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Économie - Conférence

Scénarios possibles, prix seuil pour l’exploitation : des experts font le point sur le gaz offshore libanais

Si la majeure partie des éléments apportés sont techniques, d’autres permettent de se faire une idée assez précise de l’importance du chantier en termes d’investissement et d’enjeux.

Scénarios possibles, prix seuil pour l’exploitation : des experts font le point sur le gaz offshore libanais

Le navire d’exploration pétrolière Tungsten Explorer au large des côtes libanaises, le 25 février 2020. Photo d’archives AFP

L’actualité concernant des réserves libanaises supposées d’hydrocarbures offshore se limite depuis quelque temps aux tractations entre le pays du Cèdre et son voisin israélien pour résoudre le litige qui les opposent sur la délimitation de la frontière entre leurs deux zones économiques exclusives (ZEE). La résolution de ce dossier est cruciale pour l’avenir d’une économie libanaise en crise profonde depuis bientôt trois ans, à condition toutefois que l’exploitation de ces ressources, dans le cas où le potentiel du pays se confirmerait ne serait-ce qu’en partie, soit menée de façon cohérente, transparente et de manière à servir l’intérêt général de la population libanaise.

C’est avec ces problématiques en tête que la Fondation citoyenne fondée et dirigée par l’ancien directeur général des Finances, Alain Bifani, a organisé une conférence sur ce thème à l’École supérieur des affaires (ESA Business School) le 16 mars, en collaboration avec la Fondation Konrad-Adenauer-Stiftung (KAS) qui l’a sponsorisée. Le but ? Exposer les perspectives en matière d’investissements et de revenus ensuite déclinés dans plusieurs scénarios optimaux développés dans le cadre d’une étude réalisée par le normalien Adrien Sémon.

Si la majeure partie des éléments apportés sont très techniques, d’autres, plus liminaires, permettent de se faire une idée assez précise de l’importance du chantier en termes d’investissement et d’enjeux et donc de la nécessité de le mener dans les règles de l’art et sans contretemps évitable. Dans le cadre de cette conférence ont également été livrées des données utiles concernant la façon dont le prix seuil et le prix final des hydrocarbures qui pourraient être extraits de la ZEE libanaise devront être calculés.

Contexte régional et local

D’emblée, le directeur général de l’ESA Beyrouth, Maxence Duault, a souligné l’importance croissante de ce dossier au regard d’une actualité internationale bouillante marquée par le conflit russo-ukrainien qui rend « la question de la dépendance énergétique (…) vitale pour les années à venir ». À cette actualité s’ajoute le fait que plusieurs gisements importants ont été découverts ces dernières années dans la partie ouest du bassin méditerranéen ; que la Grèce, Chypre et Israël ont signé en 2019 un accord intergouvernemental pour construire le gazoduc East-Med ; que le gazoduc Nord Stream 2 reliant la Russie à l’Allemagne a été stoppé ; que le conflit ukrainien met sous pression la coopération entre le géant français Total et le russe Novatek qui se sont alliés – avec l’italien Eni – pour décrocher les premières licences d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures offshore attribuées par le Liban en 2018 ; ou encore que l’Europe souhaite réorienter de manière massive ses investissements pour privilégier les énergies renouvelables.

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Le directeur de la KAS, Michael Bauer, a, lui, rappelé une évidence souvent occultée dans les débats concernant les hydrocarbures offshore du pays du Cèdre. « L’exploitation des ressources potentielles du Liban en hydrocarbures n’est pas la panacée pour résoudre toutes les difficultés du Liban mais doit être abordé avec une approche complète », a-t-il insisté avant de laisser Alain Bifani et Adrien Sémon entrer dans le vif du sujet.

