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Moyen-Orient - Éclairage

La junte militaire au Soudan sous pression

Affaibli sur plusieurs fronts, le général Burhane a levé dimanche dernier l’état d’urgence imposé depuis le 25 octobre 2021, date à laquelle il a pris le pouvoir par la force.

La junte militaire au Soudan sous pression

Le général Abdel Fattah el-Burhane tenant une conférence de presse au commandement général des forces armées à Khartoum, le 26 octobre 2021. Photo d’archives AFP

La junte militaire soudanaise se dit prête au dialogue. Pris en étau entre la pression internationale et la contestation populaire en interne, le général Abdel Fattah el-Burhane a levé dimanche soir l’état d’urgence imposé depuis son coup de force du 25 octobre dernier. Dans une mesure perçue comme une volonté d’apaiser les tensions, la signature du décret s’est accompagnée lundi de la libération de 63 personnes arrêtées lors de mouvements antiputsch, a indiqué le comité des avocats d’urgence. Une décision qui est arrivée au lendemain d’une répression meurtrière suite à laquelle deux manifestants avaient été tués.

Ayant profité du soulèvement populaire qui avait conduit à la chute du régime militaro-islamiste d’Omar el-Bachir le 6 avril 2019, le coup d’État mené sous la houlette de Burhane a brisé le processus de transition démocratique, évinçant la coalition civile au pouvoir. Depuis, les militaires exercent une violente répression à l’égard des manifestants, ces derniers refusant de se plier une nouvelle fois à un régime imposé par la force et s’organisant en un vaste mouvement de contestation. La répression « vise à miner la révolution (...) et à montrer à la communauté internationale que tout est sous contrôle », analyse Mohammad Osman, chercheur soudanais à Human Rights Watch. L’emprisonnement massif des participants et activistes et leur inculpation pour crime, de même que le harcèlement des journalistes et les disparitions forcées, asphyxient le soulèvement. L’appareil répressif vise particulièrement les comités de résistance, principaux ennemis des militaires et acteurs-clés de la révolution, via une stratégie d’infiltration de ces derniers par les services de renseignements. « La communauté internationale ne cesse de dire que le gouvernement soudanais doit inclure des civils, mais les comités de résistance ne veulent pas d’un partage du pouvoir. Ils veulent que les militaires renoncent complètement à la gouvernance du pays », explique Jihad Mashamoun, chercheur et analyste politique sur les affaires du Soudan.

Une décision de façade

Pour ces comités, la levée de l’état d’urgence ne fait d’ailleurs pas illusion. « C’est une stratégie pour la junte qui veut blanchir son image aux yeux du monde : ils lèvent l’état d’urgence pour alléger la pression internationale », explique sur RFI, Abdelsalam Saboune, avocat du comité d’urgence luttant contre les détentions arbitraires. Le timing de cette décision interroge également, alors qu’elle coïncide avec l’ouverture d’un procès emblématique à Khartoum de quatre manifestants détenus depuis quatre mois pour la mort d’un général de police. Des accusés, comptant Mohammad Adam, jeune icône de la contestation surnommé « Tupac », qui se sont montrés résistants, sourire aux lèvres à la sortie du fourgon de police, alors qu’ils menaient en mars dernier une grève de la faim protestant contre les tortures qu’ils auraient subi en détention. La prochaine audience devrait avoir lieu le 12 juin.

