« Les sociétés occidentales sont extraordinairement fragiles, elles sont en miettes, et il n’est pas du tout certain qu’une menace extérieure suffise pour les ressouder durablement », expliquait à L’OLJ l’ancien secrétaire général adjoint de l’ONU Jean-Marie Guéhenno, une semaine après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le morcellement, parfois même la décomposition de ces sociétés, est un phénomène observable depuis le début du siècle, mais qui s’est largement accéléré ces dix dernières années. Et si la dynamique est encore en cours, ses principaux effets sont déjà délétères.
Il y a d’abord l’effritement du lien social et politique. D’une part entre les citoyens, qui ne font désormais corps que sur les plus petits dénominateurs communs, d’autre part dans leur relation à l’État, marquée au mieux par la désaffection, au pire par la détestation. Il y a ensuite, dans la même veine, une perte de sens et un dérèglement de la hiérarchie des valeurs qui conduit à la construction d’une sémantique où tout se vaut et où, par conséquent, les mots n’ont plus aucune signification. L’on peut ainsi entendre des citoyens dénoncer la « dictature sanitaire » et des intellectuels parler de « soft totalitarisme » – comme si les deux mots n’étaient pas fondamentalement antinomiques – sans que cela ne détonne outre-mesure dans le débat public lui-même empoisonné par le venin du complotisme. Il y a enfin la forte montée des populismes, en particulier d’extrême droite, qui font leur lit sur le sentiment de déclin, réel ou supposé, et sur les évolutions démographiques, là aussi réelles ou fantasmées, qui traversent et modifient ces sociétés.
La France est loin de faire exception à la règle. Le très bon score d’Emmanuel Macron (28,1 %), hier, au premier tour de la présidentielle, est l’arbre qui cache la forêt. Le président sortant a très probablement profité de la peur d’une partie de l’électorat de voir sa principale concurrente, Marine Le Pen, arriver en tête du premier tour. Il n’empêche, si l’on additionne le score de la candidate du Rassemblement national (23,3 %) et celui du trublion de la campagne, Éric Zemmour (7,2 %), on constate que l’extrême droite pèse aujourd’hui 30 % des suffrages en France. Les résultats du premier tour confirment, en outre, l’effondrement des partis traditionnels de droite comme de gauche qui, réunis, recueillent à peine 7 % des suffrages. Le fait que le débat politique soit désormais focalisé sur la possibilité de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, alors même que le clivage droite-gauche n’a pas disparu, est une très mauvaise nouvelle pour la démocratie. Tout comme l’est l’effritement du barrage républicain : une partie de la droite fait ouvertement le choix de la radicalité, une partie de la gauche préfère quant à elle s’abstenir, considérant qu’elle n’a pas à trancher entre deux maux qu’elle estime équivalents. Comment en est-on arrivé à cette situation où ce qui relevait hier de l’évidence pour la majorité du corps électoral divise aujourd’hui toutes les composantes de la société ? La réponse ne peut évidemment être exhaustive. Il y a ici des causes qui dépassent le cadre français et le moment présent. La montée des inégalités, la mondialisation débridée, le délitement des corps intermédiaires, les angoisses et les affirmations identitaires, l’apparition de nouveaux enjeux transnationaux, au premier rang desquels figure la crise écologique, sont autant d’explications, partielles, de l’évolution des sociétés occidentales. L’État se transforme et s’atrophie. Il peut de moins en moins alors qu’on lui demande de plus en plus.
Mais cela ne doit pas dédouaner pour autant les principaux acteurs de la scène politique française. Au sortir du premier tour il y a cinq ans, Emmanuel Macron promettait de réconcilier les Français. Jamais pourtant depuis des décennies ils n’ont semblé plus divisés que durant ce quinquennat. Non seulement il n’est pas parvenu à endiguer l’extrême droite, mais en souhaitant monopoliser l’espace républicain, en ne marchant la plupart du temps que sur une jambe (la droite) contrairement à sa promesse d’un « En même temps », en incarnant, à tort ou à raison, la France d’en haut contre celle d’en bas, en installant durant cinq ans son duel avec Marine Le Pen, Emmanuel Macron porte une lourde responsabilité dans la situation actuelle. Certains indicateurs ont beau être rassurants, la France paraît plus malade qu’elle ne l’était en 2017.
Les autres acteurs ne peuvent toutefois échapper à la critique. La droite républicaine, incapable de se créer un espace, de se réinventer, a flirté tout au long de la campagne, et même avant, avec l’extrême droite. La gauche républicaine a, quant à elle, largement alimenté l’idée que le néolibéralisme était, sinon la face cachée, le moteur du fascisme.
Il y a cinq ans, Marine Le Pen était le maillon faible de l’extrême droite, celui qui rendait son accession au pouvoir impossible. Après une campagne bien plus réussie que celle de tous ses adversaires – à commencer par le président qui a eu la prétention de ne pas la faire –, elle en est aujourd’hui l’atout majeur. Son entreprise de dédiabolisation, facilitée par la xénophobie sans retenue d’Éric Zemmour, est un franc succès. Au point que la candidate peut sérieusement espérer aujourd’hui l’emporter. Au point que, quel que soit le résultat du second tour, le 24 avril, le quinquennat à venir peut légitimement susciter de sérieuses craintes.
Marine Le Pen a beaucoup travaillé pour en arriver à sortir son parti de l’ornière de l’extrême droite. Personnellement, son discours ne me convainc guère. Elle promet ce que les gens veulent bien entendre, sans se préoccuper si c’est raisonnable. J’en veux pour preuve, que pour rallier les anti-éoliennes elle promet de les enlever toutes. Outre de se priver d’énergie, le cout d’enlèvement est formidablement élevé. Qui paiera ? Enfin, d’un point de vue économique, son allocution laisse à désirer : elle n’y connait rien ! Elle est fort mal conseillée. Quel est son éventuel ministre de l’économie ? Ça craint un max ! Après cela… Inch Allah
13 h 05, le 15 avril 2022