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Macron II : le roi est (presque) nu

Il y a quelque chose de pourri au royaume de France. Quelque chose qui n’a pas encore, fort heureusement, pris le dessus sur tout le reste, mais qui gagne à chaque scrutin un peu plus de terrain. La nette victoire d’Emmanuel Macron - premier président de la cinquième République depuis le général de Gaulle a être réélu hors cohabitation - n’est pas un mince exploit. Le barrage républicain, bien que fissuré, tient toujours. Mais pour combien de temps encore ? Hier, plus de 40% des Français, plus de 13 millions des électeurs, ont voté pour l’extrême droite, même si nombre d’entre eux ne l’identifient pas ainsi : c’est tout simplement historique, d’autant que ce chiffre est en progression constante depuis vingt ans.

En remportant le second tour de l’élection présidentielle avec 59% des suffrages, Emmanuel Macron est à nouveau entré dans les annales en raison à la fois de son talent politique et des circonstances exceptionnelles. Tout au long de son mandat, il a réussi à stabiliser un socle électoral, supérieur à 20%, qui n’a jamais flanché et ce malgré trois crises majeures (les gilets jaunes, le covid, la guerre en Ukraine). En parallèle, il a fait en sorte d’occuper tout l’espace qui va du centre gauche au centre droit et qui permet, traditionnellement, de réunir la majorité des Français. C’est un coup de maître. Mais le revers de la médaille, c’est que le président sortant a suscité, "en même temps", un fort rejet auprès d’une large partie des Français. Cela donne une situation assez paradoxale où un homme de moins de 45 ans parvient à se faire réélire dans un pays qui aime comme aucun autre "couper la tête du roi" mais dont le trône est, dès le premier instant, vacillant.

Pour la première fois de la cinquième République, le président ne bénéficiera d’aucun jour de grâce. Ses adversaires, nombreux, ont contesté dès son annonce non pas la légitimité du scrutin mais celle du nouveau président. On peut bien sûr critiquer ici ce qui relève d’un manque évident de maturité politique et participe à la détérioration de la vie démocratique. Mais il n'empêche, cela reflète l’état d’esprit d’une partie des Français, dont près d'un tiers s'est abstenu, créant une situation quasi-inédite : le roi est encore là mais il est presque nu.

Emmanuel Macron l’a compris et a promis, dès le soir du premier tour, de se réinventer. Peut-être en sera-t-il capable - n’est pas Rimbaud qui veut - et cela permettra de limiter les dégâts. Peut-être, dans le même sens, que cette élection pourrait susciter un débat sur la nécessité ou non de réformer les institutions de la cinquième République, dont le personnage central est élu, pour la deuxième fois d’affilée, par défaut. Une démocratie peut-elle être fonctionnelle dans ces conditions ? Est-il logique qu’un candidat qui suscite l’adhésion d’à peine un quart du corps électoral détienne tous les pouvoirs ?

Les angoisses, les déchirements, les haines même, qui traversent la société française semblent toutefois relever de dynamiques plus profondes qui dépassent la question des institutions ou de l’identité du locataire de l’Élysée, quel qu’il soit. La démocratie française - elle n’est pas la seule - est malade. L’histoire de France est jalonnée depuis la Révolution par des périodes de violences, de doutes, de divisions profondes, d'affaiblissement de la République et de montée en puissance de courants et d’idées extrémistes. Les historiens auront la tâche d’expliquer si et en quoi le moment présent est exceptionnel ou s’inscrit au contraire dans une forme de continuité. L’on peut toutefois d’ores et déjà estimer que le quinquennat à venir ne va pas être un long fleuve tranquille, loin de là.

Comment gouverner en effet un pays où plus d'un électeur sur deux fait désormais le choix de la radicalité, qu’elle soit de droite ou de gauche ? Comment réunir toutes ces France, celle des quartiers périphériques, celle des banlieues, celle des villes mondialisées, celle des territoires oubliés, elles-mêmes divisées en leur sein, qui ne parlent plus la même langue et qui donnent presque le sentiment d’évoluer dans des univers parallèles ? Le président sortant s’est ainsi vu reprocher par les uns d’être trop laxiste, par les autres d’incarner une dérive autoritaire, d’être à la fois le promoteur de la "cancel culture" et d’une vision conservatrice qui se cache sous un vernis de modernité. Emmanuel Macron doit-il faire pencher la balance à droite ou à gauche ou tenter une synthèse impossible qui suscitera probablement l’ire des deux camps ?

Les élections législatives devraient apporter une partie de la réponse, sans toutefois permettre d’endiguer le phénomène d’émiettement de la société française, quels que soient les résultats. Elles peuvent aboutir à ce que le pouvoir soit moins concentré, ce qui fera naître par ailleurs d’autres problématiques, mais pas à ce que la société soit moins fragilisée.

La France, à l’instar d’autres puissances occidentales, traverse une phase de profonde remise en question. Tout porte à croire que ce processus va s’accélérer durant les prochaines années, notamment en raison des enjeux transnationaux qui l'obligent à se transformer, à commencer par les transitions énergétique et numérique. Se conjuguent, en France, une forme d’idéalisation du passé et une anxiété concernant l'avenir, qui viennent de différents milieux et prennent de multiples formes, parfois contradictoires.

Emmanuel Macron ne peut pas tout. Il gagnerait à commencer par le reconnaître.

"Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse", déclarait Camus en 1957, au moment de recevoir le prix Nobel de littérature. Il est sûrement là le principal défi d’Emmanuel Macron pour ces cinq prochaines années : non pas refaire la France, comme il le souhaiterait, mais plutôt empêcher, dans la mesure du possible, qu’elle ne se défasse. Ce qui, dans les circonstances actuelles, est sans doute au moins aussi difficile.

Il y a quelque chose de pourri au royaume de France. Quelque chose qui n’a pas encore, fort heureusement, pris le dessus sur tout le reste, mais qui gagne à chaque scrutin un peu plus de terrain. La nette victoire d’Emmanuel Macron - premier président de la cinquième République depuis le général de Gaulle a être réélu hors cohabitation - n’est pas un mince exploit. Le barrage...

commentaires (7)

la solution au probleme que Mr. samrani souleve ? facile, deux options : - un directoire presidentiel a deux tetes, donc les 2 candidats en lice - un directoire dirigeant a 3 tetes , style Liban. vu ses resultats probants encourus par les libanais c'est evidemment la 2e est celle la plus valable,

Gaby SIOUFI

08 h 58, le 26 avril 2022

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Commentaires (7)

  • la solution au probleme que Mr. samrani souleve ? facile, deux options : - un directoire presidentiel a deux tetes, donc les 2 candidats en lice - un directoire dirigeant a 3 tetes , style Liban. vu ses resultats probants encourus par les libanais c'est evidemment la 2e est celle la plus valable,

    Gaby SIOUFI

    08 h 58, le 26 avril 2022

  • Vous tombez Mr. Samarani, dans le piège des démocraties hypocrites... Vous appeler l'ascension de la droite "quelque chose de pourri" mais vous oublier que ce quelque chose de pourri représente le choix de 42% de la population and qu'il faut le respecter et l'écouter, pas l'insulter... Les démocraties occidentales reconnaissent les élections uniquement quand leur candidat gagne et s'en desiste quand le candidat qui arrange moins leur agenda, prend le dessus (Algérie, Gaza, Hongrie etc...).

    Kassab Joseph

    05 h 49, le 26 avril 2022

  • Il est dur de se trouver "pro-macron." C'est être pro quoi, au juste? Il ne représente aucune idéologie concrète. C'est un bureaucrate auquel on ne pas reprocher que le fait qu'il n'inspire que la médiocrité dans le coeur de son peuple.

    Michael Nasrallah

    01 h 12, le 26 avril 2022

  • Marine Le Pen a fait trois erreurs 1) l’amitié avec Poutine 2) l’Europe qu’elle veut changer et sortir de l’OTAN 3) et le foulard .Alors là elle a perdû

    Eleni Caridopoulou

    19 h 01, le 25 avril 2022

  • Je persiste et signe des deux mains ce que j’ai écrit ICI à 12 h 51, le 11 janvier 2022 : "BRAVO POUR VOTRE PREMIER EDITO, SI JE NE ME TROMPE. LE CHOIX D’UNE MAJORITE DES ELECTEURS S’EST CRISTALLISE SUR EMMANUEL MACRON, AVANT MEME L’ANNONCE DE SA CANDIDATURE. IL SERA LE FUTUR PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE. EMMANUEL MACRON SUCCEDERA A LUI-MEME, ET SERA ELU DANS CINQ ANS S’IL SE REPRESENTE POUR LA TROISIEME FOIS, ET JE M‘EN REJOUIS, BIEN SUR." Je suis désolé de me citer, c’était ma prédiction d’il y a presque quatre moi. Et Emmanuel Macron a succédé à lui-même. Les nombreux adversaires n’ont pas contesté la légitimité du nouveau président, mais le mode du scrutin majoritaire. Vous écrivez M. Samrani : "...plus de 13 millions des électeurs, ont voté pour l’extrême droite, même si nombre d’entre eux ne l’identifient pas ainsi." Vous avez raison, vous citez Camus et Rimbaud, c’est très bien, et pourquoi pas Sollers, et "La France moisie a toujours détesté, pêle-mêle, les Allemands, les Anglais, les Juifs, les Arabes, les étrangers en général, l’art moderne,…" (fin de citation). La France, c’est la guerre civile, en civil. Soyons bref ce matin pour savourer la victoire de Manu, dernier roi de France et que le "klaxon Algérien", (qu’on me pardonne ce petit excès de langage), se tait pour un moment en dégustant ma m… à la petite cuillère. Pour dernière citation, le choix des Français d’hier, est un choix de raison, dixit Dominique Schnapper. Au plaisir de vous lire M. Samrani.

    Nabil

    12 h 56, le 25 avril 2022

  • Depuis Aristote l'objet du politique est "l'unité du multiple" d'où une conflictualité sans cesse renaissante que les militants cherchent à réduire suivant une idéologie de l'unité......

    Beauchard Jacques

    10 h 50, le 25 avril 2022

  • On peut aussi voir le verre à moitié plein : l'acceptation de la 5e république, une participation supérieure à 70%, l'absence de violences significatives, un taux de chômage qui a bien baissé... Quant aux extrêmes, ils font aussi partie du folklore national. Il y a toujours eu 1/3 des français qui votent pour les extrêmes, de gauche ou de droite.

    F. Oscar

    10 h 48, le 25 avril 2022

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