
L'unité flottante Energean Power aux alentours du champ de Karish le 9 mai 2022. REUTERS/Ari Rabinovitch/File Photo
C’est la première fois que les treize députés dits du changement accordent leurs violons sur un dossier de fond aussi sensible, en l'occurrence la délimitation des frontières maritimes. Au lendemain du fait accompli imposé par Israël avec l’envoi de l’unité flottante Energean Power dans une partie de la zone économique exclusive israélienne présumée contestée avec le Liban, les nouveaux élus de la contestation se sont ouvertement prononcés en faveur de la consécration officielle de la ligne 29 dans l’objectif d’empêcher Israël d’avancer dans cette zone et de protéger les droits du Liban. Cette position a l’avantage de rappeler l’existence d’un contre-pouvoir au sein du Parlement. En ce sens, les nouveaux élus réformistes veulent réhabiliter une dynamique de reddition des comptes. Elle a toutefois suscité une petite polémique sur la scène locale, les nouveaux députés étant accusés par certains de faire le jeu du Hezbollah et de compliquer la suite des négociations. Officiellement, le Liban revendique la ligne 23 qui lui accorde 860 km2 au sein de la zone contestée. Mais des experts, civils et militaires poussent afin qu’il réclame 1430 km 2 supplémentaires, délimités par la ligne 29. S’il le fait, une partie du champ de Karish, que l’unité flottante souhaite exploiter, se trouvera dans la zone contestée.
C’est la raison pour laquelle les treize députés de la contestation appellent les autorités libanaises à amender le décret 6433 afin d’officialiser la revendication de la ligne 29. « Nous voulons au moins faire valoir et protéger nos droits sur les plans légaux et diplomatiques », commente pour L’Orient-le Jour, le député de Beyrouth II, Ibrahim Mneimné, qui se dit toutefois conscient qu’Israël ne s’arrêtera pas pour autant. Lors de la séance parlementaire consacrée mardi à l’élection des membres des commissions parlementaires, la député Paula Yacoubian a voulu évoquer à son tour l’urgence de réhabiliter la ligne 29. Une initiative à laquelle le chef du Parlement a coupé court, en annonçant la venue prochaine de l’émissaire américain, Amos Hochstein. La veille, Nabih Berry avait précisé que « si Hochstein ne se montre pas coopératif ou n'obtient pas de résultats, le gouvernement libanais doit se réunir et décider à l'unanimité d'amender le décret 6433 et de l'envoyer à l'ONU ». Une arme que le Liban officiel continue de brandir, croyant pouvoir encore à ce stade dissuader l’État hébreu de continuer sur sa lancée. C’est notamment pour mettre fin à ce cafouillage que les députés de la contestation tentent aujourd’hui de pousser le gouvernement et les autorités dans leurs retranchements.
Une couverture politique au Hezbollah ?
Le timing de leur démarche a toutefois suscité des critiques car changer de position, en cours de négociations, n’est pas le meilleur moyen de restaurer la crédibilité du Liban. En outre, l’officialisation de la revendication de la ligne 29 pourrait faire capoter les négociations et pousser les Américains à suspendre leur mission de médiation. Les Israéliens s’étaient en effet retirés après que le Liban avait mis sur la table ses revendications maximalistes. « Le rôle du député n’est pas d’avaliser les décisions les plus réalistes, encore moins de composer avec le fait accompli mais de défendre par tous les moyens les droits souverains des Libanais qu’il représente », rétorque Laury Haytayan, experte du dossier et porte-parole du parti Taqqadom dont relèvent deux des députés de la contestation, Marc Daou et Najat Saliba. L’objectif est de contraindre Israël à revenir à la table des négociations en rendant l’exploitation du champ de Karish plus problématique sur le plan du droit international.
Une stratégie qui ne convainc pas tout le monde car elle ne semble, notamment, pas prendre en compte l’attitude du Hezbollah qui a menacé d’intervenir contre l’unité flottante si l’État libanais considérait qu’elle violait sa souveraineté. Les députés pourraient en effet donner le sentiment d'offrir une couverture politique pour une éventuelle action du parti pro-iranien. « C’est tout le contraire. Si nous passons par la diplomatie et les voies légales pour faire valoir nos droits, c'est le meilleur moyen d’éviter le conflit armé et de couper court à toute tentation belliciste », répond le député de la Békaa II, Yassine Yassine.
En deçà des droits légaux
Rejoignant sur le fond les arguments des députés de la contestation sans aller jusqu’à réclamer ouvertement la consécration de la ligne 29, le député indépendant de Zghorta, Michel Moawad dénonce une politique endémique de la part du Liban consistant à brader les intérêts du pays pour des calculs politiques étriqués et des intérêts personnels. Il cite à ce propos toutes les concessions et renonciations faites dans tous les dossiers frontaliers y compris avec la Syrie, où la confusion règne au sujet des délimitations terrestres et maritimes, sans oublier le sempiternelle problème des fermes de Chebaa, « livrées à toutes sortes de surenchères ». « C’est du jamais vu. L’art des négociations consiste, partout dans le monde, à réclamer d’abord ses droits pour ensuite décider des concessions à faire lors des pourparlers. Or le Liban a fait l'inverse. Il a entamé les pourparlers avec l’État hébreu en plaçant la barre en deçà de ses droits légaux », ajoute le député.
L’action des députés de la contestation a été relayée par plusieurs membres de la diaspora, notamment par le Mouvement des citoyens libanais du monde (MCLM). « Nous sommes fermement opposés à toute négociation hors ligne 29 », commente Elian Sarkis, membre du MCLM, qui reprend ainsi les arguments développés par la délégation libanais d’experts lors de négociations en faveur de cette ligne. Le mouvement va encore plus loin évoquant « la haute trahison » prévu par l’article 277 du Code pénal qui sanctionne lourdement « tout Libanais qui, par des actes, discours, écrits ou autres, tentera de se tailler une partie du territoire libanais pour l’annexer à un pays étranger ou pour lui conférer un droit ou privilège propre à l’État libanais ». Une surenchère aux accents populistes qui ressemble à des vœux pieux dans l’État de non-droit qu’est devenu le Liban.
IL FALLAIT CHOISIR POUTINE ET NON BIDEN COMME MÉDIATEUR ENTRE LE LIBAN ET ISRAEL . çA AURAIT AVANCÉ BIEN PLUS VITE !
14 h 38, le 09 juin 2022