Dans ce contexte, l’enjeu majeur pour Burhane est surtout de regagner les faveurs des Occidentaux, dont le soutien financier est conditionné au retour du gouvernement civil et à la libération des acteurs politiques. Au lendemain du putsch, le général s’était assuré le monopole du pouvoir en évinçant le bloc politique civil présent au sein du gouvernement de transition né postrévolution le 17 août 2019. Représentés par les Forces de la liberté et du changement (FLC), la quasi-totalité des membres de ce bloc avaient été emprisonnés. Le jour même, Washington, imité par la Banque mondiale peu après, suspendait les 700 millions de dollars d’aide prévue pour soutenir la transition démocratique (hors aide humanitaire). « Burhane et les militaires espèrent obtenir le soutien de la communauté internationale, en particulier celui des États-Unis pour qui le Soudan n’est pas une priorité. Ils tentent d’atteindre Washington par le biais d’Israël qui a un fort pouvoir de lobbying là-bas », souligne Jihad Mashamoun. Mardi dernier, pour inciter l’État hébreu à condamner le coup militaire, les États-Unis ont également suspendu l’assistance promise au Soudan en échange de la normalisation de ses relations avec Israël, qui devait comprendre « des livraisons de blé et certaines aides au développement, au commerce et aux investissements », a déclaré un porte-parole du département d’État américain. De nouvelles sanctions qui portent un coup de grâce à l’économie du pays. Marqué par la dévaluation de sa monnaie et la fin des subventions sur l’essence et le diesel, le Soudan s’était déjà vu rejoindre en juin 2021 l’initiative « Pays pauvres très endettés » du Fond monétaire international. En 2020, le taux d’inflation s’élevait à 163,3 %, avant d’atteindre le pic historique des 198,8 % en 2021, selon le FMI.

La crise économique n’épargne pas l’armée. « Avant la révolution, elle pompait au moins 80 % du budget national », explique Marc Lavergne, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste du Soudan. « L’arrêt de la production de pétrole la rend dépendante de l’Égypte, elle-même en manque de ressources. L’armée est aussi soutenue par l’Arabie saoudite, mais le prince héritier a d’autres priorités comme les projets Vision 2030 ou NEOM », fait remarquer l’expert. Si certains voyaient dans les mouvements populaires de 2019 puis de 2021 un espoir de transition démocratique, « pour les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite ou l’Égypte, il n’était pas question qu’une démocratie s’installe au Soudan », poursuit le spécialiste. Riche notamment de ses exploitations agricoles et point pivot de l’Afrique de l’Est, le pays est en proie aux calculs géostratégiques de ces puissances.

Les Russes dans l’équation

Si les militaires ont impérativement besoin des Occidentaux c’est aussi parce que leur pouvoir est mis au défi par le second du régime, le général Mohammad Hamdan Dagalo, dit Hemetti. Ayant la main haute sur Khartoum, et commandant des Forces de soutien rapides (FSR) – des unités paramilitaires intégrées à l’armée et issues des fameuses milices Janjawid – le général est un acteur central et très puissant de la contrerévolution. « Hemetti est l’acteur qui vient perturber le jeu (…), il attend son heure pour éliminer Burhane, explique Marc Lavergne. Il a une puissance financière liée à la production d’or, aux EAU, mais aussi à l’Arabie saoudite qui recrutait ses milices pour faire la guerre au Yémen et en Libye. » Autre élément-clé de l’équation, Hemetti est soutenu par les Russes, pour qui le Soudan est devenu le pivot de leur politique globale de « conquête de l’Afrique ». En contrôlant notamment la région du Darfour, zone de passage entre la Libye et la République centrafricaine grâce à laquelle le groupe de mercenaires Wagner a pu chasser les forces françaises, le second du régime soudanais se rend indispensable à Moscou. « Les hommes de Hemetti contrôlent tous les couloirs : celui des migrants africains venant en Europe, celui du trafic d’or, ou encore celui de la drogue entre la Libye et le Soudan. Ils sont dans une situation beaucoup plus puissante que l’armée », conclut le spécialiste.

La junte militaire soudanaise se dit prête au dialogue. Pris en étau entre la pression internationale et la contestation populaire en interne, le général Abdel Fattah el-Burhane a levé dimanche soir l’état d’urgence imposé depuis son coup de force du 25 octobre dernier. Dans une mesure perçue comme une volonté d’apaiser les tensions, la signature du décret s’est accompagnée...

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