Rechercher
Rechercher

Culture - Quoi qu’on en lise

Chronique ratée, cigarettes et livres anciens

Mon questionnement sur le pourquoi de la chronique littéraire m’a mené à découvrir « Petite nécropole littéraire » de Gérard Oberlé.

Chronique ratée, cigarettes et livres anciens

G. Oberlé a tenu une chronique littéraire, de 2010 à 2021, dans la revue « Lire ». Photo DR

Ma belle-mère m’a dit : « Ton avant-dernière chronique, elle n’était pas bien, je ne me souviens même plus du titre et je me permets de te dire ça car j’aime ce que tu écris. » Ma belle-mère a raison. Elle parlait de « Jésus est dans la place ». Je l’ai ratée, complètement ratée, tellement ratée que l’écrivain ne l’a pas aimée, l’éditeur non plus et les lecteurs de L’Orient-Le Jour encore moins. J’ai même eu droit à ce commentaire (sur le site du journal) en dessous de mon papier : « Est-ce la faute du critique ou est-ce celle du romancier ? Cet article ne donne aucune envie de lire ce roman. L’impression finale : le livre est probablement aussi indigeste que cette page de Sabyl Ghoussoub. »

On peut dire c’est un sublime fiasco, je pourrais presque en être fier d’avoir si bien échoué. Ce n’est pas donné à n’importe qui. Mais pourquoi n’était-elle « pas bien » ? Et qu’est-ce qu’une chronique littéraire réussie ? Je me pose cette question à chaque fois que je me penche sur une nouvelle. Je n’ai pas vraiment de réponse, j’ai des bribes d’idées et j’essaie surtout de les oublier au moment d’écrire au risque de publier un papier imbuvable. J’ai cette chance d’avoir comme ami l’un des meilleurs chroniqueurs littéraires français, l’écrivain Christophe Donner, qui a tenu pendant des années la dernière page du magazine hebdomadaire du journal Le Monde (il tient aujourd’hui la dernière page de L’Express). Je lui ai demandé : « Christophe, qu’est-ce qu’une chronique littéraire réussie ? » Il m’a répondu : « Je ne sais pas ce que c’est qu’une chronique réussie. » « Voilà, démerde-toi mon petit gars », voulait-il me signifier par cette non-réponse.

Dans la même rubrique

Avoir 20 ans à Barcelone

Alors que je passais à la bibliothèque municipale, un petit livre intitulé Des cigarettes ou des livres de George Orwell était exposé sur le présentoir à l’entrée. Délicieux essai d’intelligence et de méchanceté, Orwell y dépeint les métiers d’écrivain, de libraire et de critique littéraire (trois métiers qu’il a exercés) avec acuité. Dans le chapitre « Confessions d’un critique littéraire », il décrit le critique installé dans une « chambre (…) jonchée de mégots et de tasses de thé à moitié vides » ainsi : « C’est un homme de trente-cinq ans, mais il en paraît cinquante. Il est chauve, a des varices et porte des lunettes, ou en porterait s’il ne perdait pas régulièrement sa seule paire. En temps normal, il souffrira de malnutrition, mais s’il a connu récemment une période de chance, il aura la gueule de bois. » Il poursuit sa description de l’homme comme une personne qui subit son travail, vit sous une avalanche de livres reçus par dizaine chaque semaine, des livres généralement mauvais, dont il ne connaît rien du sujet, mais qu’il doit tout de même recenser.

Ce questionnement sur le pourquoi de la chronique littéraire m’a poussé à chercher dans l’actualité la parution d’un recueil de tels articles. Dans le catalogue des sorties Grasset, j’en ai trouvé un : Petite nécropole littéraire de Gérard Oberlé. Bibliopole spécialiste de livres anciens et collectionneur depuis un demi-siècle, Oberlé a tenu une chronique littéraire, de 2010 à 2021, dans la revue Lire. « Rédigées sans plan ni programme, écrit-il, au seul gré des saisons, du caprice, de l’humeur, parfois de l’actualité, elles (ses chroniques, NDLR) ne visaient qu’à signaler à la curiosité des lecteurs des livres du second rayon, des textes égarés, des auteurs périmés, d’anciennes grandes ou petites gloires tombées en disgrâce. » Dans son ouvrage sont recensés une centaine de livres, anciens et inconnus, écrits par des plumes excentriques, des poètes néo-latins, des libertins du XVIIe, des pornographes du XVIIIe ou des poètes mystiques baroques. On retrouve (entre autres) un manuel d’humour anglais, publié en 1809, « un inventaire de tout ce qui peut arriver de désagréable, d’agaçant, tous les petits tracas surgissant sans prévenir pour vous pourrir l’existence », ou encore une trilogie d’aventures criminelles écrite par Lucien Méry, le « Marseillais oublié », fondateur du quotidien Le Phocéen et ancien compagnon de Balzac, Hugo ou Nerval et si aucune réponse n’a été trouvée à la fin de ma chronique à la question : « Qu’est-ce qu’une bonne chronique littéraire ? » une chose est certaine, celles de Gérard Oberlé étaient le plus souvent réussies. Elles m’ont donné envie de lire de nombreux livres sur lesquels il écrivait, preuve étant, je m’en suis déjà procuré cinq.

« Petite nécropole littéraire » de Gérard Oberlé, Grasset

Écrivain, journaliste, photographe et commissaire d’exposition, Sabyl Ghoussoub est l’auteur de deux romans aux éditions de l’Antilope : « Le nez juif » et « Beyrouth entre parenthèses ». Son troisième roman sortira aux éditions Stock courant 2022.

Ma belle-mère m’a dit : « Ton avant-dernière chronique, elle n’était pas bien, je ne me souviens même plus du titre et je me permets de te dire ça car j’aime ce que tu écris. » Ma belle-mère a raison. Elle parlait de « Jésus est dans la place ». Je l’ai ratée, complètement ratée, tellement ratée que l’écrivain ne l’a pas aimée, l’éditeur...

commentaires (1)

Sabyl Ghossoub ou l'art d'écrire qu'on n'a rien à écrire. C'est déjà une prouesse, bravo.

Marionet

13 h 49, le 01 juin 2022

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Sabyl Ghossoub ou l'art d'écrire qu'on n'a rien à écrire. C'est déjà une prouesse, bravo.

    Marionet

    13 h 49, le 01 juin 2022

Retour en haut