
Photo d’illustration : les obsèques d’un combattant du Hamas, le 12 décembre 2021, dans le camp de réfugiés de Bourj el-Chemali, au Liban-Sud. Photo d’archives AFP
NB: Suite aux événements de cette semaine à la frontière Sud, L'OLJ vous propose de relire cette tribune de Mohanad Hage-Ali, publiée dans nos colonnes en 2022 et qui revient sur l'armement du Hamas au Liban et les modalités de sa coordination avec le Hezbollah.
Comme tous les derniers vendredis de chaque ramadan (à l’exception des deux années précédentes, en raison de la pandémie), le Hezbollah a organisé vendredi la célébration de la « Journée de Jérusalem » (« Yawm al-Qods ») dans la banlieue sud de Beyrouth, faisant défiler des dizaines de partisans aux côtés de maquettes d’avions et d’armes de la « résistance ». Cette fois, cependant, l’événement est différent, car il implique une plus grande coordination avec le Hamas et se caractérise par la présence dans le pays de certains dirigeants du groupe islamiste palestinien. Cela reflète l’évolution du rôle du Liban par rapport au conflit israélo-palestinien et constitue, à certains égards, un retour aux tumultueuses années 1970-80.
Car depuis les protestations de 2019 et les crises économiques, financières et politiques qui se sont abattues sur le pays, le Hezbollah a entrepris de renverser lentement les normes acceptées après la guerre concernant la politique du Liban vis-à-vis des camps de réfugiés palestiniens et de la question palestinienne dans son ensemble. Et cela sur trois plans principaux.
Le Hamas de plus en plus présent
D’abord, le pays est devenu un refuge pour les dirigeants du Hamas, dont plusieurs ont cherché refuge à Beyrouth après que les développements politiques régionaux les ont poussés hors du Qatar et de la Turquie. Le soutien exprimé par le Hamas au soulèvement syrien à ses débuts avait en effet obligé ses dirigeants à quitter Damas, où ils étaient basés. La plupart d’entre eux s’étaient alors installés à Doha et à Istanbul. La position du Hamas a également tendu ses relations avec le Hezbollah et l’Iran jusqu’à un récent changement dans la structure de direction de l’organisation, qui a vu l’ascension de Yahya al-Sinwar, un allié de l’« axe de la résistance ». À la suite du blocus du Qatar en 2017 par ses rivaux du Golfe et leurs alliés régionaux, qui sont hostiles au Hamas, le chef adjoint de ce dernier, Saleh al-Arouri, s’était réfugié à Beyrouth. Doha ne pouvait plus se permettre d’accueillir des dirigeants actifs du Hamas alors qu’il tentait de repousser les accusations de soutien aux groupes terroristes. Le récent rapprochement de la Turquie avec Israël la place dans une position similaire, puisque certains médias régionaux ont rapporté qu’Israël a exigé d’Ankara qu’il cesse d’accueillir des activistes du Hamas, ce qui a conduit à l’expulsion de dix de ces personnes. Que ces informations soient exactes ou non, Beyrouth a récemment accueilli deux autres personnalités du Hamas, qui ont toutes deux quitté la Turquie – Khalil al-Hayyeh et Zaher Jabarine. Hayyeh est membre du bureau politique de l’organisation et responsable des relations islamiques et arabes du Hamas. Jabarine est le chef adjoint du Hamas en Cisjordanie et est chargé du dossier de l’organisation concernant les prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes. Outre le Hamas, Ziad Nakhaleh, le chef du Jihad islamique palestinien, est désormais basé à Beyrouth. Comme le Hamas, le Jihad islamique est particulièrement actif dans la bande de Gaza, où des échauffourées avec Israël se produisent périodiquement.
Ensuite, le Hamas semble pour la première fois établir une présence militaire au Liban. Cette présence est devenue plus visible après l’explosion d’un dépôt d’armes présumé du Hamas dans le camp de Bourj el-Chemali, près de Tyr, le 12 décembre 2021. Hamza Chahine, un agent du Hamas, a été tué. Bien que le Hamas ait nié que le site de l’explosion était un dépôt militaire, le communiqué nécrologique indique que Chahine est mort au cours d’une « mission jihadiste ». L’explosion a été précédée d’un article du journal The Times of Israel, daté du 3 décembre dernier, qui affirmait que « le Hamas a discrètement établi une branche libanaise de son groupe terroriste basé à Gaza » et que « la branche est basée à Tyr, sur la côte libanaise ».
