Au moment où l’ambassadeur d’Arabie saoudite réunissait autour de lui lundi soir en sa résidence à Yarzé toutes les figures de proue opposées au Hezbollah, notamment le chef des Forces libanaises Samir Geagea, le leader druze Walid Joumblatt et l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, ainsi que l’ambassadrice des États-Unis, Dorothy Shea, et celle de France, Anne Grillo, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a voulu jouer les trouble-fêtes. En prévenant, lors d’un discours prononcé presque simultanément à l’iftar donné par Walid Boukhari, contre le risque de voir l’argent politique saoudien couler à flot « sous prétexte d’aides humanitaires », le dignitaire chiite a identifié la principale menace à sa formation et à son camp à près d’un mois des législatives : l’Arabie saoudite.
Hassan Nasrallah a ainsi mis en garde contre le danger que peut représenter pour lui le come-back saoudien sur la scène locale après des mois de retrait, et exprimé ses craintes de voir un scénario similaire à celui de 2009 se réitérer. Cette année-là, a-t-il dit, « des centaines de millions de dollars ont été dépensés, sur les médias, les campagnes électorales et l’achat de voix durant les dernières semaines avant les élections », pour garantir une victoire écrasante du camp du 14 Mars. Même si le ton à l’égard de Riyad par ailleurs était plutôt à l’accalmie – le secrétaire général s’est prononcé en faveur d’un dialogue pour en finir avec la guerre au Yémen –, au Liban, la bataille électorale a officiellement commencé. « C’est la raison pour laquelle le président du Parlement Nabih Berry, allié de Hassan Nasrallah, a choisi d’être représenté chez l’ambassadeur saoudien par une figure qui n’est pas issue du mouvement Amal, à savoir le ministre de l’Agriculture Abbas Hajj Hassan. Un détour lui permettant d’éviter de se voir assimilé à cette assemblée plutôt monochrome », indique Salem Zahran, un analyste proche du Hezbollah. Dans une volonté de remobiliser sa base électorale face à un éventuel front politique que soutiendrait Riyad, Hassan Nasrallah a lancé le mot d’ordre pour inciter les électeurs à ne pas dormir sur leurs lauriers, même si la situation du tandem chiite, imperturbable dans ses régions, s’annonce plutôt confortable. « Que personne ne se comporte comme si les choses sont tranchées », a-t-il prévenu.
Le risque de report
Dans son discours, le numéro un du parti chiite a dans la même logique évoqué, pour la première fois, le risque d’un report des législatives, mettant en garde contre un tel scénario qui serait, dit-il, « l’œuvre des ambassades, notamment américaine, et de certaines parties politiques dans une volonté de renforcer la situation du camp adverse alors que notre camp est assuré de préserver la majorité parlementaire ». Alors que la grève des ambassadeurs se poursuit sur fond de revendications salariales, et au moment où les juges et les enseignants désignés dans le cadre des commissions de décompte des voix se désistent en nombre, pour des motifs financiers et logistiques, le risque de voir le scrutin reporté est de nouveau repris dans les médias. « Dans le passé, c’était notre camp qui était accusé de chercher à saboter l’échéance. Aujourd’hui, il est de notre droit le plus élémentaire de leur rejeter la balle », commente pour L’Orient-Le Jour Mohammad Afif Naboulsi, porte-parole du Hezbollah.
Alors que les accusations de chercher à annuler ou à reporter les législatives se sont multipliées il y a quelques semaines, visant principalement le Courant patriotique libre de Gebran Bassil, allié du Hezbollah, donné perdant aux élections en raison d’une baisse de popularité, Hassan Nasrallah ne cessait d’affirmer que sa formation, confiante et disposant d’une machine électorale solide, était prête à passer ce test de popularité. Mais si Hassan Nasrallah évoquait lundi soir pour la première fois une possibilité de report, c’est bien pour s’en laver les mains si cela devait se produire, et surtout pour le faire assumer en amont au camp adverse. L’éventualité que le chef de l’État, Michel Aoun, veuille un report du scrutin dans le but de protéger son gendre, en prenant pour prétexte la grève des ambassadeurs et le désistement des juges au sein des commissions de décompte des voix, existe toujours, estime pour sa part un analyste proche du 14 Mars. Ne pouvant accuser directement son allié chrétien, le secrétaire général se serait, selon lui, rabattu sur les Américains notamment.
Pour Hassan Nasrallah, c’est parce que la partie adverse se trouve dans une situation inconfortable qu’elle chercherait aujourd’hui avec ses alliés occidentaux à obtenir un report de quelques mois, dans l’attente d’un contexte qui lui serait plus favorable. « C’est pourtant le camp de Michel Aoun et Gebran Bassil qui serait tenté de pousser dans le sens d’une menace à la tenue des législatives à l’étranger », confie un ambassadeur qui a requis l’anonymat. À moins d’être entre-temps suspendue, la grève décrétée par les diplomates depuis deux semaines risque en effet de remettre en cause le vote de la diaspora, ce qui pourrait à son tour torpiller l’échéance localement. Toutefois, Hassan Nasrallah persiste et signe : « Il y aura certainement des élections législatives le 15 mai, et il s’agira d’une bataille électorale démocratique », a-t-il martelé.
Le Hezb imperturbable
Dans les milieux hezbollahis, on s’amuse des accusations dirigées contre le parti chiite, estimant qu’elles sont, aujourd’hui plus que jamais, « infondées ». « Le Hezbollah est le parti le plus confiant au sujet des législatives. Il est fin prêt et table sur une machine parfaitement huilée. Il va surprendre tout le monde par ses résultats », commente Salem Zahran. Cette victoire anticipée ne peut donc que se répercuter sur son allié chrétien, le CPL, qui peut désormais tabler sur un soutien quasi inconditionnel que lui fournira le parti chiite avec lequel il s’est allié sur l’ensemble du territoire libanais. Les analystes proches du parti chiite estiment que le CPL va profiter de l’appoint que lui fournira le Hezbollah dans des circonscriptions telles que Baalbeck-Hermel, Zahlé, Chouf-Aley et Beyrouth II.
« Je peux d’ores et déjà prévoir qu’au moins 17 députés aounistes réussiront à percer », avance, confiant, M. Zahran. Des prévisions optimistes alors qu’il y a quelques mois, le parti de Gebran Bassil ne pouvait espérer décrocher plus de 10 sièges, selon les experts. Merci donc au Hezbollah et, accessoirement, à... Amal, devrait dire le CPL.
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"Nasrallah identifie la menace contre son camp" La seule et unique menace contre le Liban est la présence de ce parti le principal et plus grand responsable de la mouise dans laquelle le pays se débat.
Pierre Christo Hadjigeorgiou
11 h 30, le 14 avril 2022