Paramètres généraux

Les quatre scénarios articulés dans l’étude ont été élaborés après avoir posé un prix seuil des hydrocarbures extraits ainsi qu’une estimation des besoins énergétique du Liban et de l’évolution du prix du kilowattheure (kWh). Deux paramètres relatifs à l’évolution du contexte libanais ont aussi été pris en compte pour les besoins de la simulation : le fait que le pays parvienne à une certaine stabilité institutionnelle et que son PIB retrouve dès 2025 le niveau qu’il avait en 2019 (un peu plus de 50 milliards de dollars, un nombre divisé par plus de deux depuis). « Il faut une base pour faire ses projections », a justifié l’ancien directeur général des Finances, ajoutant que le fait que l’étude ait été finalisée en juin dernier ne remettait pas fondamentalement ses résultats en question malgré l’évolution de la situation au Liban. Pour rappel, Beyrouth a mis en jeu en novembre l’ensemble des huit blocs non attribués en réinitialisant l’appel d’offres lancé en 2019, soit avant le début de la crise.

L’étude met également en avant quelques données générales notamment avancées par la Lebanese Petroleum Association (ou Autorité du Pétrole) rattachée au ministère de l’Énergie et de l’Eau, selon laquelle les réserves d’hydrocarbures du Liban seraient comprises entre 340 et 708 milliards de mètres cubes (m3). Alain Bifani fait cependant remarquer au sujet de ces estimations, sans les remettre en question, que la même autorité a estimé à 422 milliards de m3 les réserves du bloc 1 (l’un des 10 de la ZEE libanaise situé au nord), contre 368 milliards pour le bloc 4 (centre) et 430 milliards pour le bloc 9 (sud).

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Si les opérations d’exploration dans le bloc 4, menées de février à avril 2020, ont révélé la présence de gaz, elles n’ont pas permis de trouver de réservoir. La possibilité de l’existence d’un tel réservoir n’est pas à écarter, mais il faudra pour le vérifier que le consortium Total/Eni/Novatek creuse un autre puits pour atteindre une profondeur allant entre 1 400 et 1 800 mètres (avant d’atteindre le fond), ce qui représente un investissement considérable. « Pour le bloc 9, Total a prévu de réaliser un forage à 25 km au nord de la zone contestée et devrait achever les opérations en août 2022 », a encore noté Alain Bifani lors de cette conférence, la 2e conférence sur le thème de l’énergie (la première était sur celui de la transition énergétique, début décembre 2021, NDLR) organisée par la Fondation citoyenne à l’École supérieure des affaires de Beyrouth.

Prix seuil et prix final

Le prix seuil (sous lequel l’exploitation se fait à perte) est, lui, à chaque fois posé via une formule spécifique de rentabilité du gaz, qui détermine le coût d’extraction. Les projections de l’étude tiennent également compte des paramètres identifiés dans le cadre des exploitations lancées en Égypte et en Israël ces dernières années, qui sont en théorie très similaires à ceux de la ZEE libanaise.

La formule utilisée pour le calcul du prix seuil tient compte du facteur de recouvrement de capital (CRF), des coûts initiaux à l’investissement (forage, plateforme, gazoducs, etc.), de la production annuelle en m3, ou encore du taux d’intérêt annuel établi permettant d’amortir les investissements de départ et de dégager un profit substantiel dans la durée. Elle est primordiale dans la mesure où les investissements réalisés dans le domaine des hydrocarbures offshore sont massifs et ne peuvent être rentabilisés que sur le long terme.

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En Israël, par exemple, le coût total des infrastructures installées pour exploiter les gisements de Tanin, Karish et Karish nord (9 puits au total) a atteint 1,7 milliard de dollars. La durée d’investissement anticipée évolue entre 11,6 et 17,4 ans, pour une production moyenne de 5,3 milliards de m3 par an, avec des pics attendus à 8 milliards. Le taux d’intérêt prévu pour le recouvrement es coûts – lié au risque – est de 8 % pour un facteur maintenance de 5 % et pour un CRF (le facteur de recouvrement du capital) à 11,7 %. Le coût de forage d’un puits offshore varie, lui, entre 600 000 à 800 000 dollars par jour. Selon ces paramètres, le prix seuil est de 1,24 dollar par million de BTU (pour British Thermal Unit, unité de mesure standard pour l’énergie thermique). Au pic de l’extraction, ce prix seuil monte à 1,48 dollar par jour.