Le même rapport mentionnait l’entraînement, au Liban, de combattants du Hamas sous la direction du Hezbollah. Si cela est vrai, cela expliquerait la mort de trois membres du Hamas lors d’une fusillade aux funérailles de Chahine après l’explosion. L’attaque a été attribuée par les médias libanais, dont le site Daraj.com, à une faction liée au Fateh. Bien qu’une réconciliation ait eu lieu et que les tensions aient été apparemment contenues, toute tentative du Hamas de dominer les camps palestiniens au Liban perturberait l’équilibre des forces entre les différentes factions. Le Fateh et ses ramifications restent la force dominante dans les camps, mais certaines factions islamistes ont pris de l’ampleur ces dernières années. En effet, des sources islamistes palestiniennes et libanaises parlent d’une plus grande présence et d’un plus grand activisme de la part du Hamas dans les camps, grâce notamment à la coordination du groupe avec le Hezbollah. Le site internet Asasmedia.com a, lui, attribué au Hamas une récente attaque isolée à la roquette contre Israël, bien qu’il n’en ait fourni que peu de preuves. Toutefois, ces attaques correspondent à la récente rhétorique de l’organisation concernant un conflit plus large, qui ne se limite pas à Gaza.
Le troisième plan sur lequel le rôle du Liban vis-à-vis du conflit israélo-palestinien pourrait être modifié résulte de la synchronisation entre le Hamas et les alliés de l’Iran dans la région – le Liban et l’Irak, et dans une moindre mesure, la Syrie et le Yémen. Le Hezbollah est au cœur de cet effort de coordination, du moins lorsqu’il s’agit des factions politico-militaires irakiennes, dont les dirigeants ont envoyé des messages de soutien aux Palestiniens depuis la frontière libanaise avec Israël, un bastion du Hezbollah qu’ils ont visité en 2017. Arouri, l’un des dirigeants du Hamas, désormais basé à Beyrouth, a mentionné dans une interview accordée le mois dernier à la chaîne al-Mayadeen que « nous devrions souligner à de nombreuses reprises ce que Nasrallah a dit dans son discours, à savoir que (les violations israéliennes à) Jérusalem pourraient conduire à une guerre régionale ». Le secrétaire général du Hezbollah avait prononcé le discours en question en mai 2021, après les affrontements déclenchés par les expulsions forcées par les Israéliens de Palestiniens de leurs maisons à Jérusalem-Est occupée. « Quand les sites sacrés sont en danger, avait dit Hassan Nasrallah, les fausses frontières ne comptent plus. » C’est également une caractéristique récurrente des analyses de sécurité israéliennes : une note publiée le 11 avril par l’institut INSS insiste ainsi sur la probabilité croissante qu’en cas de nouveau conflit au Liban-Sud, Israël doive affronter non seulement des combattants du Hezbollah, mais aussi des « recrues du Hamas ».
Vieilles blessures
Sur le plan interne, l’accueil du Hamas par le Hezbollah et sa rhétorique constante d’un front unifié ont ouvert de vieilles blessures. En 1975, le Liban a sombré dans la guerre civile après que le pays fut devenu une base pour les combattants palestiniens suite à leur expulsion sanglante de Jordanie en 1971. Pour cette raison, la visite du haut dirigeant du Hamas, Ismaïl Haniyé, dans des camps palestiniens au Liban à l’été 2020 a suscité une vive controverse, certains Libanais se souvenant de leurs expériences lorsque Yasser Arafat et d’autres dirigeants palestiniens se sont installés dans le pays dans les années 1970 et 1980.
La nouvelle approche du Hezbollah vis-à-vis du Hamas est également liée à la politique étrangère de plus en plus incohérente de l’État libanais, compte tenu des capacités militaires croissantes du Hezbollah et de ses interventions à l’étranger. Cela est apparu particulièrement évident depuis la décision du Hezbollah de prendre part au conflit syrien en 2012, ce qui a exacerbé les divisions au sein du Liban, dont le gouvernement avait cherché à tenir le pays à l’écart de la détérioration de la situation de l’autre côté de la frontière.
En outre, l’accueil par le Hezbollah de groupes d’opposition du Golfe, dont certains ont établi des médias au Liban et tiennent occasionnellement des conférences très médiatisées, a déclenché une crise diplomatique en novembre dernier, qui n’a pris fin que récemment, à la suite d’une initiative koweïtienne réussie. Cependant, la politique du Hezbollah vis-à-vis du Hamas est encore plus risquée et potentiellement plus préjudiciable, étant donné que les conditions économiques et financières désastreuses du Liban le rendent d’autant plus vulnérable. Pour un pays déjà brisé, tout conflit entre des groupes sur son sol et Israël aurait des conséquences dévastatrices.
Ce texte est aussi disponible en anglais sur Diwan, le blog du Carnegie MEC.
Chercheur et directeur de la communication du Malcolm H. Kerr Carnegie Middle East Center. Dernier ouvrage : « Nationalism, Transnationalism, and Political Islam » (Palgrave, 2017).
Il faut cesser de critiquer le Hezb à bout de champ ! Cette fois-ci , il a épouvanté les israéliens les plus extrêmistes qui veulent encore expulser vers le Liban ce qui reste des palestiniens chez eux , mais ils paniquent : S'ils veulent à tout prix faire la guerre , ils devront faire une croix sur l'exploitation de leur bien-aimé camp gazier de Kariche , et pour très longtemps ! Cela ne leur convient pas , ni aux américains bien sûr . Pour avoir la paix , il faut qu'ils reconnaissent le droit de retour des palestiniens en Palestine . Bravo !
17 h 28, le 08 avril 2023