À l’heure où le dollar a dépassé la barre des 30 000 livres libanaises le week-end dernier, où la cherté de vie ne cesse d’empirer et où certains médicaments sont toujours en rupture de stock, le sujet du mariage civil a brusquement été projeté sur le devant de la scène médiatique. Le cheikh Hassan Merheb, inspecteur général adjoint de Dar el-Fatwa, la plus haute autorité sunnite au Liban, s’en est violemment pris aux trois nouveaux députés sunnites de la contestation à Beyrouth II et au Chouf, Halimé Kaakour, Ibrahim Mneimné et Waddah Sadek. Ceux-ci, au cours de leur participation à l’émission Sar el-waet présentée par Marcel Ghanem jeudi dernier, avaient levé la main pour marquer leur approbation lorsqu’ils ont été interrogés sur le mariage civil, qui n’est toujours pas autorisé au Liban.
Soulignant qu’ils « ne représentaient pas les sunnites », Hassan Merheb, qui est également cheikh de la mosquée Imam Ali à Tarik Jdidé à Beyrouth, s’est lancé dans une violente diatribe contre les trois élus issus de la contestation du 17 octobre, allant jusqu’à appeler les croyants à leur « cracher à la figure » si les députés ne revenaient pas sur leurs positions concernant le mariage civil. La vidéo de cet appel a fait le tour des réseaux sociaux. « Ces députés ne représentent pas une communauté mais la nation, comme le stipule la Constitution, c’est pour cela que les électeurs ont voté pour eux », explique Karim el-Mufti, professeur et chercheur en sciences politiques. Le message que portent ces nouveaux députés de la contestation est vécu comme une « menace contre les privilèges et le pouvoir des institutions religieuses. Cette fois, le débat sur le mariage civil a été lancé par les tenants du communautarisme qui ont remis sur le tapis cette peur ancestrale de voir leur pouvoir, leur rôle, leur “religion”, remis en question », poursuit-il.
« En nous traitant d’infidèles, ce cheikh pousse les gens à s’en prendre à nous. J’attendais que Dar el-Fatwa publie un communiqué de presse après cette déclaration », souligne Waddah Sadek, l’un des députés mis en cause. L’Orient-Le Jour a contacté Dar el-Fatwa qui a refusé de s’exprimer, prétextant des autorisations qui n’ont pas été accordées.
Une campagne qui ne date pas d’hier
Les attaques à l’encontre des députés de la contestation ne datent pas du week-end écoulé. Dans les mosquées, à quelques jours des élections, Ibrahim Mneimné, alors candidat, était déjà traité d’« infidèle ». « Ce n’est pas une question de pour ou contre. L’objectif est de parler à nos électeurs, de répondre à leurs préoccupations et à leurs peurs pour avancer pas à pas, mais fermement et sans compromis, vers un État laïc, tout en mettant en œuvre des politiques progressistes en cours de route », explique-t-il à L’Orient-Le Jour.
« La campagne de décrédibilisation lancée par les partis politiques contre nous, dont ceux qui sont au pouvoir, a commencé un jour après le vote de la diaspora (le dimanche précédant les élections au Liban, NDLR). Le mariage civil n’est pas une priorité nationale pour l’instant, si le Liban continue sur cette voie, personne ne pourra se marier ni religieusement ni civilement », commente Waddah Sadek, en référence à la crise économique qui mine le pays. Le candidat ajoute néanmoins que « le Libanais doit pouvoir avoir le choix. Actuellement, ce droit est réservé à ceux qui ont les moyens de se rendre à Chypre ». Si Waddah Sadek affirme ne pas « accorder de l’importance » aux propos du cheikh Hassan Merheb, il se dit tout de même « fier » de voir les réactions des Libanais qui ont montré un net changement de mentalité. Il fait référence à une déclaration publiée sur le site d’al-Modon de la part d’étudiants et de diplômés en études islamiques qui ont exprimé anonymement, via un communiqué de presse, leur « refus catégorique d’instrumentaliser la religion et ses préceptes dans la bataille menée par des parties beyrouthines corrompues en vue de minimiser l’impact de l’élection de nouvelles forces émergentes ».
Chaque instance religieuse choisit sa bataille
Cela fait des décennies que le mariage civil revient épisodiquement sur le devant de la scène, porté par des figures politiques progressistes et des membres de la société civile, mais qu’il se heurte à un refus systématique des institutions religieuses. L’exemple le plus parlant est celui de 1998, quand le président de la République de l’époque, Élias Hraoui, a tenté en vain de faire passer une loi sur le mariage civil en fin de mandat. Si Rafic Hariri, alors Premier ministre, était initialement d’accord, il a cédé aux pressions de Dar el-Fatwa et de Bkerké qui ont bloqué l’initiative. En 2019, Raya el-Hassan (courant du Futur), à l’époque ministre de l’Intérieur, avait déclaré, mi-février, être prête à l’ouverture d’un dialogue sur le sujet.
Le mois suivant, en mars, le mufti Abdellatif Deriane avait déclaré lors d’un entretien avec la ministre que cette union « est contraire à la religion islamique » et « menace la cohésion familiale ». L’affaire s’est arrêtée là. Du côté de Bkerké, Sejaan Azzi, proche du patriarche maronite, affirme à L’Orient-Le Jour que « le patriarche est avec le mariage civil pourvu que ce soit pour tout le monde. Celui-ci n’empêche pas le mariage religieux ».Dans le système politique actuel, chaque communauté choisit sa bataille. « Dans un pays où politique et communautarisme vont de pair, chaque pouvoir religieux va essayer d’imposer ses vues sur les sujets qu’il aura décidé de soulever. C’est la manière de procéder. Par exemple, le patriarche Béchara Raï a défendu bec et ongles l’appartenance maronite de Riad Salamé (gouverneur controversé de la banque centrale, NDLR) », explique Karim el-Mufti.
Quand le mariage civil sera reconnu au Liban, le pays aura fait un pas de géant vers une vraie démocratie mais les hommes religieux veulent garder la manne d’argent et leur pouvoir sur cette pauvre population (matériellement et intellectuellement). Celles et ceux qui se révoltent contre cette mainmise « on leur crache dessus » comme c’est demandé par ce cheikh…
09 h 39, le 26 mai 2022