Critiques littéraires

88 poètes font de l’éphémère une éternité

88 poètes font de l’éphémère une éternité

L’Ephémère (anthologie), éditions Bruno Doucey, 2022, 233 p.

«Brume sur le fleuve (…)/ (…) La page est blanche (…)/ (…) Au silex de ta voix. Lèvre à lèvre avec la lumière/la page respire (…)/ (…) Écoute ce vent qui se lève (…)/ (…) C’est l’infini qui marche/ sur la pointe des pieds. » (Brigitte Broc)

Avec l’entêtement de cette lettre e, comme « de la mer, on aime le ressac » (Jean-Michel Maulpoix), L’Éphémère décline les 88 poèmes de 88 poètes, déferlant obstinément de tous les continents et de toutes les générations, inconnus ou nobélisés, hommes et femmes, en une anthologie établie par Thierry Renard et Bruno Doucey, que les éditions de ce dernier nous enchantent de publier à l’occasion du Printemps des poètes pour sa 24e édition et dont c’était le thème cette année.

Grand cru. Foisonnement. Parmi eux (parmi ailes) lisons les fragments qui suivent, pour se convaincre, si besoin en était, que la poésie qui se porte bien est un pain quotidien pétri de la matière même de la vie : instant, passion, envol, humanité, enfance, mémoire, énigme, rêve et éternité, formant l’acrostiche du mot éphémère. Fugacité et éternité sont les deux visages d’une même poésie, de la même vérité du monde. Puisqu’en poésie, André Velter marche « encore avec Lao-Tseu », comme il l’écrit dans le poème inaugural de cette anthologie. Permanence de l’instant. « Maintenant que la mort rôde/et qu’il porte un joli nom (…)/ (…) comme une robe au sol » (Sapho). « Qui sommes-nous ? (…)/ (…) Un astre qui s’éteint dans des milliards d’années/ en écoutant en lui les funérailles d’un grillon » (Pierre Seghers). « Ces galets sur ta table nue/ s’illuminent au soleil (…)/ (…) pour ne jamais te dénoncer à l’heure du jugement dernier » (Yannis Ritsos). « Il fit voler tous les copeaux/ du ciel sur son visage » (Rene Guy Cadou). « Il souffre de la même soif que la mer, de la même faim que le soleil » (Jean-Michel Maulpoix). « Sur mes lèvres, il a bu/ tous mes noms (…)/ (…) j’ai mangé ses mots » (Nancy Huston). « Si le temps est cannibale (…)/ (…) l’espoir debout » (Hyam Yared). « Le havre des corps (…)/ (…) Le simple solaire de midi. La chair la mer nues » (Claude Ber). « Entre le méridien de ton dos/ et le premier parallèle de mes bras (…)/ (…) nous aimons/ sans craindre/ l’érosion des sols/ la combustion des jours » (Bruno Doucey). « Zoom avant sur les cendres (…)/ (…) des traces de silence/ du blanc cru dans la neige » (Edith Azam).

Dans la civilisation d’aujourd’hui sapée par le consumérisme, minée par l’accumulation de montagnes d’objets « conçus pour ne pas durer », les « plaisirs fugaces » de ces 88 poèmes dessinent l’immortalité.

Ernest Pignon-Ernest – que les Beyrouthins connaissent puisqu’il a apposé sur les murs de notre ville, comme dans de nombreuses cités du monde, des images qui s’évanouissent avec le temps mais renaissent dans la mémoire collective – a contribué dans cette anthologie à la construction, mot par mot, poussière par poussière, du sentiment de l’éphémère qui nous habite.

À Hermann Hess, prix Nobel allemand, probablement le plus célèbre parmi les auteurs et les autrices de cette anthologie qui apporte un débordement à notre lit et un foisonnement à notre esprit, empruntons le vers de la fin qui frappe par sa simplicité et sa concision essentielle : « La vie me fait mal/ alors en poète, je joue avec les mots. »


L’Ephémère (anthologie), éditions Bruno Doucey, 2022, 233 p.«Brume sur le fleuve (…)/ (…) La page est blanche (…)/ (…) Au silex de ta voix. Lèvre à lèvre avec la lumière/la page respire (…)/ (…) Écoute ce vent qui se lève (…)/ (…) C’est l’infini qui marche/ sur la pointe des pieds. » (Brigitte Broc)Avec l’entêtement de cette lettre e, comme « de la mer,...

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