Le Premier ministre libanais Nagib Mikati a affirmé samedi, à l'issue d'une réunion de son gouvernement consacrée aux poursuites judiciaires contre des établissements bancaires, avoir chargé le ministre de la Justice, Henri Khoury, d'"élaborer une vision pour trouver des solutions à la situation judiciaire et de remédier à toute faille qui pourrait s'y présenter". Ces mesures interviennent alors qu'un bras de fer oppose certains magistrats au secteur bancaire et au gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé. Il a également démenti avoir "défendu les banques et le gouverneur de la banque centrale" et assuré que sa "démission n'est pas du tout envisagée", une option qu'il aurait adoptée, selon certains observateurs, en signe de solidarité avec M. Salamé.
Le chef du gouvernement a estimé, par ailleurs, que "la manière dont certaines enquêtes sont menées nuisent au pouvoir judiciaire et au système bancaire" et réclamé que "la loi prenne son cours sans faire de distinction ou être discrétionnaire". Une allusion peu voilée à la procureure générale près la Cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, qui avait ordonné, jeudi dernier, l’arrestation de Raja Salamé, frère du gouverneur, et gelé les avoirs de plusieurs banques et banquiers.
Mikati fustige des mesures "discrétionnaires"
"Notre but est de préserver les équilibres dans le pays. Nous renouvelons notre engagement à ne pas interférer dans les affaires judiciaires, par respect du principe de séparation des pouvoirs", a déclaré M. Mikati à l'issue de la réunion du Conseil, assurant "veiller sur l'indépendance du pouvoir judiciaire". "Le Conseil réclame que la loi prenne son cours sans faire de distinction ou être discrétionnaire, et que les affaires judiciaires soient résolues, conformément à la loi, par les membres du pouvoir judiciaire, en fonction de leurs prérogatives", a plaidé M. Mikati.
"Le ministre de la Justice a été chargé d'élaborer une vision pour trouver des solutions à la situation judiciaire, remédier à toute faille qui pourrait s'y présenter et l'exposer prochainement au Conseil des ministres", a affirmé M. Mikati. "Nous avons chargé le ministre des Finances de demander à la BDL de prendre les mesures nécessaires, sur-le-champ, pour supprimer les plafonds des retraits bancaires des salaires", a-t-il également ajouté. Il a également Parlement à "accélérer l'adoption d'une loi sur le contrôle des capitaux".
Selon l'Agence nationale d'information (Ani, officielle), le Premier ministre a convenu, à l'issue d'un entretien avec le ministre de la Justice, de ne pas demander la présence à la réunion des juges Ghassan Oueidate, procureur général près la Cour de cassation, Souheil Abboud, président du Conseil supérieur de la magistrature, et Burkane Saad, président de l’Inspection judiciaire, cette option ayant été envisagée depuis la veille par les responsables. La juge Ghada Aoun a salué, dans un tweet, la position des trois "juges honorables" qui ont refusé "de porter atteinte à l'indépendance du pouvoir judiciaire".
Interrogé au sujet des mesures qui seraient prises en cas de manque de coopération de la part des organes du pouvoir judiciaire, et d'une éventuelle destitution des juges, notamment celle de Ghassan Oueidate, procureur général près la Cour de cassation, M. Mikati a préféré aborder le sujet au bon moment. "Rien n'est envisagé, mais rien n'empêche", s'est-il contenté de dire, sans donner plus de détails.
"Nous ne sommes pas ici pour défendre les banques ni le gouverneur de la BDL, mais pour protéger les institutions et le pays", s'est défendu M. Mikati, assurant vouloir "préserver les équilibres". Lors de la réunion du Conseil, M. Mikati avait estimé que "la manière dont certaines enquêtes sont menées nuisent au pouvoir judiciaire et au système bancaire", dans une critique de la procureure Aoun. Le chef du gouvernement a également assuré que "sa démission n'est pas du tout envisagée", une information qui circulait dernièrement dans la presse et qu'il aurait envisagée en signe de solidarité avec M. Salamé.
Le Premier ministre a appelé, par ailleurs, l'Association des banques libanaises (ABL) à ne pas prendre de mesures négatives", en référence à la grève de deux jours à laquelle elle avait appelé la veille, et "à coopérer (avec lui) pour sortir de cette crise". "Plus de 90% de l'argent des déposants seront sauvegardés par l'Etat et versés", a-t-il ajouté, assurant avoir demandé au ministre des Finances de "supprimer les plafonds sur les retraits bancaires des salaires".
Le dossier des silos du port de Beyrouth s'est également invité au menu des discussions du gouvernement, après que le ministre de la Culture, Mohammad Mortada, a décidé vendredi de les classer parmi les monuments historiques libanais, en dépit d'une décision de les détruire prise par le Conseil des ministres mercredi. Le Premier ministre a affirmé qu'il "demandera à une entreprise privée d'exprimer son avis à ce sujet".
Le chef de l’État Michel Aoun a exprimé en début de soirée, à l'issue d'une réunion avec le ministre Khoury, "son soulagement" après les décisions prises par le gouvernement concernant "l'indépendance du pouvoir judiciaire et le respect du principe de la séparation des pouvoirs". Il a également estimé que "rien ne justifie un report de l'adoption d'une loi sur le contrôle des capitaux, d'un plan de redressement, d'une loi sur les fonds transférés à l'étranger et d'une exécution de l'audit juricomptable de la BDL".
Des dizaines de manifestants se sont rassemblés sur l'autoroute Fouad Chehab, située à proximité du Grand sérail, parallèlement à la réunion ministérielle.
Bras de fer entre les magistrats et les banques
Après avoir gelé, il y a plus d’une semaine, les avoirs de cinq grandes banques au Liban et ceux des membres de leur conseils d’administration, la procureure Aoun a ordonné, jeudi, l’arrestation de Raja Salamé, frère du gouverneur de la banque centrale, qui fait lui-même l’objet d’une enquête par la procureure et de plusieurs poursuites à l’étranger. La magistrate envisage, par ailleurs, de lancer des poursuites contre Riad Salamé lui-même, qu’elle compterait faire amener par les forces de l’ordre dès lundi.
Cette escalade coïncide avec la saisie, mercredi, de "tous les actifs, les actions et les propriétés" de la Fransabank, suite à une plainte appuyée par un déposant avec le collectif Moutahidoun. Or, le collectif en question, tout comme la magistrate Ghada Aoun, est considéré, même s’il s’en défend, comme proche du camp du président Aoun, qui œuvre depuis des années à écarter le gouverneur de ses fonctions en lui faisant endosser l’entière responsabilité de la crise financière.
La juge avait également gelé lundi les avoirs de cinq banques libanaises (Bank of Beirut, Bank Audi, SGBL, BLOM Bank et Bankmed) et des membres de leurs conseils d'administration alors qu'elle enquête sur leurs transactions avec la BDL. Elle avait également prononcé jeudi une interdiction de voyager à l'encontre du président de Creditbank, Tarek Khalifé, et gelé tous les actifs de la banque.
"Détruire le secteur bancaire"
Réagissant aux derniers développements judiciaires, le chef des Forces Libanaises (FL), Samir Geagea, a dénoncé, dans un communiqué publié samedi, le fait que "les mesures judiciaires se poursuivent de manière discrétionnaire". Le leader chrétien craint également que "le but de ces mesures soit la fermeture des banques, ce qui empêcherait la tenue des législatives aux dates prévues, les candidats ne pouvant pas ouvrir des comptes dans le cadre de la campagne électorale". Il a également estimé que ce qui se passe actuellement risquerait de "détruire le secteur bancaire au lieu de le réformer". Selon lui, la responsabilité "incombe en premier lieu à la classe politique (...) puis à la BDL et enfin à certains patrons et responsables bancaires".
Des observateurs font valoir, de leur côté, que la pression exercée sur le secteur bancaire et sur la BDL sert un agenda politique visant à redorer le blason du président à l’approche des législatives et avant la fin de son mandat. Le camp aouniste, en perte de popularité, est par ailleurs accusé par ses détracteurs de vouloir torpiller cette échéance.
Pour sa part, le gendre de M. Aoun et chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, a déploré, dans un tweet, que "le système politique protège le système financier en ayant recours au gouvernement pour entraver le pouvoir judiciaire". Le bureau politique du CPL a lui aussi tenu le gouvernement pour responsable du "chaos financier qui retarde l'adoption d'un plan de redressement" dans le pays. Il s'est à nouveau prononcé en faveur de la tenue des législatives aux dates prévues et exprimé son "inquiétude" quant au renoncement de plusieurs figures politiques sunnites de se présenter en tant que candidats. Le parti aouniste a enfin espéré que cela n'entraînera pas de boycott sunnite des élections.
A force de vouloir arrondir les angles, notre milliardaire national nous a tous emprisonnés dans un labyrinthe sans électricité, ni eau, ni sous pour nous alimenter ou nous soigner. Par contre, ses associés voraces ne manquent de rien ! Suffit de les voir souriants et détendus, le ventre plein...devant les caméras des photographes. Et ;nous, on constate que ces "responsables" sont incapables de comprendre ce que leur fonction signifie exactement...!!! Nous faudrait en urgence quelques angles...pour retrouver une vie décente et normale ! - Irène Saïd
15 h 34, le 20 mars 2022