Ces prix seuil sont plus élevés pour le gisement égyptien Zohr, pour une fourchette de 1,80 et 2,23 dollars par million de BTU. Découvert en 2015, ce gisement qui a commencé à être exploité en 2017, est atypique du fait de sa capacité (850 milliards de m3 pour plus de 200 puits programmés à terme), et sa distance des côtes égyptiennes (150 km), ainsi que la taille des investissements en jeu – 12 milliards de dollars pour construire une usine de traitement de gaz à Port-Saïd, une plateforme de gestion gazière et deux gazoduc de 216 kilomètres chacun.

En tenant compte de ces facteurs et de la formule, l’étude présentée par Alain Bifani table donc sur un prix seuil – altéré par le risque élevé lié au contexte libanais – posé dans une fourchette allant entre 1,5 et 2 dollars par million de BTU. Il ajoute que le prix final sera majoré pour atteindre 3,75 à 5 dollars par million de BTU, en incluant les marges divisées entre l’État et les entreprises. Pour le bloc 4, le gouvernement libanais a négocié sa marge entre 63 et 71 %. Pour le bloc 9, dont une partie de la superficie est contestée par Israël, ces revenus seront calculés selon une marge légèrement inférieure : entre 56 et 61 % de la marge totale – le reste étant récupéré par les exploitants. En tenant compte de ces éléments, le Liban peut donc espérer par milliard de m3 extrait entre 51,5 millions et 77,3 millions de dollars pour le bloc 4 ; et entre 45,7 millions à 66,4 millions de dollars pour le bloc 9. Enfin, une partie de la production devra être absorbée par les infrastructures électriques libanaises existantes et à venir, un volet que l’étude détaille exhaustivement et qui impactera le montant des revenus nets espérés.

Les quatre scénarios

L’étude propose en outre « quatre scénarios d’exploitation du gaz, établis en fonction du plus important gisement hypothétiquement découvert en 2022 et dont l’exploitation démarrerait en 2025 ». Les pics d’extraction choisis pour chacun d’entre eux sont indicatifs et doivent tenir compte du fait que « les investissements de départ croissent avec la taille du gisement et, d’autre part, que l’entreprise exploitante cherchera à accroître ses bénéfices sans pour autant obérer la durabilité de l’exploitation »

Le premier scénario part du principe que le plus gros gisement libanais découvert aurait un volume de 30 milliards de m3, « les gisements d’un volume inférieur étant peu rentables ». Pour un pic d’extraction à 3 milliards de m3 par an, la durée d’exploitation peut être évaluée à 15 ans, de 2025 à 2039. Dans cette hypothèse, le Liban ne serait pas autosuffisant en gaz, ne pourrait en exporter que peu, mais les investissements resteraient mesurés.

Pour le second scénario, l’auteur de l’étude mise sur le fait que le plus gros gisement de gaz découvert atteindrait 100 milliards de m3, avec un pic d’extraction annuelle à 5 milliards de m3. Cela permettrait au Liban d’extraire du gaz pendant 30 ans, de 2025 à 2054, sans toutefois pouvoir subvenir à tous ses besoins avant 2042. La part exportable de gaz se situerait alors entre 2 et 3 milliards de m3 pour l’essentiel de la période 2025-2040.

