face à des membres du Congrès américain. Il aurait demandé 20 000 dollars d’honoraires et de frais de déplacement pour une visite à Doha, effectuée avant de prendre la tête de Brookings, cherchant par ailleurs à sceller un plus large arrangement pour une compensation à long terme. À Washington, le général Allen aurait en outre tenté de conclure au moins un accord commercial de plusieurs millions de dollars entre le gouvernement qatari et une société au sein de laquelle il siégeait au conseil d’administration.

Un système lucratif

Pour le FBI, il y a donc des « preuves substantielles » que l’ancien président de Brookings a violé la loi FARA sur les agents étrangers. D’autant plus que d’autres suspects de la vaste enquête menée par le bureau fédéral ont commencé à dévoiler le système de lobbying mis en place dans le but de bénéficier économiquement de la crise diplomatique entre les pays du Golfe. L’ancien ambassadeur américain au Pakistan et aux Émirats arabes unis, Richard Olson, a déjà plaidé coupable en janvier dernier pour lobbying illégal et dissimulation de cadeaux. Il avait donné des conseils au gouvernement qatari avant d’avoir passé le délai de carence d’un an à sa sortie de fonctions en novembre 2016. Il a admis avoir recruté le général Allen pour mener campagne en faveur du Qatar, notamment auprès du conseiller à la Sécurité nationale de l’époque, H.R. McMaster. Quelques jours après le début du blocus arabe sur Doha, un officiel qatari, Ahmad al-Roumaïhi, aurait ainsi demandé à l’ancien militaire d’entrer en contact avec le conseiller américain pour pousser dans le sens d’une déclaration appelant à la retenue et à la désescalade, ce que Washington a effectivement fait. Dans cette entreprise de lobbying, Imad Zuberi, propriétaire de la société de capital-risque Avenue Ventures, tenait le portefeuille sur le sol américain. Finançant grâce à des fonds d’origine largement inconnue les républicains depuis l’élection présidentielle qui avait mené Donald Trump à la Maison-Blanche en 2016, cet homme d’affaires a été condamné l’année dernière à 12 ans de prison pour évasion fiscale, obstruction à la justice, falsification de documents et violation de la loi FARA dans le but de faire du lobbying pour des gouvernements étrangers, notamment le Sri Lanka.

Si le blocus du quartet arabe contre le Qatar a pris fin en janvier 2021, Doha a poursuivi ses activités de lobbying auprès de Washington sur d’autres dossiers. Interlocuteur privilégié de Washington, l’émirat gazier est devenu cette année un allié majeur non membre de l’OTAN pour les États-Unis, s’imposant en tant que médiateur et point de sortie vital pour les Américains lors de la prise de Kaboul par les talibans l’année dernière, ou encore comme une alternative crédible au gaz naturel russe depuis la crise ukrainienne. Outre le Qatar, les EAU et l’Arabie saoudite sont également très actifs dans la capitale fédérale américaine, non seulement par l’influence de leurs ambassadeurs sur place, mais également par leur financement de certains centres de réflexion tels que Brookings. En 2017, un article publié par le site The Intercept dévoilait le financement du Middle East Institute par Abou Dhabi à hauteur de 20 millions de dollars en moins de deux ans, à la veille de l’embargo sur le Qatar, dont la fédération émiratie était l’un des fers de lance.

Dernier épisode en date des révélations égrenées depuis quelques années sur l’influence des pays du Golfe dans les cercles de décision américain : le président du think tank Brookings Institution, John R. Allen, a démissionné dimanche pour ses activités présumées de lobbying en faveur du Qatar. Sous le coup d’une enquête du Bureau fédéral d’investigation (FBI),...

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