Lello-qui-sait-tout

Entré au service de votre mari en tant que chauffeur, Élias, dit Lello-qui-sait-tout, est rapidement devenu un incontournable de votre paysage familial, a man for all seasons. Santa Claus au ventre rebondi et à la voix tonitruante pour votre petit-fils à Noël, le personnage se transforme en cueilleur de nèfles en été à Zahlé et même, grâce à un obscur cousin pompiste, en trafiquant d’essence, lors de la terrible pénurie.

Il donne pompeusement du « Docteur » à votre cher époux qu’il vénère, ignorant superbement votre infortunée thèse de doctorat à vous qui ne vous donne droit, à ses yeux, qu’à un « Madame » (tout-le-monde). D’ailleurs, il assiste à toutes les conférences de son patron, lançant des yeux courroucés aux autres intervenants et déclarant immanquablement, pendant le trajet de retour, que « le Docteur » était le meilleur et qu’il les a « écrasés tous », confondant le colloque sur l’avenir politique du Proche-Orient avec un match de boxe.

Lello-qui-sait-tout a des opinions sur tout et des remèdes pour tout : de la décoction de feuilles de navet pour les calculs de la vésicule biliaire, aux bains de sable pour les maux de dos, jusqu’au jus de chou bouilli qu’il prescrit à tout venant et qui aurait, à l’entendre, guéri son village de Aïntoura des pires épidémies. La Faculté n’a qu’à bien se tenir ! En droit, Lello se défend aussi fort bien, assurant à un auditoire éberlué qui n’en demandait pas tant – à savoir Ismaïl, le concierge syrien – que le Liban ne s’en sortira que par l’amendement de la Constitution ! Ce constitutionnaliste chevronné tiendrait tête à Georges Vedel lui-même.

Il assure connaître toutes les adresses où vous désirez vous rendre, même s’il n’y a jamais mis les pieds, refusant obstinément l’idée – qu’il juge dégradante – de demander son chemin à quiconque. Il connaît les raccourcis les plus invraisemblables pour vous amener à temps à votre cours à la Fac, slalomant à la Schumacher entre les voitures, tout en vous assurant avec la plus parfaite mauvaise foi que la pancarte « Sens interdit » a été placée là par erreur, allant même jusqu’à fustiger la manière de conduire « des Libanais ».

Alors que vous vous apprêtez à lui passer un savon, il s’en sort avec un compliment bien tourné et l’assurance de son allégeance éternelle à votre famille. Et le jour de la fête des mères, il est le premier, avant même vos propres enfants, à vous offrir une belle rose.

Incontournable, je vous dis !