Pour le troisième scénario, l’étude s’avance sur un réservoir de 250 milliards de m3 et un pic d’extraction annuelle à 10 milliards de m3, pour une durée d’exploitation de 37,5 ans. « Le Liban serait autosuffisant et exportateur de gaz jusque vers 2050 » et « la part de gaz exportable atteindrait dans ce scénario (…) autour de 7 milliards de m3 sur l’essentiel de la période 2025-2040, avant de passer à 5 milliards de m3 entre 2026 et 2044, des quantités assurant des volumes viables destinés à l’exportation », prévoit l’auteur de l’étude.Enfin, le dernier scénario « envisage le cas où serait découvert un gisement de 500 milliards de m3 » pour un pic d’extraction annuelle attendu à 15 milliards de m3. L’exploitation s’étendrait sur 50 ans, de 2025 à 2074, et « le Liban pourrait alors probablement subvenir entièrement à ses besoins en gaz jusqu’à début 2060 ». Le Liban serait en outre à même de devenir un exportateur majeur. « Même dans le meilleur des scénarios, les rentrées et revenus annuels ne pourraient dépasser le milliard et demi de dollars, une manne certes, mais qui ne suffirait pas à transformer le Liban en une rente gazière », souligne néanmoins l’auteur de l’étude.

Le film de la conférence est disponible en ligne à l’adresse suivante : https ://www.youtube.com/watch ? v=ZlZZ0oPD1yM.


L’actualité concernant des réserves libanaises supposées d’hydrocarbures offshore se limite depuis quelque temps aux tractations entre le pays du Cèdre et son voisin israélien pour résoudre le litige qui les opposent sur la délimitation de la frontière entre leurs deux zones économiques exclusives (ZEE). La résolution de ce dossier est cruciale pour l’avenir d’une...

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L,IDIOTIE QUI A FAIT PERDRE AU PAYS UNE DECENNIE LUI FERAIT PERDRE PLUS D,UNE AUTRE. LA CHOU EL 3AJALE ? L,ABRUTISSEMENT ET L,ASSUJETISSEMENT AUX ORDRES DU BARBU ET DE SON FAKIH DES MAFIEUX EST BIEN CONNUE.

LA LIBRE EXPRESSION

13 h 55, le 28 mars 2022

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Commentaires (5)

  • L,IDIOTIE QUI A FAIT PERDRE AU PAYS UNE DECENNIE LUI FERAIT PERDRE PLUS D,UNE AUTRE. LA CHOU EL 3AJALE ? L,ABRUTISSEMENT ET L,ASSUJETISSEMENT AUX ORDRES DU BARBU ET DE SON FAKIH DES MAFIEUX EST BIEN CONNUE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 55, le 28 mars 2022

  • je ne sais pas SI les calculs theses d'alain bifani doivent etre pris au serieux ! je veux dire que l'exercise de sa fonction 20 ans durant ayant eut les resultats que l'on sait sur notre economie&nos finances-en depit de ses "dires" apres sa demission du poste de DG des finances, de ses accusations je dirais posthumes contre r Salame?! bref le voila t il qui se veut POURVOIR a ce dossier ses connaissances lumineuses mais surtout sa clairvoyance pour ne pas dire pire.

    Gaby SIOUFI

    11 h 30, le 28 mars 2022

  • Autrement dit, il ne faut pas trop se faire d'illusions: Le gaz offshore ne suffira pas à sauver l'économie libanaise. Surtout que pour obtenir le moindre bénéfice, il faut une exploitation menée "de façon cohérente, transparente et de manière à servir l’intérêt général", ce qui est évidemment impensable au Liban!

    Yves Prevost

    07 h 58, le 28 mars 2022

  • "… Même le meilleur des scénarios … ne suffirait pas à transformer le Liban en une rente gazière …" - Mais alors, tout ce gaz qu’on nous vend, ça ne serait que du vent? Autant se concentrer sur les investissements en énergies renouvelables, le Liban disposant de beaucoup de soleil. Et en plus ça créerait des emplois.

    Gros Gnon

    05 h 25, le 28 mars 2022

  • "liminaires"? Vous êtes sûrs de ce terme?

    Gros Gnon

    05 h 08, le 28 mars 2022

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