Au début des années 90 et en vue de récupérer des parcelles vides dans le centre de Beyrouth (beaucoup plus rentables qu’avec une construction ancienne), Rafic Hariri ordonna de détruire beaucoup de constructions qui auraient pu être réhabilitées. L’argument présenté est qu’elles pourraient constituer un danger et entraîner des morts si jamais elles s’effondraient. Argument de sécurité souvent invoqué pour détruire un ouvrage, mais trop souvent faux car jamais corroboré par des données chiffrées. De plus, les événements qui ont suivi l’explosion du 4 août 2020 ont montré que c’était un argument complètement faux car beaucoup de constructions sérieusement endommagées furent soutenues et ne subirent aucune destruction totale.
Dans les années 80, l’on construisit trois ponts métalliques au même moment, à Jal el-Dib, Antélias et sur la corniche du Fleuve en contrebas de la colline d’Achrafieh. Les rampes d’approche de ces ponts furent soutenues par des murs en béton armé, de faible hauteur, couronnés à leur tête par une corniche préfabriquée en béton armé.
Pour une ou plusieurs raisons que j’ignore, il fut décidé de détruire celui de Jal el-Dib et d’Antélias, le prétexte officiel étant qu’ils constituaient un danger imminent d’effondrement. Les photos de confirmation montraient des corniches fortement atteintes où l’on voyait un béton effrité et des armatures corrodées. D’où la justification de la destruction des ponts : toutefois, ce n’était que des corniches décoratives sans aucun lien avec la structure des ponts.
Par contre le pont de la corniche du Fleuve échappa à cette mesure.
Actuellement, on s’excite officiellement sur le danger que présentent les silos qui, paraît-il, vont s’effondrer, en se fondant sur des rapports d’experts dont les détails n’ont pas été publiés pour apprécier s’ils se basent sur des sentiments ou sur des données réelles.
Prétexte pour effacer les traces du crime avant le résultat de l’instruction que mène le juge ou pour réaliser des affaires tant que les mêmes sont toujours là ?
Il est probable que des éléments de béton armé fissuré et déchiqueté, plus ou moins grands, tombent, mais il n’y a aucun risque d’effondrement global.
En effet, ces silos ont dû être construits en 1968 sous la direction du Conseil exécutif des grands projets du Liban (CEGP), organisme hautement qualifié par son professionnalisme créé par le président Fouad Chéhab. Le CEGP a été dissous par Rafic Hariri parce que trop indépendant peut-être, insubordonné et peu soumis. Il est probable que ses archives moisissent dans un coin d’une quelconque administration et que l’on ne puisse y avoir accès pour contrôler les plans des silos.
Toutefois le hasard a voulu qu’à l’époque où j’étais étudiant à l’ENPC, j’avais opté pour un stage d’un mois dans le bureau d’études Mecasol dirigé par Florentin et L’Hériteau. Je fus donc surpris un matin d’être abordé par M. Florentin pour me dire qu’il avait été en consultation à Beyrouth pour résoudre un problème de pieux préfabriqués en béton armé prévus sous les silos, ces pieux s’étant mis à refuser, à un moment donné, de pénétrer totalement dans le sol.
Je vous passe les détails, mais je peux confirmer que ces silos reposent sur des pieux préfabriqués en béton armé, de 12 mètres de longueur chacun. Ils traversent un sable devenu très dense après y avoir introduit ces pieux. Il n’y a donc aucun risque d’effondrement global ni aucun risque de liquéfaction du sable même en cas de secousses sismiques, sauf bien sûr si leur magnitude dépasse le degré 7 à l’échelle de Richter et que l’épicentre se trouve très proche de la surface. Mais dans ce cas-là, ce sera un autre problème beaucoup plus grave pour les immeubles d’habitation.
Ingénieur civil de l’ENPC
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Avec tout le respect... - Le rapport sur les silos est public depuis le 15.03. Consultez-le sur mon LinkedIn ou bien Insta @emmanuel.amann.sina ou bien https://linktr.ee/sinavolunteers - Les silos s'inclinent, pour ce qui concerne le bloc Nord. C'est un FAIT corroboré par (1) des mesures régulières au laser 3D ET (2) des mesures inclinométriques en "live" toutes les deux minutes. Voir le rapport. - Vous dites qu'il n'y a pas de risque d'effondrement global, juste comme ça.. Mon avis, basé sur des mesures en cours depuis 2020, et 25 ans à travailler sur des silos, est absolument contraire au vôtre. - Il est bien sûr toujours possible et malheureusement logique que "le politique" veuille effacer les traces de dramatiques négligences, MAIS il y a un risque réel qui doit être pris en compte quelle que soit l'option qui sera choisie par les Libanais (laisser tel quel avec du monitoring, ou démolir) - Le fait que les silos aient été construits par les plus grandes instances libanaises de l'époque - et respect pour elles - est un argument dérisoire face au résultat de l'une des plus grandes explosions non nucléaire. - Les pieux des silos ont été fracassés par la composante souterraine de l'explosion. Du fait de leur élancement (rapport longueur/largeur), de bien d'autres soucis y/c de mise en place (vous le mentionnez, et l'histoire est connue) les pieux ne pouvaient résister à l'explosion. Lisez le rapport SVP! Merci Emmanuel Durand, Ing. Civil, Expert (ESTP Paris/ ETH Zürich)
12 h 11, le 27 mars 2022