Critiques littéraires Roman

Passion vs plaisir

Passion vs plaisir

D.R.

Crocodile de Denis Gombert, Le Cherche-Midi, 2022, 240 p.

Le sport attire les foules, mais il est rarement traité par la littérature, peut-être, dira-t-on, parce que les littérateurs sont rarement des sportifs. Denis Gombert, lui, a cet avantage d’être écrivain et sportif, ce qui lui a permis, dans son beau roman Crocodile de montrer, à nous lecteurs peu familiers de ce monde, tout son caractère tragique et sa beauté.

Le narrateur s’appelle Alain Fromentin. Joueur de tennis devenu âgé, il nous raconte sa vie qui se confond avec sa passion qui lui a tout pris. Enfant, dans les années 70, il la découvre en frappant des balles contre le mur d’un garage. C’est « sur cet écran, écrit-il, (que) mon histoire a commencé à s’écrire. Il n’y a que sur un court de tennis que pour moi une extase a pu se produire, dans un périmètre rectangulaire de 23,77 mètres de long sur 8,23 mètres de large ».

Cette jouissance extraordinaire qu’il découvre à diriger une balle, parfois même à être dirigé par elle, conduit l’enfant à vouloir devenir à tout prix un champion : désir terrible qui le tiendra écarté de la vie, tout comme peut l’être un grand scientifique ou un grand romancier : penser toujours à l’objectif, quitte à négliger ses études et oublier la beauté des femmes… Car toute passion oblige à l’oubli de soi.

Celle d’Alain est d’autant plus vive qu’à cette époque, Borg, McEnroe et Connors fascinent le monde. Leurs matches homériques s’apparentent à des récits épiques, et Denis Gombert nous les fait revivre avec brio. Mais dans ce milieu, beaucoup d’appelés et très peu d’élus : Alain sera-t-il un des happy few ?

Cette question parcourt tout le livre et en fait tout l’intérêt. Comment devient-on un grand champion ? Par le don, par l’entraînement ? Alain, lui, mise sur le travail et cela paie. Un jour, il est remarqué par un entraîneur, et va grimper dans les classements « junior » après moult péripéties qui font songer à celles d’un roman de cape et d’épée. On le suit dans ses succès et ses déconvenues, jusqu’au jour où, sélectionné à un tournoi majeur, il va peut-être enfin passer dans la cour des grands. « Plus que jamais, mon rêve est là, à portée de main. Au club, tout le monde est au courant de ma victoire et arrive pour me féliciter. »

Dans le milieu, on surnomme Alain « le crocodile », terme tennistique (on dit aussi « limeur ») pour qualifier les joueurs qui attendent la faute de l’adversaire en se tenant au fond du court. Plus qu’une attitude tactique, c’est aussi métaphoriquement une conduite de vie. Elle interroge le lecteur sur le pourquoi des réussites qui semblent parfois si injustes. Ainsi, face à Alain, se tient son ami Éric, tout son contraire. Il possède sans effort un jeu extraordinaire. Le tennis, pour lui, n’est pas un labeur, mais un plaisir. On ne dévoilera pas, pour le plaisir du lecteur, le destin de ces deux hommes si différents.

Mais le livre se conclut par une morale qui ne vaut pas que pour les joueurs de tennis : il faut un jour se réconcilier avec soi-même et chercher au-delà des passions des satisfactions plus consistantes pour trouver la paix.

Crocodile de Denis Gombert, Le Cherche-Midi, 2022, 240 p.Le sport attire les foules, mais il est rarement traité par la littérature, peut-être, dira-t-on, parce que les littérateurs sont rarement des sportifs. Denis Gombert, lui, a cet avantage d’être écrivain et sportif, ce qui lui a permis, dans son beau roman Crocodile de montrer, à nous lecteurs peu familiers de ce monde, tout son...

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