Critiques littéraires Romans

Quand Carcassonne s'en « retourne » au pays des cèdres

Quand Carcassonne s'en « retourne » au pays des cèdres

© J.-F. Paga / Grasset

Le Retournement de Manuel Carcassonne, Grasset, 2022, 320 p.

Nour, la femme de Manuel Carcassonne, auteur de ce récit, est une Libanaise chrétienne dont le berceau familial se trouve au pied du mont Hermon, à Rachaya el-Wadi, à quelques kilomètres d’Israël. Un jour, elle l’emmène au cimetière du village et lui montre le caveau familial, et là, tout d’un coup, elle lui déclare qu’elle voudrait qu’il soit enterré ici : lui, l’éditeur germanopratin, qui se dit d’origine juive et non juif, qui avoue varier « sans cesse comme une voile au vent » et qui affirme encore : « Je n’ai jamais été chez moi, car je me sentais une sorte d’invité permanent. » Cette proposition le bouleverse parce qu’elle induit, s’il l’accepte, qu’il se fixe enfin quelque part, très loin du boulevard Montparnasse où il vit : elle l’oblige à se demander qui il est.

Ce livre raconte ce « retournement » (allusion aussi à un Alya qui n’en sera pas un) que l’auteur va faire sur lui-même et sa famille, une quête de soi placée sous l’égide bienveillante de son épouse qui, elle, appartenant comme lui à une minorité, sait parfaitement qui elle est.

Le Liban est le théâtre de cette recherche et, tandis que le narrateur nous dévoile ses origines, on déambule avec lui dans Beyrouth, dans Sidon, dans Baalbek d’où, parfois, s’élèvent encore des chants chrétiens (enregistrés) au milieu des mosquées, à la recherche des juifs qui vécurent au Liban. Et puis il y a l’explosion du 4 août. Nour se trouve à Beyrouth avec leur enfant, et lui, Abou Hadri (comme on l’appelle ici) débarque aussitôt de Paris et constate l’irrémédiable : « Des balcons s’effondraient au ralenti, gémissaient comme des parturientes. Les jeunes balayeurs s’écartaient d’un bond leste (…). Une chorégraphie absurde qui embuait mes yeux : ils avaient des balais là où il aurait fallu des tractopelles. »

Entre-temps, il se sera demandé mille fois ce que veut dire être juif, et la réponse n’est pas évidente pour cet homme qui n’a jamais souffert de l’antisémitisme, a connu une jeunesse heureuse à Paris, collectionnant les jeunes filles à particules et faisant finalement tout ce qu’il a voulu. Alors il se retourne vers le passé de sa famille fort ancienne, puisque on en trouve des traces au Moyen Âge, dans le Comtat. Les Carcassonne étaient en effet des « juifs du pape » comme on les a appelés, parce que les papes d’Avignon les protégeaient moyennant de grasses rémunérations. On découvre alors une histoire peu connue, qui vit les juifs quitter Israël, participer activement au bouillonnement intellectuel qui mêla indistinctement juifs, musulmans et chrétiens, et aboutir en Provence qui fut pour eux un relatif paradis.

Richement documentée, érudite parfois, très bien écrite, cette quête ne lasse jamais : c’est un voyage intérieur qui embrasse le monde et qui trouve son épilogue au Liban où, là, peut-être, les identités peuvent paradoxalement s’établir.

Le Retournement de Manuel Carcassonne, Grasset, 2022, 320 p.Nour, la femme de Manuel Carcassonne, auteur de ce récit, est une Libanaise chrétienne dont le berceau familial se trouve au pied du mont Hermon, à Rachaya el-Wadi, à quelques kilomètres d’Israël. Un jour, elle l’emmène au cimetière du village et lui montre le caveau familial, et là, tout d’un coup, elle lui déclare...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut